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Art. 7

PROCEDURE.

Instance en radiation entre parties.
Appel du conservateur à l'instance. - Mise hors de cause.

En cas de demande en justice entre parties, tendant à faire prononcer la mainlevée d'une inscription hypothécaire, le Conservateur, qui éventuellement aura à opérer la radiation,. ne peut ni ne doit apprécier l'opportunité de la mesure sollicitée et est tenu au contraire de ne pas prendre parti dans les conflits d'intérêts que soulèvent entre particuliers les formalités hypothécaires.

Par suite, lorsque les parties ont cru cependant devoir l'appeler à l'instance, sa mise hors de cause doit être prononcée.

(Bordeaux, 1ère Ch., 22 décembre 1949.) Attendu que le demandeur met en fait qu'à la date du 21 décembre 1947, la 5° Chambre du Tribunal Civil de Bordeaux a rendu un jugement prononçant le divorce d'entre la dame Raymonde Abadie et le sieur Henri Ricros, requérant, son mari, condamnant ce dernier à servir à sa femme, pour l'entretien de l'enfant commun, une pension mensuelle de deux mille cinq cents francs.

Attendu que ce jugement ,prononçait la liquidation et le partage de la communauté légale ayant existé entre les époux.

Attendu qu'il dépendait notamment de la dite communauté, un immeuble sis au Bouscat, 1, rue Emile Combes, comprenant maison d'habitation en forme d'échoppe de quatre pièces avec petit jardin, garage et dépendances.

Attendu que ledit immeuble se trouve grevé d'une inscription d'hypothèque légale prise par ladite dame Abadie, alors épouse Ricros, contre ce dernier, aux trois bureaux des Hypothèques de Bordeaux, vol. M. 83, n° 15.

Attendu que, suivant acte au rapport de Me Figerou, notaire à Bordeaux, en date du 12 mai 1949, transcrit le 8 juin 1949, vol. 1.903, n° 17, le requérant et la dame Abadie, épouse divorcée Ricros, épouse en seconde noces Fillol, dûment assistée et autorisée par ce dernier, ont vendu l'immeuble ci-dessus indiqué aux époux Tabard, demeurant au Bouscat, 1, rue Emile-Combes.

Attendu que, dans l'acte précité, les vendeurs se sont solidairement obligés à rapporter la radiation de l'inscription hypothécaire.

Attendu que la dame Fillol a renoncé expressément à son hypothèque légale en tant qu'elle grève l'immeuble vendu, qu'elle s'en remet à justice sur la validité de cette renonciation.

Attendu que, de son côté, Ruamps, Conservateur des Hypothèques, conclut à sa mise hors de cause sans dépens et à l'allocation de mille francs à titre de dommages-intérêts.

Attendu, en effet, que l'appel en la cause du conservateur apparaît comme injustifiée; qu'il est de jurisprudence constante qu'investi d'un mandat légal comportant pour lui l'obligation de sauvegarder, tout à la fois, les intérêts des tiers et ceux des femmes mariées, il ne peut ni ne doit apprécier l'opportunité de la mesure sollicitée, et est au contraire tenu de ne pas prendre parti dans les conflits d'intérêts soulevés par les formalités hypothécaires.

Qu'aucune faute ne pouvant être relevée contre le sieur Ruamps, il convient de prononcer purement et simplement sa mise hors de cause sans dépens, sans qu'iI y ait lieu cependant à dommages-intérêts à son profit.

Attendu qu'en ce qui concerne la validité de la renonciation l'action apparaît recevable et bien fondée.

Attendu en effet que l'Art. 2.135, modifié par ]e décret-loi du 14 juin 1938, n'a pas eu pour but d'interdire à la femme mariée de renoncer à son hypothèque légale antérieurement inscrite, mais d'appeler son attention sur les conséquences de cette renonciation qu'un tel avertissement est sans objet à l'égard de la femme, qui, ayant fait procéder à l'inscription, doit être censée connaître la valeur et l'effet de la dite renonciation.

Attendu que la situation actuelle cause une gêne certaine aux vendeurs en les empêchant de toucher le prix de vente de leurs immeubles ; qu'ils sont exposés à se voir réclamer des dommages-intérêts par leurs acquéreurs.

Attendu, d'autre part, que la dame Fillol remariée est dans une situation telle que l'abandon de sa garantie n'est pas de nature à préjudicier à ses intérêts.

Attendu que les dépens de la présente instance doivent être supportés conjointement et solidairement par le sieur Ricros et les époux Fillol, qui bénéficient au même titre de la radiation.

Par ces motifs, le Tribunal...

Met hors de cause purement et simplement M. le Conservateur des Hypothèques de Bordeaux ; le décharge des dépens ; dit n'y avoir lieu à dommages-intérêts à son profit.

Déclare valable la renonciation faite par la dame Fillol à son hypothèque légale, en tant qu'elle grève l'immeuble sis au Bouscat, 1, rue Emile-Combes.

Dit qu'au vu d'un extrait dudit jugement, assorti des certificats prévus par la loi, M. le Conservateur du 1er Bureau des Hypothèques de Bordeaux, sera tenu sinon contraint d'opérer la radiation de l'inscription du 9 novembre i945, vol. M. 83, n° 15, mais seulement en tant qu'elle grève l'immeuble situé au Bouscat, rue Emile-Combes, n° 1, quoi faisant, il sera bien et valablement déchargé, décharge judiciaire lui étant en tant que de besoin octroyée.

Condamne le sieur Ricros et les époux Fillol conjointement et solidairement aux dépens, avec distraction au profit de Maîtres Boyreau et Gouais-Lanos et maître Richard avoués.

observation

Ainsi qu'il arrive trop souvent, notre collègue avait été mis en cause sans qu'aucune mainlevée n'ait été établie et par conséquent sans que la radiation de l'inscription litigieuse ait été requise.

Aucun lien de droit ne s'étant, pour ce motif, établi entre le demandeur et lui, il ne pouvait être mis en cause à titre principal. Faute de droit méconnu ou violé, l'action aurait manqué de tout fondement, l'action interrogative n'étant pas admise en droit français (Garsonnet, 1.298 ; Aubry et Rau VIII § 746).

Il ne pouvait davantage être appelé en intervention forcée car cette action n'est justifiée, dans l'opinion générale, que vis-à-vis du tiers qui pourrait se plaindre de la décision a intervenir si elle lui était préjudiciable(Req. 9 mars 1903, D. 03.1.576; - 27 juillet 1906, D. 10-1-512; - Paris 19 nov. 1924, D. 24-2-151 ; Civ. 5 nov. 1941, D.C. 42 J 581).

Tel n'est pas le cas du conservateur tenu, ainsi que le rappelle le tribunal, de ne pas prendre parti dans les conflits d'intérêt soulevés par les formalités hypothécaires. Toutes les fois que le litige n'est pas de son fait, la solution qui en sera donnée lui est indifférente; on ne peut trancher contre lui un point quelconque de fait ou de droit puisque celui-ci ne concerne que les autres parties en cause (Beaune, 28 août 1879, J. cons. 3279 ; - Aix 13 janv. 1949, Sem. Jur. 4814).

Il n'a donc aucun intérêt à former tierce opposition ; on ne peut dès lors le présumer en l'assignant en intervention sous prétexte de lui interdire cette voie de recours.

On ne pouvait pas davantage, comme en l'espèce, l'assigner en déclaration de jugement commun pour lui enjoindre d'opérer la radiation qui serait ordonnée, car ce serait lui faire perdre la qualité de tiers qui est et doit rester sienne (cf. art. 548 c. pr. civ. Glasson, Tissier et Morel, IV, n° 1101 ; - Paris 14 mai 1808, Dal. Jur. Gén. V° Prêt, n° 2726). D'une part cette qualité lui interdit de favoriser ou désavantager l'un quelconque des usagers. Il doit prévenir jusqu'au soupçon d'une préférence en faveur des parties pour lesquelles il aurait agi (Instr. 1253). Or, il suffirait qu'il s'en rapporte à justice pour prendre implicitement parti contre le demandeur (cf. Laval 10 mai 1935, J. Conserv. 11.473) et il favoriserait le bénéficiaire du jugement par son exécution plus rapide et moins onéreuse. De l'autre, on obtiendrait ainsi l'exécution d'une formalité en dehors et parfois en violation des prescriptions légales, puisque le conservateur serait tenu d'exécuter le jugement en tant que partie et non comme tiers. En matière de jugement de radiation, notamment, il devrait l'exécuter en violation des Art.s 2.157 C. Civ. et 548 C. Proc., puisqu'il devrait se contenter de la signification, simple copie, se privant ainsi de la garantie que donne l'expédition exigée par l'Art. 2.158 Civ. (Boulanger n° 748 Précis Chambaz. -Masounabe, n° 1412; - Aix 2 janv. 1867, J. Conserv. 6735).

De plus, il devrait radier l'inscription sans attendre l'expiration des délais d'opposition et d'appel ou l'acquiescement (mêmes autorités).

N'ayant point, de ce fait, la garantie que procure l'autorité de la chose jugée, il serait responsable des conséquences d'une radiation prématurée (péremption de la procédure en cas de défaut d'une des parties intéressées, désistement du demandeur, infirmation sur opposition en appel, etc. Rapp. Nîmes 26 déc.1840, D. 41.2.60; - Civ. 25 mai 1841. Sir. 41.1.497, J. Cons. 213; - 25 août 1847, Sir. 47.1-814, J. Conserv. 335). D'autant que la partie lésée pourrait à bon droit lui faire grief de s'être prêté, sans y être obligé, à la violation de prescriptions édictées précisément pour mettre à couvert la responsabilité des tiers et plus particulièrement la sienne (Jacq. et Vet. p. 437 n° 60; Rapp. Cass., ch. réunies, 13 janv. 1859, D. 59.1.5) et peut-être de n'avoir pas interjeté appel, si la décision rendue était critiquable et préjudiciable (cf. Jacq. et Vet. loc. cit.).

Enfin la responsabilité du conservateur serait encore aggravée du fait qu'en tant que partie en cause il serait obligé de suivre l'instance dans toutes ses péripéties (appel, pourvoi, etc.), d'en supporter les frais non taxables et la prorogation du délai d'immobilisation du cautionnement en rentes si l'instance est engagée aux approches de la retraite (cf Civ., 30 juin 1896, Sir. 98.10.492).

Il s'ensuit que, contrairement à ce qui a été parfois jugé (Bordeaux, 31 juillet 1893, D. 94.2.541; -- Montélimar, 31 janv. 1940, J. Conserv. 12.484, Angers, le 12 février 1940, J. Conserv. 12.483 ; - Alger 16 nov. 1949, Sem. Jur. 5.333; - Nice, 24 déc 1947, J. Not, 42.811), on ne peut appeler en cause un conservateur sous le seul prétexte qu'il aura à accomplir la formalité à ordonner ; les prescriptions et les sanctions édictées par les Art.s 2.199 et s. C. Civ. sont suffisantes pour qu'on ne puisse présumer que, par pur caprice, un conservateur refusera d'accomplir une formalité régulièrement requise (Aix 13 déc. 1948 J. Not. 42.811 J.C.P.). Il n'est donc nul besoin d'une injonction de justice pour qu'il soit tenu de se conformer s'il y échet à ses obligations légales.

On ne saurait davantage lui ordonner d'accomplir une formalité autre que celle prévue par la loi ou dans des conditions autres que celles exigées par celle-ci (Seine, 12-6-1941, Sem. Jur. 1891 ; - adde : Beaune 28 août 1879, J. Conserv. 3.279 ; - Tarbes 12 déc. 1888, J. Conserv. 3.924 ; -Seine, référé, 23 avril 1925, J. Conserv. 9.352). Non seulement, il est du devoir du conservateur d'y tenir la main (Civ. 6 déc. 1859 D. 60 1.17, J. Conserv. 1.542) en demandant sa mise hors de cause, mais il a le droit de demander des dommages-intérêts en raison du caractère téméraire de l'action (Rouen, 1er juillet 1900, D. 02.2.166; - Amiens, 28 avril 1928, J. Conserv. 10.185; --Montmorillon, 28 avril 1931, J. Conserv. 10.880; Charleville, 1er déc. 1932, J. Conserv. 11.145; - Boulogne-sur-Mer, 27 janv. 1938, J. Conserv. 12.118; - Laen, 25 juillet 1938, J. Conserv. 12.252; -- Aix, 13 déc. 1948 précité). ' En tout cas, ainsi qu'il a été jugé dans diverses espèces, il est abusif que le fait pour un fonctionnaire de se cantonner dans son rôle, de s'être exactement acquitté des devoirs de sa charge, le mette dans l'obligation de se défendre à une action en justice (Caen, 25 juillet 1938, J. Consenr. 12.252; adde : Nîmes 27 juin 1838, Dal. Jur. Gén. V° Privilège 2.784; Pontarlier 6 juillet 1886, J. Conserv. 3.705 ; - Poitiers, 27 mars 1892, J. Conserv. 4.253 ; - Pont-l'Evêque, 29 déc. 1892, J. Conserv. 4.341 ; Rennes, 4 avril 1926, J. Conserv. 9. 791 ; - Bordeaux 13 févr. - 1935, J. Conserv. 11.526 ; - Paris 5 mars 1948, Sem. Jur. 4.308).

II. - Dès lors que le conservateur est mis hors de cause, peu lui importe que le jugement contienne un attendu qui f ne paraît guère conforme sinon à l'esprit du moins à la lettre de la loi. Il sera couvert par l'autorité de la chose jugée dont il devra lui être justifié puisqu'il est redevenu un tiers. - J. Not. 42.077 ; Jacq. et Vet. p. 411).

Il ne s'agit pas, en effet, d'un cantonnement de l'hypothèque légale de la femme, lequel, conservant son caractère contractuel, ne peut acquérir l'autorité de la chose jugée et pour ce motif ne pourrait être obéi par le conservateur que s'il répondait aux autres prescriptions de l'Art. 2.145 0. Civ. (Note M.P. sous Seine 27 janv. 1948, J. Not. 42.532).

Le jugement est contentieux puisque la femme s'en remet à la justice sur le mérite de la renonciation qu'elle a consentie. Par ailleurs, puisqu'il n'ordonne la radiation que parce que l'inscription n'a plus sa raison d'être, la femme étant dans une situation telle que l'abandon de sa garantie n'est pas de nature à préjudicier à ses intérêts, il .constitue une application de l'Art. 2160 civ., ce qui le laisse dans le domaine du droit commun ,(cf Baud.-Lac et de Loynes n° 1.854; - Meaux 8-1-1943, Sem. Jur., 43-11-2199 ; - Rouen 9-1-1946, Sem. Jur. 3.466 ; - Seine 16-7-1946, J. Not. 42.077; - Pontoise, 24 juillet 1947, Sem. Jur. 4.648; - Seine 16 décembre 1947, Sem. Jur. 4.449; -- Corbeil, 6 janv. ]948, Sem. Jur. 4.449; - contra : Aix, 23 nov. 1942, Sem. Jur. 2.O84 et note Becque, Sem. Jur. 2.177-2.181 ; - Castres, 21 nov. 1947, Sem. Jur. 4.449.


Annoter : C.M.L. 1.412-4; Jacquet et Vétillard, V° jugement de radiation, n° 4 et 57.