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Art. 10

INSCRIPTION D'OFFICE

Privilège du vendeur. - Prix payé par le mode de paiement légal

Dans les ventes d'immeubles dont le prix stipulé dépasse 200.000 francs, certains notaires, pour ne pas préciser la manière dont le paiement a été effectué et vraisemblablement pour éviter l'inscription d'office, emploient l'une des formules suivantes : " lequel prix a été payé comptant par le mode de paiement légal, dont quittance " ou lequel prix a été payé comptant conformément à la loi, dont quittance

Ce mode de rédaction permet-il de considérer que le paiement est libératoire et, par suite, dispense-t-il le Conservateur de prendre inscription d'office?

La réponse est évidemment négative.

Lorsque le prix est inférieur à 200.000 francs (maximum au-delà auquel l'art. 1er § 1 de la loi du 22 octobre 1940, modifié par l'art. 23 de la loi du 31 décembre 1948, exige qu'il soit payé par chèque barré, par virement en banque ou à un compte courant postal et non autrement), l'énonciation d'une de ces formules dans l'acte fait apparaître nettement au Conservateur que le paiement a été effectué par l'un de ces modes de paiement, puisque la loi n'en autorise pas d'autre.

Or, il est de principe et il est reconnu que la simple remise de ces effets au vendeur qui les accepte n'est pas libératoire pour l'acquéreur. L'art. 62 de la loi du 14 juin 1865 modifié par la loi du 31 décembre 1948 dispose, en effet, que, pour le chèque, une telle remise ne vaut pas novation et que en conséquence, la créance originaire subsiste, avec toutes les garanties' y attachées jusqu'à ce que ledit chèque soit payé. Il en est également ainsi pour les virements bancaires, dont le paiement ne libère le débiteur qu'au moment où leur montant est inscrit au compte du créancier (Cass. Civ. 7 février 1944 ; S. 1914, 1.79). En ce qui concerne le chèque postal, un tireur n'est libéré que lorsque le compte courant postal du créancier s'en trouve crédité.

Si donc l'acte de vente n'indique pas que ces effets ont été payés, ou si le vendeur ne renonce pas expressément au privilège et à l'action résolutoire, le Conservateur est tenu de formaliser l'inscription d'office, sinon sa responsabilité serait certainement engagée en présence des termes de l'acte qui ne laissent aucun doute sur le mode de paiement du prix (De France, n° 153 ; - Jacquet, Traité du privilège du vendeur, n° 106 I et 185).

Cette solution peut paraître rigoureuse, en raison des conséquences qu'elle est susceptible d'entraîner et auxquelles les parties ou le notaire lui-même veulent échapper ; leur intention est, sans doute, d'éviter l'inscription d'office sans courir le risque de la renonciation au privilège et l'action résolutoire au cas, où l'effet remis ne serait pas payé, faute de provision.

Mais, pour les motifs qui viennent d'être indiqués, un tel artifice de rédaction ne garantirait pas le vendeur contre le défaut de paiement du prix. Si celui-ci estime que la remise du chèque ou du virement entre ses mains équivaut à la libération de l'acquéreur en qui il a confiance, il n'a, alors, aucune raison de ne pas renoncer expressément au privilège et à l'action résolutoire ou de ne pas déclarer qu'il tient l'acquéreur pour libéré du prix (Rapp. Cass. 8 nov. 1910, Pand. fr. pér. 1911. I, 152). Ou bien, il préfère conserver la garantie que lui confère la loi; dans ce cas, on ne comprendrait pas pourquoi il s'abstiendrait de se réserver le privilège et l'action résolutoire, dans l'incertitude où il se trouve d'encaisser effectivement le montant de l'effet à lui remis.

En ce qui concerne le notaire, on n'aperçoit pas que sa responsabilité puisse être dégagée par l'emploi de l'une des formules précitées. Si le paiement a eu lieu au moyen d'un chèque ou d'un virement en banque et si l'acte ne le précise pas, la quittance sans réserve donnée par le vendeur dispensera sans doute le Conservateur de prendre inscription d'office ; il en est ainsi notamment (et les notaires emploient parfois ce procédé) lors que le prix supérieur à 200.000 francs est déclaré " payé comptant à la Vue du notaire, dont quittance sans réserve "... Mais, au cas de non paiement du chèque ou du virement en banque, le vendeur se trouve privé de sa garantie et pourra, semble-t-il, se retourner contre le notaire pour ne pas avoir été averti par lui des conséquences possibles d'une quittance donnée sans réserve. Si, au contraire, l'acte précise le mode de paiement employé, le notaire ne pourra pas éviter l'inscription d'office, à moins qu'il ne fasse renoncer le vendeur à son privilège et à son action résolutoire, auquel cas sa responsabilité se trouve dégagée.

Enfin, on pourrait soutenir qu'en pareille matière le Conservateur doit adopter un rôle passif, c'est-à-dire " ne pas aller au-delà des termes nets et précis de l'acte transcrit " et, par conséquent, qu'il ne peut prendre l'inscription d'office que si l'acte énonce expressément que le prix a été payé par l'un des modes prévus par la loi du 31 décembre 1948.

Une telle conception du rôle du Conservateur doit être rejetée. Puisque l'art 2.108 C. Civ. impose au Conservateur l'obligation d'assurer lui-même et d'office la publicité du privilège du vendeur, il le constitue juge de l'existence et de l'étendue du privilège. Le Conservateur est donc tenu d'apprécier si l'acte de vente donne naissance au privilège du vendeur et de prendre inscription d'office lorsqu'il apparaît, d'après les énonciations du contrat, que le paiement, n'est pas libératoire et laisse subsister un droit de créance que le vendeur pourra faire valoir ultérieurement (Jacquet et Vétillard, Traité de la Mainlevée, V° Inscription d'office n° 4). Or l'énonciation, dans l'acte de vente, que le prix a été payé suivant le mode de paiement légal ou conforme à la loi, ne laisse, ainsi qu'il vient d'être indiqué, aucun doute sur la nature de ce paiement. Le Conservateur doit prendre inscription d'office, sauf si le vendeur déclare expressément renoncer au privilège et à l'action résolutoire en ce qui concerne le mode de paiement du prix.

Annoter : C.M.L. n° 79, 714, B., 2° ; - Jacquet, n° 192 ; - de France, n° 154.