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Art. 20

RADIATION

Hypothèque légale de la femme mariée. - Mainlevée par la femme au profit des acquéreurs des immeubles grevés de l'hypothèque. - Obligation pour le Conservateur de réserver les effets de l'inscription en ce qui concerne la pension alimentaire susceptible d'être allouée ultérieurement.

Sous l'empire de l'art. 2135 du Code Civil tel que l'a modifié le décret-loi du 14 juin 1938, l'inscription d'hypothèque légale qu'une femme mariée a prise sur les immeubles de son mari ne peut être radiée, en vertu de la mainlevée consentie par la femme au profit des acquéreurs de ces immeubles, sans que ces effets soient réservés en ce qui concerne la pension alimentaire susceptible d'être allouée ultérieurement.

Mais le tribunal peut autoriser la radiation sans réserve lorsqu'il résulte des circonstances de la cause que la radiation n'est pas de nature à porter préjudice aux intérêts de la femme.

Seine (2° Ch.), 7 juillet 1947.

Le Tribunal, séant en Chambre du Conseil...

Le Ministère public entendu, et après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant en matière ordinaire et en premier ressort.

Attendu que la dame Hirsch, assistée et autorisée de son mari, le sieur Prosper Dalsace, a, suivant exploit de Aubry, huissier à Paris, en date du 21 janvier 1947, enregistré, assigné Haurou-Bejottes, Conservateur au 1er Bureau des Hypothèques .de la Seine, aux fins ci-après :

Attendu que la demanderesse a contracté mariage avec le sieur Jacques Dalsace, par-devant l'officier de l'état civil du 8° arrondissement de Paris, le 20 avril 1920, sous le régime de la communauté légale de biens à défaut de contrat de mariage préalable à leur union.

Attendu que, par jugement rendu par la deuxième chambre du Tribunal civil de la Seine, le 1er juin 1942, enregistré, la séparation de biens entre les époux Dalsace a été prononcée en vertu de la loi du 22 juillet 1941.

Attendu que la demanderesse, pour sûreté des reprises, créances, indemnités, droits, et avantages quelconques qu'elle pouvait avoir à exercer contre son mari, a pris une inscription d'hypothèque légale au 1er Bureau des Hypothèques de la Seine, le 23 septembre 1942, vol. 738, n° 98, sur les parts et portions indivises (et la totalité pour le cas où le sieur Dalsace en deviendrait seul propriétaire par la suite) appartenant au dit sieur Dalsace dans un immeuble de rapport sis à Paris, rue d'Assas, n° 130.

Attendu que la demanderesse explique que cette inscription avait eu notamment pour but de paralyser la vente du dit immeuble comme bien israélite.

Attendu que, suivant acte reçu par Me Detroyes et Bourdel, en date des 29 août, 2, 3, 4, 6, 7, 12, 21 et 25 septembre 1946, les consorts Dalsace, propriétaires d'un immeuble de rapport sis à Paris, 130, rue d'Assas, ont vendu celui-ci à :


a) le sieur Henri Bonfils ;
b) la demoiselle Graffe ;
c) la dame veuve Lemarque;
d) le sieur Serge Bonfils ;
e) le sieur Blondeau ;
f) la demoiselle Raptin ;
g) le sieur Couturaux ;
h) le sieur fiIarsau ;
i) la dame Paulin ;
j) le sieur Lanave ;
k) la dame Papot ;
l) le sieur Paul Bonfils;
m) le sieur Villoutreix;
n) la demoiselle Blondeau ;
o) et le sieur Leroyer,

moyennant le prix global de un million cinq cents mille francs.

Attendu que la demanderesse, estimant que ses reprises, créances indemnités, droits et avantages quelconques étaient assurés, a, suivant acte reçu par Bourdel, notaire à Paris, en date du 5 décembre 1946, enregistré, donné mainlevée pure et simple et consenti à la radiation entière et définitive de cette inscription en indiquant qu'elle ne conservait à son profit aucune créance à titre alimentaire.

Attendu que Haurou-Bejottes, Conservateur au 1er Bureau des Hypothèques de la Seine, a déclaré ne pouvoir opérer la dite radiation dans les conditions, où elle était requise, en faisant valoir, d'une part, que, nonobstant son libellé, la dite inscription garantie toutes les créances, tant éventuelles qu'actuelles, que la dame Dalsace possède contre son mari en sa qualité de femme mariée (donc en particulier la pension alimentaire qui pourrait lui être allouée éventuellement en cas de séparation de corps ou de divorce), et qu'elle frappe tous les, immeubles du mari, aussi bien à venir que présents, situés dans le ressort du 1er Bureau des Hypothèques (donc non seulement l'immeuble 130, rue d'Assas, nommément désigné dans l'inscription, mais aussi tous autres immeubles lui appartenant présentement ou susceptibles de lui appartenir ultérieurement dans le ressort du dit bureau) ; d'autre part, que la vente du 26 septembre 1946 précitée n'autorise la dame Dalsace à renoncer à son hypothèque légale, par application de l'art. 9 de la loi du 23 mars 1855 complété par la loi du 3 février 1899, qu'en tant que la dite hypothèque grève spécialement l'immeuble vendu, et enfin que, par application de l'Art. 2135 du Code civil, cette renonciation même limitée au dit immeuble, ne peut avoir d'effet, en tant que l'hypothèque garantit la pension alimentaire éventuelle de la dame Dalsace, laquelle pension est par essence incessible, qu'à la double condition :

l° qu'elle ait été formulée expressément, après lecture, constatée dans l'acte de renonciation, du dit Art. 2135 du Code civil ;

2° que l'hypothèque légale ne soit pas déjà inscrite au moment où intervient la renonciation.

Attendu qu'en l'état la dame Dalsace admet que la mainlevée et la radiation de l'inscription du 23 septembre 1942 soient limitées a l'immeuble sis 130, rue d'Assas, vendu le 26 septembre 1946

Attendu que, par ailleurs, la première condition édictée par l'Art. 2135 du Code Civil pour la renonciation à l'hypothèque légale grevant cet immeuble, en tant qu'elle s'applique spécialement à la pension alimentaire éventuelle de la dame Dalsace, se trouve remplie, puisque l'acte de Detroye, du 26 septembre 1946, fait état d'une renonciation consentie dans ce sens après lecture faite, et constatée dans l'acte, de l'Art. 2135, et que c'est par suite d'un oubli que cette renonciation n'a pas été rappelée dans l'acte de mainlevée de Bourdel du 5 décembre 1946.

Mais, attendu que, par contre, la deuxième condition, à savoir qu'au moment où la renonciation intervient, l'hypothèque légale ne doit pas déjà être inscrite, ne se trouve pas réalisée, puisque l'inscription de l'hypothèque légale litigieuse a eu lieu le 23 septembre 1942, donc antérieurement à la renonciation en question.

Attendu que, par suite, l'acte de mainlevée fut-il limité à l'immeuble vendu et complété par le rappel de renonciation du 26 septembre 1946, faite dans la forme prévue par l'Art. 2135 du Code Civil, Haurou-Bejottes ne pourrait radier la dite inscription, en ce qu'elle grève le dit immeuble, qu'en réservant ses effets en ce qui concerne la pension alimentaire susceptible d'être allouée ultérieurement à la dame Dalsace.

Mais attendu que cette situation cause une gêne certaine aux époux Dalsace en les empêchant de toucher le prix de vente de l'immeuble et que le Tribunal possède les éléments nécessaires pour ordonner la radiation sans réserve, en ce qui concerne le dit immeuble.

Attendu, en fait, que les époux Dalsace ont contracté mariage devant l'officier de l'état civil du 8° arrondissement de Paris, le 20 avril 1920, sans contrat préalable.

Attendu, en effet, que la dame Dalsace, en renonçant à son hypothèque légale dans les formes prévues par l'Art. 2135 du Code Civil, modifié par le décret du 14 juin 1938, a considéré d'une manière formelle et; non équivoque que ses droits n'étaient pas en péril et qu'elle a estimé qu'il n'y avait pas lieu pour elle d'envisager qu'une pension alimentaire puisse lui être ultérieurement allouée et que c'est bien ainsi qu'apparaît la situation et que l'abandon de la garantie dont s'agit ne paraît pas de nature à porter préjudice à la dame Dalsace. Qu'au surplus, cet état de choses, s'il devait durer, serait bien plus préjudiciable aux intérêts de la dite dame et de son mari; qu'il doit être fait droit à la demande des époux Dalsace, comme indiqué ci-dessus.

Attendu que Haurou-Bejottes, Conservateur du 1er Bureau des Hypothèques de la Seine, déclare être prêt à effectuer toute radiation qui serait ordonnée par le Tribunal dans les mêmes limites.

Par ces motifs,

Donne acte à Haurou-Bejottes de ce qu'il se déclare prêt, si le Tribunal en décide ainsi, à radier sans aucune réserve l'inscription de l'hypothèque légale de la dame Dalsace en tant quelle grève l'immeuble vendu le 26 septembre 1946.

Dit et juge qu'Haurou-Bejottes ne pouvait radier la dite inscription dans les conditions prévues par l'acte de mainlevée du 5 décembre 1946.

Dit et juge que, sur le vu de la grosse du présent jugement et justification de ce qu'il est devenu définitif, Haurou-Bejottes, Conservateur au 1er Bureau des Hypothèques de la Seine, sera tenu de radier sans aucune réserve l'inscription d'hypothèque légale prise par la dame Dalsace à son bureau le 23 septembre 1942, vol. 738, n° 98, en tant que cette hypothèque grève l'immeuble sis à Paris, 130, rue d'Assas, vendu à divers, suivant acte de Detroye, notaire à Paris, du 26 septembre 1946, transcrit le 26 octobre 1946, vol. 1487, n° 34, de manière que cet immeuble soit définitivement affranchi de toutes charges quelconques du chef de la dame Dalsace.

Et attendu que la présente instance est faite dans l'intérêt des demandeurs, les condamne aux frais de la dite instance, dont distraction au profit des avoués de la cause aux offres de droit.

Observations. - Le Tribunal de la Seine a déjà reconnu à plusieurs reprises que l'inscription d'hypothèque légale qu'une femme mariée a prise sur les immeubles de son mari ne peut, après l'aliénation de ces immeubles, être radiée, du consentement de la femme, sans que ses effets soient réservés en ce qu'elle garantit la pension alimentaire susceptible d'être allouée ultérieurement (22 janvier 1941, D. 42-J-159, S. 1941-2-19, J.C.P. 1941-11-1757; - 22 juillet 1942; - 27 juillet 1943; - 16 juillet 1946, JN 42.077; - v. cep., en sens contraire, 7 janvier 1950, art. ci-après), Le jugement rapporté confirme cette jurisprudence du Tribunal.

La même thèse a été admise par certains autres tribunaux (C. Aix, 11 juillet 1939, J.C.P. 40 II 1429; - Toulouse, 25 juillet 1941; - C. Caen, l3 janvier 1942, D. 42-J-159 ; - Rouen, 7 janvier 1946, J.C.P. 46-11-3166 ; - Pontoise, 13 juin 1947, J.C.P. 48-11-4045 et la note M.P. ; - V. égal. la note Becqué sous J.C.P. 49-11-4648) ; d'autres, par contre, l'ont repoussée et ont jugé que, dans l'hypothèse envisagée, le Conservateur doit opérer la radiation sans formuler de réserves (Avranches, 28 janvier 1941,D. 42-J-160; - Pontoise, 24 juillet 1947, J.C.P. 49-11-4648; - Seine, 7 janvier 1950, Bull. A.M.C. art. 21 ci-après; - v. égal. la note Lebrun sous D..42-J-159).

Si la première interprétation peut se réclamer de la lettre du décret-loi du 14 juin 1938, la seconde est assurément plus conforme à l'esprit du texte tel que le révèle le rapport au Président de la République précédant le décret. En reconnaissant le nouvel Art. 2135 C.C. applicable même au cas où l'hypothèque légale de la femme a été inscrite, elle évite aux parties ainsi qu'aux Conservateurs les ennuis et les risques que comporte le recours au Tribunal. Il serait souhaitable qu'une nouvelle disposition législative vienne la consacrer.

Annoter : C.M.L. n° 367 et 1219; - Jacquet et Vétillard. V° Femme mariée n° 107.