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Art. 21

RADIATION

Hypothèque légale de la femme mariée.
- Mainlevée par la femme au profit des acquéreurs des immeubles grevés de l'hypothèque. -Radiation à opérer sans réserve

L'Art. 2136 du Code Civil, tel que l'a modifié le décret-loi du 14 juin 1938, ne s'oppose pas, à ce que la femme mariée consente, avec le concours de son mari, au profit des acquéreurs des immeubles de ce dernier, la mainlevée pure et simple de l'inscription de son hypothèque légale grevant ces immeubles.
Le Conservateur peut opérer la radiation en exécution de cette mainlevée sans formuler de réserves en ce qui concerne la pension alimentaire susceptible d'être allouée ultérieurement.

Seine (2° Ch.), 7 janvier 1950.

Le Tribunal,

Le Ministère public entendu et après en avoir délibéré conformément à la loi, jugeant en matière ordinaire et en premier ressort.

Attendu que la veuve Fagot a, aux termes d'un acte reçu par Lainé et, Aubron, notaires à Paris, en date des 1er et 15 juin 1948, transcrit au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine, le 9 août 1948, volume 1186, numéro 13, acquis du sieur Bertrand un appartement dépendant d'un immeuble sis à Paris, 61, rue du Faubourg-Saint-Martin, appartenant à ce dernier. Que, suivant acte reçu par Pineau, notaire à. Paris, et Lainé, aussi notaire à Paris, en date du 29 juin 1948, transcrit au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine, le 9 décembre 1948, volume 12O3, numéro 1, la dame Maggioni, épouse séparée de biens, du sieur Maggioni, son mari, a elle-même acquis du sieur Bertrand un appartement dépendant du même immeuble. Que le sieur Pichard s'est lui-même rendu acquéreur d'un appartement dépendant du même immeuble, aux termes d'un acte reçu par Lainé et Aubron, notaires à Paris, le 20 juin l949, transcrit au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine, le 4 avril i949, volume 1238, numéro 26.

Attendu que, lors de la transcription des dits actes d'acquisition, l'état délivré par le Conservateur au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine, a révélé l'existence d'une inscription d'hypothèque légale au profit de la dame Marie-Germaine Régnier, sans profession, demeurant à Paris, 77, rue Denfert-Rochereau, épouse divorcée en premières noces du sieur René-Auguste-Adrien Bertrand, avec lequel elle était mariée sous le régime de la communauté de biens réduite aux acquêts, aux termes de son contrat de mariage reçu par Morel d'Arleux, notaire à Paris, le 31 janvier 1924, la dite communauté dissoute par jugement rendu par défaut par la neuvième Chambre du Tribunal, civil de la Seine, le 20 décembre 1932, enregistré, signifié, la dite dame remariée depuis en secondes noces avec le dit sieur René-Auguste-Adrien Bertrand, par devant l'officier de l'état civil du 14° arrondissement de Paris, le 21 février 1939, sans contrat.

Attendu que cette inscription d'hypothèque légale a été prise le 9 mars 1946, volume 616, numéro 111.

Attendu que les demandeurs sollicitent du Tribunal d'ordonner la mainlevée de la dite d'inscription et sa radiation ; que le Conservateur des Hypothèques au 2° Bureau de la Seine, s'est refusé à radier malgré le concours apporté par la dame Bertrand aux actes de vente sus-énoncés et ce motif pris de ce que l'Art. 2135 du Code Civil ne l'autorisait pas à radier cette inscription, malgré le concours apporté par la femme aux actes sus-énoncés, et malgré la mainlevée par elle donnée de son inscription d'hypothèque légale.

Attendu que la dame Bertrand sollicite elle-même du tribunal cette mainlevée et sa radiation, soutenant que l'Art. 2133 du Code Civil n'a jamais eu pour effet de priver la femme mariée de l'exercice de ses droits dont elle est demeurée et demeure seule maîtresse, alors qu'aucune instance en divorce ni en séparation de corps, ni non plus aucune demande de pension alimentaire n'a été formée ni par elle ni contre elle ; qu'elle a donc pleine capacité pour exercer les droits qu'elle tient et de la loi et de son état de femme mariée.

Attendu, en effet, qu'il apparaît bien que l'Art. 2135 du Code Civil ne saurait faire obstacle à l'exercice des droits de la dame Bertrand et qu'elle a toute capacité, avec le concours de son mari, pour les exercer et que c'est à bon droit qu'elle demande au tribunal de dire et d'ordonner que l'hypothèque l'égale par elle prise et ci-dessus énoncée sera purement et simplement radiée et définitivement, en tant qu'elle porte sur l'immeuble sis à Paris, 61, rue du Faubourg-Saint-Martin, appartenant à son mari.

Attendu que le sieur Bertrand déclare s'en rapporter purement et simplement à justice, qu'il y a lieu de lui en donner acte.

Par ces motifs,

Donne acte au sieur Bertrand de ce qu'il déclare s'en rapporter purement et simplement à justice sur le mérite de la demande dont s'agit. Ordonne la radiation pure et simple, entière et définitive, de l'inscription d'hypothèque légale prise au profit de la dame Bertrand, née Régnier, au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine, le 9 mars 1946, volume 615, numéro III.

Dit et ordonne que, sur le vu du présent jugement, le Conservateur au 2° Bureau des Hypothèques de la Seine pourra radier purement et simplement la dite inscription, quoi faisant bien et valablement déchargé : et, attendu que l'instance introduite l'a été dans le seul intérêt des époux Bertrand, dit que les dépens de la dite instance resteront à leur charge exclusive et en fait distraction au profit de Jacques Laurent, avoué, aux offres de droit.

Observations. - Le tribunal de la Seine s'est prononcé en sens contraire à plusieurs reprises. (Voir l'Art. qui précède et la note.) Sommairement motivé, le jugement rapportée paraît pas marquer un revirement de la position du tribunal et doit plutôt être considéré comme un accident de jurisprudence.

A noter que, contrairement à ce qu'affirme incidemment le tribunal, lors que la femme peut disposer de son hypothèque légale, elle n'a pas besoin à cet effet d'obtenir le concours de son mari (Bull. A.M.C., art. 12).

Pour ce qui est de l'exécution du jugement par le conservateur, elle appelle une double observation :

l° La défenderesse s'étant associée entièrement aux conclusions des demandeurs, il n'y avait plus de litige entre les parties en cause lorsque la décision est intervenue. On peut se demander si cette décision n'a pas de ce fait le caractère d'un jugement d'expédient, non susceptible d'acquérir l'autorité de la chose jugée (Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 26. Il faut, cependant observer que le tribunal ne s'est pas borné à constater l'accord des parties à l'instance. Un motif du jugement porte ,en effet, " qu'il apparaît bien que l'Art. 2135 du Code Civil ne fait pas obstacle à l'exercice des droits de la dame B..., etc. ", ce qui suppose que le tribunal a examiné la difficulté qui était à l'origine du litige et fait ainsi oeuvre contentieuse.

2° Si l'on admet que ]e jugement en cause a pu acquérir l'autorité de la chose jugée, celle-ci ne peut avoir d'effet que dans les limites du litige telles qu'elles ont été fixées par l'assignation, c'est-à-dire dans la mesure où la radiation ordonnée par le juge porte sur les parties de l'immeuble acquises par les demandeurs. En ce quelle dégrève le surplus de l'immeuble, la décision a été rendue à la requête de la défenderesse qui, sur ce point, n'avait pas de contradicteur ; elle ne paraît pas dès lors avoir, dans cette mesure, le caractère contentieux lui conférant l'autorité de la chose jugée et le Conservateur serait, semble-t-il, fondé à refuser de l'exécuter.

Annoter : C.M.L.. n° 1406; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation n° 26, 37.