Retour

Art. 51

INSCRIPTION D'OFFICE.

Vente de terrains à bâtir bénéficiant des réductions de tarifs édictées par l'art. 10 du décret du 18 septembre 1950. Recours éventuel contre l'acquéreur du vendeur qui serait amené à payer les suppléments de droits et la pénalité en cas d'inexécution par l'acquéreur de son obligation de construire.

(Décision du bureau de l'A. M. C.).

L'art. 10 du décret n° 50-1135 du 18 septembre 1950, pris en exécution de l'art 3 de la loi n° 50-957 du 8 août 1950 (B.A. 50, I., 5453) édicte, en faveur des acquisitions de terrains à bâtir, une réduction de moitié du droit de mutation et des taxes additionnelles.

Cette exonération partielle est toutefois subordonnée à la condition qu'une construction à usage principal d'habitation soit édifiée sur le terrain acquis dans le délai de trois ans à compter de la date de l'acquisition. A défaut d'achèvement de la construction avant l'expiration de ce délai, la moitié du droit et des taxes non perçus lors de l'enregistrement de la convention devient exigible, augmentée d'une pénalité de 2 p. 100. Le complément de droits et taxes et la pénalité sont légalement à la charge de l'acquéreur. Le payement peut cependant en être réclamé au vendeur qui est alors fondé à exercer un recours contre le véritable débiteur.

En l'état, on est amené à se demander :

Si la créance que possède contre l'acquéreur le vendeur qui a dû faire l'avance du droit et taxes complémentaires et de la pénalité est garantie par le privilège du vendeur ;

Dans l'affirmative, si ce privilège est conservé par la transcription de l'acte de vente et si, en conséquence, le conservateur doit prendre l'inscription d'office lorsqu'il formalise un acte de vente de terrain à bâtir dans laquelle l'acquéreur a demandé à bénéficier des dispositions de l'art. 10 du décret précité du 18 septembre 1950.

La première question comporte certainement une réponse affirmative. Sans doute les frais du contrat ne constituent pas à proprement parler un élément du prix, alors que, aux termes de l'art 2103-1° du Code civil, c'est seulement le " prix " que garantit le privilège du vendeur. Sans doute également l'action du vendeur qui réclame à l'acquéreur le remboursement des frais qu'il a avancés pour son compte, en raison de la solidarité qui le liait à lui, a-t-elle sa source moins dans une clause de l'acte de vente que dans les Art.s 1216 et 2028 c. c. relatifs au recours du co-obligé à une dette solidaire, qui a payé pour ses co-débiteurs. Il n'en est pas moins unanimement admis que le vendeur qui a payé les frais de l'acte de vente peut en poursuivre le remboursement contre l'acquéreur sous le couvert du privilège de l'art 2103-l° C. c. (Cass. 1er avril 1863, D.P. 63-1-184; S. 63-1-872, J.C. 1845; 7 novembre 1882, D.P. 82-1-473; 9 mars 1898, D.P. 98-1-349; 599-1-241; J.C. 4930, R.H. 2014; 22 février 1909, D.P. 1912-1-347, J.C. 6308).

Plus spécialement, sous l'empire de l'art. 25 de la loi du 30 décembre 1928 qui assujettissait les acquisitions de terrains à bâtir à un régime identique à celui institué par le récent décret, la jurisprudence a reconnu le privilège applicable au recouvrement contre l'acquéreur du complément de droit et de la pénalité devenus exigibles faute de construction dans le délai imparti, lorsque ce droit complémentaire et pénalité ont été acquittés par le vendeur. Un arrêt de la Cour de Paris du 22 février 1943 (J.N. 41544; J.C.P. 2325) et un arrêt de la Chambre civile de la Cour de cassation du 17 novembre 1948 (J.C.P. 3877; J.N. 42718) ont, en effet, retenu la responsabilité du notaire qui avait laissé le vendeur renoncer à son privilège sans le prévenir qu'il abandonnait ainsi la garantie de son recours éventuel, ce qui suppose nécessairement que, sans la renonciation, le recours aurait été couvert par le privilège.

On peut donc tenir pour certain que, dans le cas de vente d'un terrain à bâtir sous le régime de l'art. 10 du décret du 18 septembre 1950, le privilège de l'art. 2103-1° C. c. garantit la créance du vendeur qui a dû acquitter le complément de droits et taxes et la pénalité pour le compte de l'acquéreur qui n'a pas construit dans le délai.

La seconde question s'est déjà posée sous l'empire de la loi du 30 décembre 1928.

Deux conservateurs au moins ont été assignés pour n'avoir pas pris l'inscription. Si une des instances a été abandonnée parce que l'administration a renoncé à sa réclamation, l'autre a fait l'objet d'un jugement du Tribunal de la Seine du 22 janvier 1947 (J.N. 42282, 2° espèce). Or ce jugement n'a pas retenu la responsabilité du conservateur.

Les motifs de cette décision s'inspirent visiblement de ceux d'un arrêt de la Cour de cassation du 10 juillet 1944 (J.N. 42282, 1ere espèce ; J.C.P. 45-II-2886) intervenu dans une espèce où, en prévision de l'inexécution par l'acquéreur de son obligation de construire, le vendeur avait explicitement réservé le privilège pour sûreté de son recours, sans toutefois évaluer le montant de sa créance éventuelle et où, de son côté, le conservateur avait pris l'inscription d'office pour sûreté d'une somme indéterminée. Dans cet arrêt, la Cour a tout d'abord décidé que l'acte, ne renfermant aucune évaluation de la créance éventuelle du vendeur, ne révélait pas cette créance avec des indications telles que les tiers ne puissent s'y tromper et que, par suite, la transcription de cet acte n'avait pas conservé le privilège dont est assorti cette créance. Sur ce point, elle n'a d'ailleurs fait que confirmer sa jurisprudence antérieure (arrêts des 1er avril 1863, 9 mars 1898 et 22 février 1909, précités) en l'appliquant au cas particulier du supplément de droit dû, sous l'empire de la loi de 1938, par l'acquéreur qui n'avait satisfait à son obligation de construire.

Parallèlement, la Cour a refusé tout effet à l'inscription d'office qui, contrairement aux prescriptions combinées des art. 2108 et 2148 C. c. , ne mentionnait pas l'évaluation de la créance garantie. Elle n'a pas eu à examiner si le conservateur aurait pu s'abstenir de prendre cette inscription. Elle n'aurait pu avoir à le faire que si l'inscription dont il s'agit n'avait pas été formalisée, ce qui n'était pas le cas, et si le conservateur avait été mis en cause de ce fait. Mais si la question lui avait été posée, tout porte à penser qu'elle l'aurait résolue, comme le Tribunal de la Seine par l'affirmative. Dès lors, en effet, que, de l'avis unanime, l'inscription d'office a pour but exclusif d'assurer une publicité plus complète du privilège conservé par la seule transcription (Jacquet, n° 7 et 105; Précis Chambaz et Masounabe, n° 709; Boulanger, n° 500), on voit difficilement comment elle aurait pu faire grief au conservateur de n'avoir pas assuré la publicité du privilège alors qu'elle venait de reconnaître que celui-ci n'avait pas été conservé par la transcription.

Ainsi en s'appuyant sur les décisions de jurisprudence, on serait fondé à soutenir que,. lors de la transcription d'un acte de vente de terrain à bâtir bénéficiant du régime de l'art 10 du décret du 18 septembre 1950, le conservateur peut s'abstenir de prendre l'inscription d'office pour sûreté de la créance éventuelle du vendeur toutes les fois que cette créance n'a pas fait dans l'acte l'objet d'une évaluation.

Cette conclusion n'est pas cependant en harmonie avec la conception traditionnelle de la mission du conservateur.

Si, en effet, ce dernier a, en matière d'inscription d'office, un rôle actif qui lui fait un devoir de rechercher, parmi les clauses de l'acte présenté à la transcription, celles qui peuvent donner naissance au privilège du vendeur, on considère généralement qu'il doit cependant s'en tenir au caractère extérieur et apparent des écrits soumis à la formalité sans avoir à examiner le fond du droit et spécialement sans avoir à se préoccuper des causes de nullité que peut présenter l'inscription qu'il forme dans les termes et d'après les seules indications de l'acte transcrit (Jacquet, n° 104 et 113 ; - Précis Chambaz et Masounabe, n° 711).

Dans cette opinion, la mention explicite dans une clause du contrat de l'existence d'une créance susceptible d'être garantie par le privilège du vendeur suffirait à autoriser l'inscription, alors même que le privilège attaché à la créance pourrait ne pas être conservé par la transcription (Rappr. Jacquet, Traité du privilège du vendeur, n° 157; Rappr. ég. Précis Chambaz, Masounabe, n° 726; Négrié sous. J.C. 7805; Rappr. Oloron, 20 juillet 1898, Rev. hyp. n° 2218).

Spécialement, dans le cas d'une vente de terrain à bâtir placée sous le régime de l'art. 10 du décret du 18 septembre 1950, le conservateur pourrait formaliser l'inscription d'office toutes les fois que l'acte transcrit mentionne expressément le recours éventuel du vendeur contre l'acquéreur, sans avoir à rechercher si, faute d'évaluation dans l'acte de la somme pour laquelle ce recours pourrait être exercé, la transcription a pu conserver le privilège.

L'examen de ce dernier point sortirait du cadre de sa mission et en s'abstenant d'y procéder il n'engagerait pas sa responsabilité.

Il est enfin une troisième opinion selon laquelle le conservateur n'aurait pas à s'en tenir au caractère extérieur des actes et à ne retenir que les clauses qui révèlent en termes explicites l'existence d'une créance, au moins éventuelle, du vendeur contre l'acquéreur. Il suffirait au contraire que le contrat renfermât le germe d'une telle créance pour qu'il y ait lieu à inscription d'office.

En effet, le rôle " passif " du conservateur est de règle en matière de transcription et de son corollaire l'inscription d'office, en ce sens qu'il n'a pas à apprécier la valeur juridique des clauses et actes dont il doit assurer la publicité à l'égard des tiers.

Ces clauses ou actes donnent-ils apparemment naissance au privilège du vendeur, l'Art. 2108 du C. C. lui fait une obligation de compléter la transcription par un extrait on la reproduction des dispositions sur lesquelles peut ou pourrait être fondé ce privilège, sans aucune appréciation de leur validité de principe, ou de leur suffisance à l'égard de la loi.

Lorsque, par exemple, à l'occasion d'un acte de vente manifestement nul, tel que la vente du bien d'autrui, ou d'un bien dotal inaliénable, le prix stipulé n'est pas payé, le conservateur formalise l'inscription d'office dont la portée est identique à celle de la transcription.

De même, si les énonciations de l'acte transcrit sont incomplètes ou insuffisantes, le conservateur n'a pas s'ériger en juge pour se croire dispensé de les transposer dans l'inscription prévue par l'Art. 2108.

En fait, si le conservateur néglige sa mission sur ce point, il n'encourra, sans doute, aucune responsabilité, dans le cas où, plus tard, une décision de justice définitive reconnaîtrait qu'il n'y avait pas lieu à privilège de vendeur, mais, le vendeur, ou les tiers, en attendant la solution d'un point litigieux, reprocheront avec raison au conservateur d'être sorti de son rôle en prétextant une nullité de droit.

D'un autre côté, nul ne pourra faire grief à ce dernier, dans la même hypothèse, de s'être conformé aux devoirs de sa charge en inscrivant d'office un privilège de vendeur apparent, au moyen de la reproduction des clauses et énonciations y afférentes.

Les fonctions des conservateurs des Hypothèques, sont déjà assez lourdes de responsabilité, pour que ceux-ci, ne les aggravent pas sans nécessité en dehors des limites qui leur sont tracées.

En ce qui concerne la question posée par l'application du décret du 18 septembre 1950 (Art. 10) la grande majorité de ceux qui, sous l'empire de l'ancienne législation dont il est à peu près la reproduction, estimaient qu'il n'y avait pas lieu de prendre inscription d'office, en donnaient pour motif le défaut d'existence du privilège, même s'il était invoqué dans l'acte, en raison du caractère " hypothétique " de la prétendue créance du vendeur. Les partisans de la thèse contraire voyaient dans cette créance la contrepartie de celle du Trésor, simplement affectée d'une condition et ils attribuaient, par voie de conséquence, la même nature au recours éventuel du vendeur contre l'acquéreur; il en était de même du privilège garantissant ce recours.

Une hypothèse particulière est enfin à envisager, celle ou l'expédition transcrite ne reproduit aucune déclaration de l'acquéreur et " à fortiori " aucune indication de droits éventuellement exigibles, mais où la mention d'enregistrement révèle l'application de l'Art. 10.

Cette dernière thèse est admise aujourd'hui et a le soutien d'une partie, au moins, de la jurisprudence.(Voir surtout arrêt C. Paris 22 février 1943 confirmé par arrêt de la Cour de cassation du 17 novembre 1948, cités dans la première partie). Ces décisions posent d'ailleurs implicitement le principe que le privilège existe même en l'absence d'évaluation des droits d'enregistrement dont le vendeur peut être appelé à assumer la charge.

On ne voit pas, dès lors, pourquoi les conservateurs, en présence des principes rappelés plus haut, négligeraient de prendre, en toute hypothèse, l'inscription d'office d'un privilège dont le principe est certain, lorsque, l'acquéreur a déclaré dans l'acte qu'il entend se prévaloir de l'Art. 10 du décret du 13 septembre 1950.

Peu importe, à cet égard, que les dispositions de l'acte soient jugés plus tard incomplètes ou insuffisante. L'effet attribué à la transcription et à l'inscription d'office se confond et doit concorder pour les deux formalités.

Il en est, ainsi, notamment, lorsque le montant des sommes à conserver par le privilège n'a pas été " évalué ".

S'agit-il bien, d'ailleurs, d'une véritable évaluation ?

Les droits en suspens sont déterminés par un texte de portée législative, expressément mentionné dans l'acte. Le renvoi à ce texte, auquel s'applique la présomption de connaissance universelle résultant de sa promulgation, n'est-il pas plus précis qu'une évaluation puisque les tiers sont, ainsi, en mesure d'en déterminer le montant exact.

La situation est, pour ce motif, nouvelle et particulière ; elle n'est pas directement assimilable à celles qui ont fait l'objet d'arrêts anciens.

Quant à celui du 10 juillet 1944, il résolvait une affaire, où, pour des raisons non clairement exposées, le montant des droits en litige était incertain, contrairement à l'habitude. L'Administration avait, en effet modifié deux fois sa réclamation demandant d'abord 663.112 fr. 64 puis 816.760 fr. et enfin 586.158 fr. 96.

Quoiqu'il en soit de cette décision, dont la portée est peut-être, ainsi réduite, au point de vue qui nous intéresse, comme du jugement du 22 janvier 1947, les affaires en cause étaient, au principal, jugées entre parties au sujet de la valeur et de l'effet des clauses relatives au privilège du vendeur. La responsabilité du conservateur n'était qu'indirectement évoquée en cas d'omission d'inscription d'office, comme conséquence de la décision au principal, d'après les considérations de principe exposées ci-dessus. Aucune décision ne lui a reproché, au surplus, d'avoir formalisé cette inscription, au cas où elle était jugée sans portée.

Dans ce système, l'inscription d'office sera donc toujours prise lorsque l'acquéreur aura déclaré dans l'acte qu'il entend bénéficier des dispositions de l'Art. 10 du décret du 18 septembre 1950, sous une forme quelconque. Si les parties ont indiqué, dans 1e même acte, le montant des droits éventuellement exigibles ce montant sera reproduit tel quel dans l'inscription d'office, même s'il est inexact.

Il semble, à ce propos, que les partisans du premier système devraient, d'après leur doctrine, réduire, dans l'inscription ce montant aux droits réellement exigibles, s'il est trop élevé, puisque le surplus n'est certainement pas couvert par le privilège.

Quand l'acquéreur aura omis d'indiquer le montant des droits, le conservateur devra reproduire dans l'inscription, les éléments contenus dans l'expédition transcrite utiles à ce point de vue, savoir : le prix stipulé et la mention d'enregistrement donnant le détail des droits perçus.

Cette hypothèse peut se trouver réalisée soit que les énonciations figurant dans la minute aient été omises dans l'expédition transcrite, soit que la déclaration de l'acquéreur ait été souscrite postérieurement à l'acte lui même et hors la présence du vendeur (espèce ayant fait l'objet du jugement du 22 janvier 1947).

Il semble que le conservateur puisse être tenu pour implicitement informé de l'application de l'Art. 10 et, si aucun désistement du privilège n'a été stipulé, la prudence lui conseillera de formuler l'inscription. Sa responsabilité, s'il ne la prend pas, sera sans doute, très atténuée dans le premier cas. Dans le second, la déclaration de l'acquéreur peut avoir été ignorée du vendeur, puisque fait hors de sa présence, et on ne voit pas comment ce dernier ferait mentionner dans l'acte, le montant des droits éventuellement dus au Trésor, étant observé qu'il est seul intéressé à l'insertion de cette mention.

Dans les deux alternatives de cette dernière hypothèse, l'inscription d'office révélerait seulement la mention des droits d'enregistrement perçus.

Le Bureau de l'A.M.C. a décidé d'accorder son appui aux collègues qui seraient assignés pour n'avoir pas pris cette inscription lors de la transcription d'actes d'acquisition de terrains à bâtir où la créance éventuelle du vendeur contre l'acquéreur n'était ni évaluée ni même mentionnée.