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Art. 56

PROCEDURE.

I. - Décision judiciaire mettant en cause la responsabilité d'un Conservateur.
Tierce opposition de l'A.M.C. Recevabilité
.

II. - A) Action en dommages-intérêts dirigée contre un Conservateur pris impersonnellement. Irrecevabilité.
- B) Action et radiation engagée dans les mêmes conditions. Recevabilité.

I. - L'Association mutuelle des Conservateurs des Hypothèques est fondée à former une tierce opposition, basée sur la défense des intérêts matériels et moraux des conservateurs, contre un arrêt, qui a méconnu le principe de la responsabilité de ses membres.

II. - S'il est exact que la radiation d'une hypothèque peut être l'objet d'une action en justice dirigée contre le conservateur en fonctions qui a seul qualité pour l'opérer, il en est autrement lorsqu'un conservateur est poursuivi en responsabilité d'une faute professionnelle.

Par suite, un arrêt doit être annulé du chef de la condamnation à des dommages-intérêts qu'il a prononcée contre un conservateur non dénommé pour avoir indûment refusé de procéder à une radiation. L'arrêt est au contraire régulier en ce qu'il a condamné impersonnellement le conservateur en fonctions à opérer cette formalité.

Arrêt de la Cour d'Alger du 16 novembre 1949.

La Cour,

Attendu que l'Association mutuelle des Conservateurs des Hypothèques a formé tierce opposition à un arrêt rendu à la date du 18 juillet 1946 par la Cour d'appel;

Qu'en la forme cette tierce opposition est recevable

Au fond: Attendu que l'Association, tierce intervenante, soutient que par l'arrêt qu'elle critique la Cour aurait substitué au principe de la responsabilité personnelle de Conservateur, une sorte de responsabilité de groupe ou de fonctions contraire aux statuts de ses mandants; Qu'elle serait donc fondée à demander la rétractation du dit arrêt et demander à la Cour de dire que le Conservateur des Hypothèques d'Alger ne pouvant être poursuivi impersonnellement pour des fautes professionnelles, il devait être mis hors de cause, à l'occasion des poursuites en responsabilité intentées par les sieurs Rozazza et Daupin ;

Attendu que ces derniers, ainsi que le Crédit Lyonnais, s'opposent à ces prétentions, déclarant que s'ils ont été contraints d'assigner le conservateur en fonctions sans rechercher son identité, c'est que, en raison du retard apporté à la radiation de leur hypothèque, seul le Conservateur en fonctions avait qualité pour opérer cette radiation ;

Que, s'agissant de réclamer la réparation du préjudice subi par eux, ils ne pouvaient également que rechercher à Conservateur en fonctions, sauf lui de se retourner contre l'auteur de la faute professionnelle;

Attendu que les consorts Douieb, M° C... et M. Vogt, Conservateur actuellement des hypothèques (1er Bureau à Alger) déclarent s'en rapporter à Justice ;

Sur ce, attendu en fait que Rozazza et Daupin, à l'occasion d'une résistance opposée par le Conservateur des hypothèques (1er bureau d'Alger) à la radiation d'une hypothèque grevant un immeuble acquis par eux des consorts Douieb, avaient assigné le Conservateur, avec d'autres défendeurs, pour entendre ordonner; par autorité de justice, la radiation de cette sûreté particulière, leur réclamant conjointement et solidairement entre eux une somme de 50.000 francs à titre de dommages-intérêts ;

Attendu qu'en première instance M. Gaubert, Conservateur en fonctions, avait comparu pour défendre sa gestion personnelle sans que cependant les consorts Rozazza et Daupin, ni aucun des défendeurs, n'aient jamais pris aucune conclusion contre lui personnellement;

Qu'en cause d'appel, leur attitude a été la même alors que le Conservateur du moment était M. Gulphe et que celui-ci avait opportunément rappelé que, n'ayant pas été partie personnellement aux débats de première instance, il ne pouvait y être appelé devant la Cour pour là première fois;

Attendu que c'est en raison de ces errements de procédure que la Cour a rendu l'arrêt du 10 juillet 1946 qui a ordonné la radiation de l'hypothèque litigieuse par le Conservateur du 1er bureau, contre lequel elle a prononcé une condamnation à des dommages-intérêts envers Rozazza et Daupin;

Attendu ainsi que, si une condamnation impersonnelle est intervenue à l'encontre du Conservateur des hypothèques de la Conservation d'Alger, premier bureau, c'est que la procédure était dirigée contre le Conservateur non dénommé;

Que ces errements se sont poursuivis de telle sorte que la Cour y a répondu par un arrêt conforme;

Attendu que, saisie d'une demande d'interprétation de cet arrêt par les consorts Douieb, la Cour, par un arrêt du 21 février 1949, a déclaré qu'elle n'avait pas à dire lequel de Gaubert ou de Gulphe était tenu des condamnations prononcées, sa décision n'étant ni ambiguë, ni obscure eu égard aux conclusions dont elle avait. été saisie au cours des débats ;

Mais attendu que l'action de la mutuelle constituant une voie de recours contre le même arrêt remet les choses en état devant la Cour, fondée à examiner dans quelle mesure l'arrêt attaqué préjudicie aux intérêts de la Mutuelle des Conservateurs;

Attendu, sur ce point que, s'il est exact que la radiation d'une hypothèque peut être l'objet d'une action en justice dirigée contre le Conservateur en fonctions qui, seul, évidemment, a qualité pour l'opérer, il en est tout autrement lorsqu'un Conservateur est poursuivi en responsabilité d'une faute professionnelle

Qu'il est constant que les conservateurs sont personnellement responsables de leurs fautes professionnelles et que seuls ceux qui les ont commises en doivent compte à ceux qui en ont souffert;

Attendu que si Rozazza et Daupin et les codéfendeurs ont perdu de vue la discrimination à opérer entre la mesure d'ordre administratif à faire prendre par le Conservateur des hypothèques, représenté par le Conservateur en fonctions, et la responsabilité personnelle d'un Conservateur nommément désigné et auteur une faute, cette erreur d'appréciation n'aurait pas dû, du moins, échapper à la Cour qui ne pouvait prononcer une condamnation impersonnelle contre le Conservateur des Hypothèques sans courir le risque, d'ailleurs réalisé; de rendre ainsi une décision pratiquement inexécutable comme elle le déclare implicitement dans son arrêt du 21 février 1949

Attendu que la Mutuelle des Conservateurs est donc fondée en sa tierce opposition basée sur la défense des intérêts matériels et moraux des conservateurs, alors que le principe de la responsabilité de ses adhérents a été méconnu par l'arrêt attaqué ;

Attendu toutefois que la Cour ne saurait faire droit à ses conclusions, tendant à la rétractation dudit arrêt par la mise hors de cause du Conservateur des Hypothèques;

Que par cette décision en effet la Cour statuant sur la demande principale de Rozazza et Daupin a ordonné la radiation d'inscription hypothécaire, mesure que, seul, le conservateur en fonctions avait qualité pour opérer;

Que dès lors la portée de la tierce opposition est limitée aux dommages-intérêts alloués à Rozazza ;

Attendu que la solution donnée à la présente action de la Mutuelle implique le rejet des demandes reconventionnelles formées par Rozazza et Daupin et le Crédit Lyonnais

Attendu en ce qui concerne les demandes reconventionnelles des consorts Douieb et de M° C..., que leur mise en cause était rendue nécessaire parce que part aux débats ayant abouti à l'arrêt du 10 juillet 1946; qu'elle n'a pas été faite dans le but de leur nuire et de mauvaise foi; que leurs demandes ne sont pas justifiées

Par ces motifs :

En la forme : Reçoit la tierce opposition de la Mutuelle des Conservateurs des hypothèque ;

Au fond : Y faisant droit, mais pour partie seulement, annule la partie du dispositif de l'arrêt de la Cour du 10 juillet 1946, en ce qu'il a condamné le Conservateur des hypothèques (1er bureau de la Conservation d'Alger) pris à titre impersonnel à payer aux consorts Rozazza et Daupin des dommages-intérêts; l'annule également en ce qu'il a condamné le même conservateur pris impersonnellement à une partie des dépens; maintient le dispositif dudit arrêt pour le surplus;. déboute Rozazza et Daupin, le Crédit Lyonnais, M° C:.., les consorts Douieb, de leur demande reconventionnelle et, vu les circonstances de la cause : Fait masse des dépens de la tierce opposition qui demeureront supportés par tiers par la Mutuelle, Rozazza et Daupin et le Crédit Lyonnais, distraits aux avoués de la cause

Observations. - La question qui se posait était la suivante:

Un conservateur, sur le point d'être remplacé, refuse indûment une radiation. Contre qui l'intéressé à la radiation doit-il poursuivre cette radiation et la réparation éventuelle du dommage causé par ce refus ? (J. N. Art. 42-086.)

Les partis ont décidé d'agir contre le conservateur du bureau où doit s'effectuer la radiation, pris impersonnellement, quitte à qui paiera à se retourner contre le collègue, auteur du refus ;

Les premiers juges n'ont pas admis cette manière de voir ; mais les magistrats de la Cour l'ont partagée et ils ont remis en cause le conservateur pris toujours impersonnellement. Il en est d'ailleurs résulté, comme le reconnaît la Cour, une décision pratiquement inexécutable du fait que le Conservateur assigné en première instance n'était pas en fonctions au moment de l'appel et que le Conservateur intimé avait cessé ses fonctions lors de la signification de l'arrêt.

Alarmée, à juste titre, de la reconnaissance d'un principe de responsabilité de groupe entre conservateurs - que vainement on chercherait dans l'arsenal des lois - l'A.M.C., organe de défense des conservateurs, s'est empressée de former tierce opposition, à la suite de quoi est intervenu l'arrêt rapporté ci-dessus.

Cet arrêt commence d'abord par repousser le principe de responsabilité de groupe : « Les Conservateurs, constate-t-il, sont personnellement responsables de leurs fautes professionnelles, et seuls, ceux qui les ont commises en doivent compte à ceux qui en ont souffert. » Il fait droit ainsi à la tierce opposition formée par l'A.M.C.

Toutefois, il croit devoir relever une erreur « qui n'aurait pas dû échapper à la Cour » commise par les demandeurs, et ayant consisté à perdre de vue la discrimination à opérer entre:

1° La mesure d'ordre administratif (la radiation) à faire prendre par le Conservateur des hypothèques représenté par le conservateur en fonctions ;

2° La responsabilité personnelle d'un conservateur nommément désigné et auteur d'une faute.

Ainsi, la réponse à la question posée au début de ces observations, serait d'après la Cour, la suivante :

a) Demande en radiation : Mise en cause du conservateur en fonctions pris impersonnellement;

b) demande en dommages-intérêts : Mise en cause de l'auteur du refus nommément désigné.

Si la deuxième partie de cette réponse ne peut qu'être approuvée, il n'en va pas de même de la première.

Du moment, où le principe, non contestable, du défaut de solidarité entre conservateurs est admis, on ne voit vraiment pas le motif pour lequel le second titulaire pourrait être impliqué dans une action engagée contre le premier, à quelque point de vue que ce soit.

Annoter : C.M.L., n° 1599 C, 1412 et 2077, Jacquet et Vétillard, V. Jugement de radiation n° 57