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Art. 61

DROIT DE TRANSCRIPTION.

- TAXE HYPOTHECAIRE.

SALAIRES.

Pacte de préférence accessoire à un contrat de vente.

Question. - L'acquéreur d'un appartement s'engage, dans l'acte d'acquisition, pour le cas où il désirerait le revendre, à donner la préférence aux copropriétaires de l'immeuble. Cette stipulation rend-elle exigibles les droits d'hypothèques et les salaires, indépendamment de ceux perçus lors de la transcription de l'acquisition ?

Réponse. - La solution de cette question dépend des circonstances dans lesquelles le pacte de préférence a été stipulé.

Cette clause est un contrat par lequel le propriétaire d'un bien promet de le vendre à une personne déterminée, de préférence à toute autre, pour le cas où il se déciderait à l'aliéner, et généralement au prix et à des conditions que lui offriraient des tiers pour acquérir ce même bien. Le pacte de préférence est souvent stipulé dans les baux de longue durée au profit du locataire désireux d'obtenir en fin de jouissance la propriété de l'immeuble à lui loué et d'en écarter des tiers. Il peut également intervenir en faveur du vendeur lui-même qui, abandonnant pour des motifs de nécessité la propriété de son bien; veut s'assurer le droit d'être préféré à tout autre amateur, si l'acquéreur venait a l'aliéner à son tour.

Ce n'est pas une vente, puisque le consentement de l'acheteur éventuel ne peut exister que si le propriétaire lui offre ce bien ; ce n'est pas non plus une simple promesse de vente, puisque celui qui a promis la préférence reste libre de ne pas vendre; c'est une convention analogue à la promesse unilatérale de vent plutôt une promesse conditionnelle de vente dans laquelle le promettant ne s'engage pas à vendre, mais seulement à accorder au bénéficiaire un droit de préférence au cas où il se déterminerait à vendre (Planiol et Ripert, X, n° 184 et s. ; - Beudant, XI, n° 320.)

Il n'engendre pas un droit réel, mais un droit personnel ; son bénéficiaire ne pourrait, si le promettant vendait à une autre personne, en violation de son engagement, qu'intenter une action en dommages-intérêts. (Cass. req. 9 juillet 1834 ; S. 34, 1, 741 ; - Cass. req. 15 avril 1902 ; D.P. 1903, 1, 38; - Aubry et Rau, IV, §§ 349, p. 11, et 352, p. 44.)

La transcription de l'acte constatant cette clause n'est donc pas, en principe, obligatoire, pas plus que ne l'est la promesse unilatérale de vente.

Cependant, la doctrine et surtout la jurisprudence admettent, dans certains cas, l'annulation de la vente consentie à un tiers, au mépris des droits du bénéficiaire, lorsque le promettant, malgré son engagement, vient à vendre l'immeuble à un tiers qui avait connaissance du pacte, notamment par les termes de son propre contrat, le bénéficiaire est fondé à demander au tiers de mauvaise foi le délaissement de l'immeuble, en vertu de la maxime « fraus omnia corrumpit ». (Cass. req. 15 avril 1902 précité; - 12 janvier 1926; S. 26, 1, 183; D.H. 1926, 116; - Rapp. C. d'Aix, 28 novembre 1949; Sem. jurid. 1950, II, n° 5417; - Planiol et Ripert, X, n° 185.)

Le bénéficiaire du pacte de préférence peut, dans ces conditions, avoir intérêt à faire transcrire l'acte d'où il le tient ; Dès lors, et bien que s'agissant d'un droit purement personnel dont la transcription n'est pas obligatoire, l'accomplissement de cette formalité constitue, en principe, le fait générateur du droit de transcription, de la taxe hypothécaire et des salaires.

Toutefois, on doit, semble-t-il, distinguer suivant que le pacte donne lieu à l'établissement d'un acte particulier, ou qu'il est inclus dans un autre acte.

I. - S'il fait l'objet d'un acte distinct, qui n'est pas rattaché à un autre contrat, dont il puisse être considéré comme la condition ou une disposition indépendante, sa présentation à la formalité donne, sans aucun doute, ouverture au droit de transcription, à la taxe hypothécaire et aux salaires.

Mais le mode de liquidation de ces droits semble soulever des difficultés.

En ce qui concerne le droit de transcription, l'analogie qui existe entre le pacte de préférence et la promesse unilatérale de vente conduirait à prendre, pour le premier, comme base de liquidation, la valeur vénale de l'immeuble sur lequel il s'exerce. En effet, la transcription volontaire de la promesse unilatérale de vente rend exigible le droit de transcription sur le prix stipulé, ou, à défaut de prix indiqué, sur la valeur vénale de l'immeuble (Cass. civ. 18 juillet 1882 ; Instr. 2673, § 9 ; Cass. req. 21 janvier 1896 ; Instr. 2910, § 3 ; - Chambéry, 14 mars 1902 ; R.E. 2994), sauf imputation de ce droit sur celui qui sera perçu lors de l'enregistrement et de la transcription du contrat d'acquisition définitive, conformément au principe suivant lequel une même mutation ne saurait motiver qu'un seul droit de transcription. (Cf. Cass. civ. 18 juillet 1882 précité ; Instr. 2673, § 9, page 244 ; - Sol. 31 mai 1888 ; Rev. prat. 2633 ; - Chambéry, 11 mars 1902 précité)

Cependant, il paraît rigoureux d'appliquer cette règle de liquidation au pacte de préférence. L'Administration elle-même a été amenée, dans certains cas; à asseoir le droit de transcription sur la valeur des actions susceptibles d'être exercées à l'égard d'un bien immobilier, non pas sur la valeur de ce bien, mais sur la valeur de ces actions lorsque celles-ci n'affectent l'immeuble que d'une manière imparfaite, incidente, indirecte ou accessoire; tel est le cas des conventions d'indivision stipulées par les coacquéreurs d'un immeuble et qui, en présence du caractère accessoire de l'action en partage à laquelle les coacquéreurs renoncent, sont taxées sur la valeur de cette action an lieu de l'être sur la valeur de l'immeuble (Sol. 10 juillet 1872; J.E. 19535; - D.E. V° Hyp., n° 826; - de France, n° 297 et 327, II) ; on peut même se demander si, depuis le décret du 30 octobre 1935 qui a modifié le régime de la transcription, les conventions d'indivision ne doivent pas être considérées comme des actes « déclaratifs », soumis par conséquent à la formalité, mais exempts du droit de transcription.

Quoi qu'il en soit, la même base de liquidation, c'est-à-dire la valeur du droit faisant l'objet de la transcription, semble mieux répondre à la nature du pacte de préférence puisqu'il s'agit là d'un droit personnel dont la réalisation est subordonnée à la double condition de la volonté de vendre du promettant et de l'acceptation d'acquérir par le bénéficiaire, le tout à un prix inconnu lors de la conclusion du pacte et, qui sera déterminé seulement au moment de la réunion de ces deux volontés et de la fixation du prix par un tiers.

Ajoutons que le droit de transcription ainsi perçu ne paraît pas imputable sur celui auquel donnera ouverture la réalisation de l'acquisition, car le pacte de préférence et sa réalisation ne constituent pas une même mutation.

Quant à la taxe hypothécaire, son exigibilité sur le pacte de préférence stipule en dehors d'un autre contrat, ne fait aucun doute; toute convention présentée à la formalité, alors même qu'elle se rattacherait à un autre acte, est en effet soumise à la perception de ce droit.

D'autre part, d'après l'art. 2, § 1er de la loi du 27 juillet, 1900, la taxe hypothécaire se liquide « sur le prix ou la valeur des immeubles ou des droits qui font l'objet de la transcription ». Par cette expression « droits », le législateur a entendu viser les droits ou actions « qui, à côté ou en dehors de la propriété elle-même, envisagée dans son ensemble, ont une existence distincte et personnelle, pour laquelle la transcription peut offrir une utilité quelconque... et, dans ce cas, l'intérêt de la transcription a pour mesure la valeur ou le prix du droit transcrit » (Seine, 19 juin 1903 ; R.E. 3380 ; J.C. 5601). Si l'Administration et la Jurisprudence ont décidé, en matière de taxe hypothécaire, que la valeur imposable d'un droit ou d'une action afférent à un immeuble n'est autre chose que la valeur de celui-ci, c'est, semble-t-il, pour des motifs et dans des cas tout particuliers. Ainsi, la ratification d'une vente d'immeuble entachée d'une nullité relative (immeuble appartenant à un mineur) donne ouverture à la taxe sur le prix de la vent ratifiée, parce que l'action en nullité à laquelle le ratifiant renonce et qui aurait abouti au remboursement du prix à son profit, a pour effet de consolider la propriété du bien entre les mains de l'acquéreur; par suite, la valeur de cette action ne peut être que celle de l'immeuble lui-même (Seine, 30 octobre 1914; R.E. 6165; J.C. 7611 ; - Sol 24 novembre 1900; R.E. 2560; J.C. 5263; - 7 février 1901 ; R.E: 2694, III; J.C. 5319; - 4 mai 1923; J.C. 9093). Il a également été reconnu que la transcription de la renonciation, par le vendeur, à l'action résolutoire que la loi lui confère à défaut de paiement du prix, rend la taxe exigible sur le montant de ce prix et non sur la valeur de l'action résolutoire, car cette renonciation consolide les droits de l'acquéreur et confirme la mutation de l'immeuble son profit (Seine, 19 juin 1903 précité; C.F. Sol 1er mai 1901; R.E. 2694, IV; J.C. 5317; Instr. 2910 § 3).

Mais les raisons qui justifient ce mode de liquidation semblent difficilement admissibles pour le pacte de préférence ; le droit qui appartient à son bénéficiaire n'a pas, comme la ratification ou la renonciation à l'action résolutoire, pour résultat de consolider la propriété de l'immeuble entre les mains de l'acquéreur ou du vendeur qui la détient ou l'abandonne d'une manière imparfaite ou conditionnelle. Sans doute le pacte de préférence a-t-il pour objet de faire acquérir à son bénéficiaire la propriété de l'immeuble, et, encore, sa réalisation dépend-elle de la volonté de vendre du promettant et de la fixation d'un prix par le tiers ; mais si le promettant vend à ce tiers, sans offrir la préférence au bénéficiaire, celui-ci n'a qu'une action en dommages-intérêts et, si la mauvaise foi du tiers acquéreur peut être établie, cette action ne peut aboutir qu'à la résolution du contrat, de telle sorte qu'en toute hypothèse l'exercice du droit de préférence ne permettra pas à son bénéficiaire d'obtenir la propriété de l'immeuble. Dans ces conditions, il parait plus logique de conclure que la taxe hypothécaire doit être liquidée, non sur la valeur de l'immeuble, mais seulement sur la valeur du droit de préférence, déterminée par une déclaration estimative.

Enfin, la perception des salaires doit être effectuée d'après les mêmes considérations, c'est-à-dire suivant les termes du décret. du 29 octobre 1948 « sur les sommes énoncées ou la valeur estimée par les requérants... des droits faisant l'objet de la transcription ».

II. - Lorsque, au contraire, le pacte de préférence est inclus dans une convention, de telle sorte qu'il puisse en être considéré comme une condition on une disposition dépendante sans laquelle cette convention n'aurait pas été conclue, il n'est dû ni droit de transcription, ni taxe hypothécaire en dehors de ceux que la transcription de la convention rend exigibles. La même conclusion s'impose, pour les mêmes motifs, en ce qui concerne les salaires.

Ainsi, dans le cas où le vendeur d'une partie d'immeuble consent, par le même acte au profit de l'acquéreur, un pacte de préférence portant sur le surplus de la propriété, et que l'ensemble fait l'objet d'une seule et même transcription, le pacte n'est pas autre chose qu'une condition de la vente et il est permis de soutenir que le prix stipulé a été déterminé en considération de l'existence du pacte et que celui-ci a sa contrepartie dans le prix stipulé.

C'est d'après ces principes, semble-t-il, qu'il conviendrait de résoudre la question posée. Le pacte de préférence dont bénéficient les copropriétaires de l'immeuble dans l'éventualité ou l'acquéreur de l'appartement se déciderait à le revendre, ne donnerait, lieu à aucune perception particulière, s'il résultait du contrat que l'acquisition de cet appartement était subordonnée à la promesse fait par l'acquéreur de donner la préférence aux vendeurs.

Il va de soi, enfin, qu'en l'absence de tout lien matériel ou juridique établissant la dépendance de la convention e du pacte de préférence, l'acte qui les renfermerait n'impliquerait aucune idée d'indivisibilité et que sa transcription emporterait l'ouverture de droits et de salaires distincts sur la convention et sur le pacte de préférence.

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Telle est l'opinion du Comité de Rédaction sur cette question.

Il est fait toutefois remarquer. qu'en matière de taxe hypothécaire, l'Administration paraît jusqu'à présent, s'en tenir une règle différente; d'après sa doctrine, la taxe hypothécaire doit toujours être liquidée sur la valeur de l'immeuble, autant de fois que celui-ci est soumis à la transcription, à titre principal ou accessoire (de France, n° 327 - 11)

Un peut supposer qu'elle sera amenée à se rallier an point de vue qui vient d'être exposé et qu'elle appliquera avec moins de rigueur le principe qu'elle a soutenu; les élévations successives qu'elle a subies tendent à donner à la taxe hypothécaire un caractère tout différent de celui qui lui avait été attribué dès l'origine, c'est-à-dire d'une taxe de remplacement des droits de timbre supprimés par la loi du 27 juillet 1900 à l'égard des actes et, pièces présentés à la transcription.

Annoter : de France, n° 327 - II et IV, 369 -3°, 563: - C.M.L., n° 1926, 1945 bis-2°