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Art. 70

ETATS HYPOTHECAIRES.

Inscription générale radiée partiellement et renouvelée dans les mêmes termes généraux que l'inscription primitive.
Inscription à comprendre dans l'état requis sur l'immeuble que la radiation partielle avait dégrevé d la première inscription.

Pour apprécier si une inscription grève un immeuble déterminé et doit, par suite, être comprise dans l'état requis sur cet immeuble, le Conservateur a le devoir de s'en tenir aux énonciations du bordereau d'inscription qu'il n'a pas pour mission de contrôler.

En particulier, dans le cas où une inscription générale, après avoir fait l'objet d'une radiation partielle, est renouvelée sans que le bordereau de renouvellement fasse état de ces radiations, ni ne désigne les immeubles qui restent grevés, l'hypothèque frappe à nouveau tous les immeubles sur lesquels elle portait à l'origine.

Par suite, lorsqu'il est requis de délivrer un état sur l'immeuble qui a été libéré de l'inscription primitive par la radiation partielle, le conservateur doit y mentionner l'inscription renouvelante qui ne rappelle pas cette radiation;

Pontoise, 12 juillet 1950.

Le Tribunal,

Attendu que S... et la demoiselle S... ont, par exploit du 27 août 1948, assigné le Conservateur, à P..., et P..., syndic de faillites, pour s'entendre condamner solidairement au paiement la somme de 500.000 francs de dommages-intérêts;

Attendu que le conservateur B..., actuellement retraité, a conclu au débouté et s'est porté reconventionnellement demandeur en 5.000 francs de dommages-intérêts;

Attendu que P..., a également conclu au débouté et s'est porté reconventionnellement demandeur en 25.000 francs dommages-intérêts;

Que, dans ses dernières conclusions, il a demandé subsidiairement au Tribunal de dire que le préjudice de S.., s'élevait à la somme de 11.000 fr.

Sur l'action du Conservateur :

Attendu que les demandeurs exposent que, suivant acte reçu par M° P..., notaire à ..., le 12 mai 1947, ils ont vendu une propriété à la commune d'A..., moyennant le prix de 1.600.000 francs stipulé payable après l'accomplissement des formalités de transcription et de purge, au plus tard dans un délai de quatre mois, sans intérêt jusqu'à cette date et avec intérêts au taux de 6 p. 100 en cas de retard.

Que, lors de la transcription de cette vente, l'état délivré par le Conservateur révéla deux inscriptions prises par le syndic P..., les 20 juillet 1946 et 18 octobre 1946 au profit de la masse des créanciers de la faillite P..., en renouvellement de l'inscription ordinaire du 19 janvier 1935.

Que cependant, en vertu d'un règlement d'ordre en date du 30 septembre 1936, une radiation partielle de cette inscription était intervenue le 9 décembre 1936 en ce qui concerne l'immeuble qui aurait dû par suite être exclu des inscriptions prises en renouvellement.

Que S..., se vit contraint de verser à P..., une somme de 11.000 francs à la date du 19 novembre 1947 pour obtenir la mainlevée des inscriptions prises à tort, qui ne furent radiées que le 14 janvier 1948; que les demandeurs ne purent toucher le prix de vente que le 22 mars 1948, soit avec un retard de six mois, ce qui, en plus des frais qu'ils ont dû engager, leur fait subir un préjudice très important.

Attendu que les demandeurs prétendent que le Conservateur aurait commis dans l'exercice de ses fonctions, une faute ou une négligence préjudiciable engageant sa responsabilité.

Mais attendu qu'aux termes des Art.s 2150 et 2199 du Code civil, le Conservateur fait mention sur son registre des dépôt des bordereaux et qu'il ne peut, dans aucun cas, refuser ni retarder l'inscription des droits hypothécaires ni la délivrance des certificats requis, soue peine de dommages-intérêts aux parties.

Attendu qu'il résulte de la jurisprudence de la Cour de Cassation que le Conservateur, requis de renouveler une inscription pour la garantie d'un privilège, n'a pas à se faire juge de la question de savoir si le privilège qu'il s'agit de conserver est ou non éteint.

Qu'il n'est pas le juge de la valeur des actes qui lui sont présentées pour être transcrits et qu'il ne pourrait, sous prétexte de la nullité de ces actes, refuser d'accomplir la formalité.

Qu'en outre, lorsqu'il est requis de délivrer un état hypothécaire sur un immeuble déterminé, il doit y comprendre toutes les inscriptions. subsistantes (Req. 6 mai 1,696, D. P. 96-1-415 ; Civ. 15 mai 1901 D. P. 1902-1-411).

Attendu qu'en l'espèce le Conservateur, requis par P..., sans restriction ni réserve, de renouveler l'inscription du 19 janvier 1935, avait le devoir de se conformer strictement aux énonciations des bordereaux qu'il n'avait pas mission de contrôler.

Attendu par ailleurs que le Conservateur, en refusant la radiation des inscriptions à la seule demande de S..., n'a fait que se conformer aux dispositions de l'Art. 2157 du Code Civil qui dispose que les inscriptions sont radiées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée.

Qu'il ressort ainsi des faits de la cause que le Conservateur, en procédant comme il l'a fait, s'est renfermé dans l'exercice de ses fonctions et doit être exonéré de toute responsabilité.

Sur l'action contre P... :

Attendu que si en règle générale, il n'est pas nécessaire d'indiquer dans l'inscription d'une hypothèque judiciaire, à cause de son caractère de généralité, l'espèce de la situation des biens sur lesquels le créancier entend conserver son hypothèque, cette règle est inapplicable au renouvellement d'une inscription de cette nature lorsque, dans l'intervalle, l'effet de cette inscription a été restreint par suite de radiations partielles;

Que créancier doit dans ce cas, sous peine d'exposer des dommages-intérêts au profit du propriétaire des immeubles qui ont cessé d'être soumis à l'hypothèque, mentionner dans le renouvellement les radiations partielles et désigner, soit les immeubles sur lesquels l'hypothèque continue à exister, soit ceux qui en sont libérés. (Req. 11 mars 1874, D.P. 74-1-293);

Attendu que P..., syndic de faillite, en renouvelant sans restrictions l'inscription originaire après qu'elle avait été radiée partiellement, l'a fait porter sur l'immeuble qui en était affranchi;

Qu'il a ainsi commis une faute qu'il aurait du réparer en donnant immédiatement la mainlevée qui lui a été demandée par S...;

Qu'il doit être déclaré responsable des conséquences de son refus.

Attendu que P... a conclu en soutenant que l'état sur transcription délivré par le Conservateur et communiqué en copie par les consorts S... ne portait pas trace des mentions hypothécaires dont l'inscription lui est reprochée; que la commune d'A... n'avait dans ces conditions aucun motif pour refuser de payer ;

Qu'au surplus, S... n'établit pas que la commune ait été mise en demeure et ait refusé de payer à :défaut par le vendeur de rapporter la justification de la mainlevée de l'inscription;

Qu'au contraire il résulte des pièces versées aux débats que le paiement a été effectué sur les crédits de 1948, ce qui exclut la possibilité d'un paiement en 1947;

Mais attendu que la mairie d'A... écrivait à S... le 20 juin 1947: « Nous sommes avisés que les fonds destinés à l'achat de votre propriété seront mis à notre disposition pour le 25 juin, nous avons prévenu le notaire, mais il serait nécessaire que vous interveniez de votre côté pour hâter la remise de l'acte de vente à la mairie »;

Que, d'autre part, le notaire P... écrivait à S..., le 5 novembre 1947: « La mairie d'A... m'indique qu'elle voudrait bien en terminer avec la vente que vous leur avez consentie. Où en êtes vous en ce qui concerne la radiation de l'inscription qui a été relevée sur l'immeuble? »;

Que, par lettres des 16 et 29 décembre 1947, le même notaire réclamait à P... l'état des inscriptions hypothécaires, afin d'effectuer le règlement définitif ; qu'il résulte de l'ensemble de cette correspondance que la commune d'A... désirait et pouvait payer dès le 25 juin 1947 et que le retard apporté au règlement des prix est dû uniquement à l'existence des inscriptions hypothécaires prises à tort sur l'immeuble par le syndic;

Attendu que P... a conclu subsidiairement en soutenant que le préjudice subi ne serait que de 11.000 francs, somme que S,... a dû verser au syndic pour obtenir la mainlevée de la saisie;

Qu'aux termes de l'Art. 1153 du Code civil, dans les obligations qui se bornent au paiement d'une certaine somme d'argent les dommages-intérêts résultant du retard dans l'exécution ne consistent jamais que dans la condamnation aux intérêts fixés par la loi;

Que S... n'a subi de ce chef aucune espèce de préjudice, les intérêts de la somme payée tardivement par la commune d'A... lui ayant été réglés en même temps que le prix principal;

Mais attendu que les dispositions de l'Art. 1153 du Code Civil relatives à la fixation forfaitaire des dommages-intérêts résultant du retard apporté par le débiteur d'une somme d'argent, dans l'exécution ne sauraient trouver application en l'espèce ;

Que le créancier peut d'ailleurs obtenir des dommages-intérêts distincts des intérêts moratoires en prouvant un préjudice indépendant du retard causé par la mauvaise foi ou la faute du débiteur ;

Attendu que les demandeurs sont fondés à réclamer à P... l'intégralité du dommage subi par sa faute;

Qu'il convient d'observer qu'ils ont touché, en même temps que le prix principal, la somme de 51.551 francs pour intérêts de retard;

Qu'ils prétendent avoir subi un préjudice supplémentaire, à raison de la diminution du pouvoir d'achat de la somme de 1.600.000 francs qui leur revenait, mais que cette diminution a été peu importante de septembre 1947 mars 1948;

Qu'en tenant compte de la somme de 11.000 francs qu'ils ont dû débourser pour obtenir la mainlevée, il paraît équitable d'évaluer la totalité du préjudice subi à 25.000 francs.

Sur la demande reconventionnelle du Conservateur :

Attendu que l'action en justice est un droit dont l'exercice ne dégénère en faute pouvant donner ouverture à dommages-intérêts que s'il constitue un acte de malice ou de mauvaise foi où tout au moins une erreur grossière équipollente au dol;

Que l'action des demandeurs à l'encontre du Conservateur ne présentant pas ce caractère, il convient de débouter ce dernier de ses demandes de dommages-intérêts. ;

Sur la demande reconventionnelle de P... :

Attendu que l'action dirigée par les demandeurs contre P... étant fondée, il y a lieu de débouter ce dernier de sa demande en 25.000 francs de dommages-intérêts qui n'a d'ailleurs pas été reprise dans ses dernières conclusions.

Déboute les demandeurs de leur action contre le Conservateur des Hypothèques;

Condamne P... à payer aux demandeurs, pour les causes sus-énoncées la somme de 25.000 francs à titre de dommages-intérêts avec intérêts de droit à compter du présent jugement;

Déboute B... et P... de leurs demandes reconventionnelles en dommages-intérêts;

Condamne P... aux dépens...

Observations. - En matière de délivrance d'états, le Conservateur a un rôle passif. Pour apprécier si une inscription grève l'immeuble désigné dans la réquisition, il doit s'en tenir aux énonciations de cette inscription ; il n'a pas à se faire juge de sa valeur juridique (de France, n° 543-II C.M.L. n° 1614; Jacquet, Traité des états, n° 217; Cass. req. 6 mai 1896, D.P. 1896-1-445; J.C. 4780; Cass. civ. 15 mai 1901, D.P 1902-I-441 S. 19011-313, J.C: 5321).

Spécialement; il doit faire figurer dans l'état portant sur un immeuble déterminé l'inscription requise en termes généraux en renouvellement d'une précédente également prise en termes généraux, lorsque le bordereau de l'inscription renouvelante ne rappelle pas la radiation partielle dont l'inscription primitive avait fait l'objet et qui avait libéré l'immeuble désigné dans la réquisition, ni n'indiquant que cet immeuble n'était plus grevé (Lyon, 8 mai 1873, D.P.11874-1-294). La Cour de Cassation décide, en effet, qu'une inscription ainsi rédigée grève la totalité des immeubles visés dans l'inscription renouvelée, y compris ceux qui avaient été déchargés de cette inscription par la radiation partielle (réq. 11 mars 1874, D.P. 1874-1-294, S 1874-1-337; J.C. 2878) et que cette radiation partielle, du moment où elle n'est pas rappelée dans l'inscription renouvelante, n'autorise pas le Conservateur à s'abstenir de délivrer cette dernière inscription dans l'état requis sur l'immeuble libéré de l'inscription originaire.

Le tribunal de Pontoise fait application de ces principes. Sa décision ne peut dès lors qu'être approuvée.

Annoter : C.M.L., n; 1860; Jacquet, Traité des états n° 267 de France n° 543-II.