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Art. 107

I. - PROCEDURE

Modèle de conclusions à présenter devant les tribunaux.

Il. - HYPOTHEQUE LEGALE DE LA FEMME MARIEE

Radiation. - Instance engagée contre le Conservateur. - Modèle de conclusion.

Des collègues ayant exprimé le désir que soient publiées dans le Bulletin des modèles de conclusions, nous reproduisons ci-dessous celles qui ont été présentées devant le tribunal civil de la Seine, dans l'instance terminée par le jugement rapporté dans l'Art. qui suit :

Conclusions.

A Messieurs le Président et Juges composant la 2° Chambre du tribunal civil de la Seine,

Pour : M. R... Conservateur au ... Bureau des Hypothèques de la Seine, 35, rue du Plateau, Paris (19°), ayant pour avoué M Baudin :

Défendeur,

Contre : M. B... de R... ayant pour avoué M Chartier ;

Demandeur,

Plaise au Tribunal,

Attendu que, suivant exploit de B..., huissier à Paris, du 15 février 1951, le concluant a été assigné devant le tribunal pour entendre dire qu'il sera tenu de radier l'inscription d'hypothèque légale prise contre le demandeur au ... bureau des Hypothèques de la Seine, le 18 novembre 1943, vol. 609, n° 58.

En fait :

Attendu qu'aux termes d'un jugement rendu le 17 mars 1948, enregistré, signifié et devenu définitif, le Tribunal civil de la Seine a prononcé d'entre le demandeur et Mme B... devenue depuis épouse de M. de B..., la séparation de corps au profit du mari et le divorce, au profit de la femme.

Attendu que ce jugement a condamné provisoirement le demandeur à servir à son ex-femme une pension alimentaire mensuelle de 10.000 francs, savoir : 5.000 francs pour elle-même et 5.000 francs pour l'enfant, non compris les allocations pour charges de famille ; qu'un autre jugement du tribunal civil de la Seine, en date du 7 juillet 1948 également enregistré, signifié et devenu définitif, a ensuite condamné le demandeur à servir à son ex-femme une pension alimentaire mensuelle de 10.000 francs pour elle-même jusqu'à l'issue des opérations de liquidation de la communauté, et de 15.000 francs pour l'enfant jusqu'à sa majorité non compris les allocations pour charges de famille;

Attendu qu'il a été procédé, suivant état liquidatif dressé par M° B... et B... notaires à Paris, en date des 8 et 19 mai 1950, enregistré et approuvé par les deux parties, à la liquidation de la communauté d'entre les ex-époux B... de R... -B..., celle-ci alors épouse en secondes noces de B... ;

Attendu qu'aux termes dudit état liquidatif, Mme de B..., ex-B.... de R... s'est reconnue entièrement remplie de tous ses droits de quelque nature qu'ils soient au moyen des attributions qui lui ont été faites et qu'en conséquence, après avoir pris expressément connaissance par la lecture que lui en a donné un des notaires, des termes de l'Art. 2135 du Code civil modifié par le décret-loi du 14 juin 1938, elle a déclaré se désister purement et simplement de tous ses droits d'hypothèque légale contre le requérant et renoncer expressément à l'effet de ladite hypothèque légale contre son mari, même en tant que celle-ci pourrait garantir la pension alimentaire qui lui a été allouée personnellement et, celle qui a été allouée à sa fille A.... B... de R.... ou toute autre charge née du mariage, sauf en tant que cette hypothèque légale frappe un immeuble dit " Ferme de B... " situé commune de J...;

Attendu qu'elle a, en conséquence, par le même acte, fait mainlevée pure et simple et consenti la radiation entière et définitive de l'inscription de son hypothèque légale prise au ... bureau des Hypothèques de la Seine; le 18 novembre 1943, vol. 609, n° 58.

Attendu que le concluant a refusé d'opérer cette radiation.

Au fond :

Attendu que l'hypothèque légale, de la femme mariée s'applique (art. 2121 C.C.) à toutes les créances que la femme possède ou possédera contre son mari à raison de sa qualité de femme mariée et par l'effet du mariage ;

Attendu que les créances ainsi garanties par l'hypothèque légale comprennent notamment la pension alimentaire allouée ou susceptible d'être allouée à la femme en cas de divorce ou de séparation de corps, tant pour elle même (Cass. 25 juin 1895; D.P. 1895 - I - 486; Cass. 15 décembre 1909 - 5.1909-2-239 ; Cass. 18 octobre 1926, Rev. hyp. 5502 ; Cass. 17 mars 1931, Journ. Conserv. 10881) que pour ses enfants (Cass. req. 3 juillet 1928, D.P. 1929 - I - 9, 1er espèce);

Attendu que, pendant le mariage, la femme peut renoncer partiellement à son hypothèque légale;

1° Au profit de son mari, au moyen du cantonnement de l'hypothèque sur une partie seulement des immeubles de celui-ci, dans les conditions prévues par les Art.s 2144, 1er al. et 2145 du Code civil, c'est-à-dire avec l'autorisation du tribunal ;.

2° Au profit d'un tiers acquéreur ou prêteur, c'est-à-dire en ce qui concerne les immeubles du mari vendus ou donnés en gage audit tiers (art. 9 de la loi du 23 mars 1855, modifié par la loi du 13 février 1899).

Attendu par contre, qu'après la dissolution du mariage, la femme qui a recouvré par l'effet de cette dissolution la pleine capacité civile peut disposer librement des créances qu'elle peut avoir contre son ex-mari et, par voie de conséquence, de l'hypothèque légale qui garantit le recouvrement de ces créances, tout comme un créancier quelconque, majeur et maître de ses droits, peut disposer d'une créance quelconque et de l'hypothèque garantissant cette créance.

Attendu toutefois que, tant pendant le mariage qu'après la dissolution du mariage, le droit de la femme mariée de disposer de son hypothèque légale comporte une exception en ce qui concerne la créance qu'elle a ou pourrait avoir contre son mari en ce qui concerne la pension alimentaire allouée ou susceptible de lui être allouée en cas de séparation de corps ou de divorce pour elle ou ses enfants;

Attendu, en effet, que cette pension étant incessible, il n'est pas, en principe, au pouvoir de la femme d'y renoncer ni par conséquent de renoncer à l'hypothèque légale en tant que celle-ci en garantit le payement;

Attendu qu'il n'est prévu de dérogation à cette règle que par l'Art. 2135, 7° al., du Code Civil, d'après lequel la renonciation de la femme à son hypothèque légale, qu'elle ait lieu pendant ou après le mariage, vaut exceptionnellement " même en tant que cette hypothèque garantirait la pension alimentaire judiciairement allouée à la femme pour elle ou ses enfants ", mais à la triple condition : qu'il s'agisse d'une renonciation consentie au profit d'un tiers acquéreur ou prêteur, que cette renonciation intervienne alors que l'hypothèque légale n'est pas encore inscrite, et qu'elle ait lieu après lecture faite et constatée dans l'acte dudit Art. 2135;

Attendu que, dans l'espèce actuelle, la renonciation à son hypothèque légale consentie par Mme B... dans l'acte reçu par M° B... le 19 mai 1950, ne rentre pas dans le cas prévu par l'Art. 2135, 7° al. du Code civil, puisqu'elle profite, non pas à un tiers acquéreur ou prêteur, mais à son ex-mari lui-même, et qu'au surplus l'hypothèque à laquelle il est renoncé est déjà inscrite;

Attendu, par conséquent, que cette renonciation ne saurait avoir aucun effet en tant que l'hypothèque légale de Mme. B..., garantit le service de la pension allouée à cette dernière pour son enfant, en sorte que le concluant ne pouvait procéder à la radiation demandée sans réserver expressément les effets de l'inscription en ce qui concerne la pension alimentaire;

Attendu que, dans cette situation, il n'est d'autre moyen pour le requérant d'obtenir la radiation pure et simple que de la faire prononcer en justice :

Soit par un jugement sur requête dans les conditions et selon la procédure prévue par les Art.s 2144, 1er al., et 2145 du Code civil, s'il apparaît qu'il ne peut être recouru à cette procédure, même après la dissolution du mariage.

Soit par un jugement contradictoire, si le Tribunal se reconnaît, en dehors du cas prévu à l'art. 2144, 1er al., du Code civil, le pouvoir d'ordonner la radiation d'une hypothèque, légale garantissant une pension alimentaire.

Attendu en effet que le jugement à intervenir autoriserait le Conservateur des hypothèques, par application de l'art. 2157 du Code civil, à opérer la radiation dans les termes où elle serait ordonnée;

Attendu que, dans la première hypothèse, la procédure à suivre serait celle prévue par les Art.s 861 à 863 du Code de procédure civile; que, dans la seconde, l'instance devrait être engagée par voie d'assignation.

Attendu que cette assignation aurait à être signifiée à une personne qualifiée soit pour donner son adhésion à la demande, soit pour y résister; qu'elle ne saurait être dirigée contre le conservateur des hypothèques.

Attendu, en effet, que ce fonctionnaire ne peut être appelé à défendre à une instance en radiation que dans le cas où l'action du demandeur tend à faire juger que c'est à tort qu'il a refusé de procéder amiablement à la formalité;

Que lorsque, comme c'est le cas de l'espèce, l'instance ne vise pas à vaincre une résistance injustifiée du conservateur, celui-ci ne peut que rester étranger au débat et que son rôle consiste exclusivement à, opérer la radiation lorsqu'elle a été régulièrement ordonnée;

Attendu dès lors que c'est à tort que le, requérant a engagé la présente instance contre le concluant; qu'il ne peut par suite qu'en être débouté.

Sur les dépens :

Attendu qu'en refusant de radier sans réserve l'inscription en cause, le concluant n'a fait que se conformer aux règles applicables en la matière; qu'aucune faute ne peut lui être reprochée;

Que, dans ces conditions, il ne saurait en aucune hypothèse, être condamné aux dépens;

PAR CES MOTIFS :

Donne acte au concluant de ce qu'il est disposé à opérer sans réserve la radiation de l'inscription en cause, au vu de l'expédition d'un jugement passé en force de chose jugée ordonnant cette mesure;

Dire que c'est à bon droit que le concluant a refusé d'opérer cette radiation sur le seul consentement de Mme B... ;

"Dire, en conséquence, que c'est à tort que le requérant l'assigné en justice à la suite de ce refus;

Par suite, le débouter de sa demande;

Le condamner à tous les dépens.