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Art. 108

I. - RADIATION.

Hypothèque légale de la femme mariée.
- Femme divorcée. - Pension alimentaire. - Cantonnement. - Mainlevée sans effet en tant que l'hypothèque
garantit le service de la pension.

II. - PROCEDURE.

Femme divorcée. - Pension alimentaire. - Cantonnement de l'hypothèque légale. - Radiation de l'inscription frappant les immeubles libérés en tant que l'hypothèque garantit le service de la pension. - Procédure à suivre.

Bien que la femme mariée ait par la dissolution de son mariage, recouvré sa pleine capacité civile dans ses rapports avec son ex-mari, elle ne peut par son seul consentement, autoriser la radiation de son hypothèque légale en tant que celle-ci garantit le service de pension alimentaire qui lui a été allouée pour l'entretien de sa fille. Cette pension étant incessible, la renonciation à l'hypothèque qui en garantit le payement se trouve en effet inopérante. La radiation pure et simple ne peut dès lors être opérée qu'en vertu d'une décision de justice.

Seine, 2° Chambre, 16 juillet, 1951.

Le Tribunal......

Jugeant en matière ordinaire et en premier ressort :

Attendu qu'aux terme d'un jugement rendu le 17 mars 1948 par le Tribunal de la Seine prononçant la séparation de corps et le divorce d'entre Hubert B... de R... et, la dame B... devenue depuis épouse de B... le sieur B... de H... a été condamné provisoirement à servir à cette dernière une pension alimentaire mensuelle de 5.000 francs pour l'enfant né du mariage et de 5.000 francs pour elle-même, que, par jugement du même Tribunal en date du 7 juillet 1948, cette, pension a été fixée définitivement à, 10.000 francs pour la femme jusqu'à la liquidation de la communauté et à 15.000 francs pour l'enfant jusqu'à sa majorité, non compris les allocations pour charges de famille.

Attendu qu'il a été procédé à la liquidation de cette communauté suivant état liquidatif dressé par B..., et B..., notaires à Paris, en date des 8 et 9 mai 1950, approuvé par les deux parties;

Attendu que la dame de B... en se reconnaissant remplie entièrement de tous ses droits a déclaré audit état liquidatif se désister purement et simplement de tous ses droits d'hypothèque légale contre son mari et y renoncer expressément, même en tant que celle-ci pourra garantir la pension alimentaire qui lui a été allouée personnellement et celle qui a été allouée à sa fille ou toute autre charge née du mariage, sauf en tant que cette hypothèque frappe un immeuble dit. « Ferme de B.... », sur la commune de J...., d'une contenance de 161 hectares sept ares 39 centiares environ;

Attendu qu'en conséquence elle a notamment déclaré faire mainlevée pure et simple et consentir la radiation entière et définitive des inscriptions prises, savoir :

1° Au ... bureau des Hypothèques de la Seine; le 18 novembre 1943, vol. 743, n° 54;

2° Au ... bureau des Hypothèques de la Seine, le 18 novembre 1943, vol. 609, n° 58;

Attendu que les sieurs H.... et, R...., respectivement, Conservateurs du ... et ... Bureau des Hypothèques de la Seine, se sont refusés à procéder amiablement à la radiation des inscriptions telle qu'elle était demandée, c'est-à-dire à la radiation entière, et définitive, pour ce motif que lesdites inscriptions garantissaient en particulier la pension alimentaire de 15.000 fr. par mois allouée à la dame de B... pour sa fille jusqu'à la majorité de celle-ci et que ladite pension étant incessible, la renonciation de la dame B... à l'hypothèque légale qui en garantit, le paiement se trouve par voie de conséquence sans effet ;

Attendu que, dans ces conditions, la radiation des inscriptions litigieuses, sans aucune réserve en ce qu'elles garantissent la pension alimentaire dont il s'agit, ne peut avoir lieu sur le seul consentement de la dame de B... bien qu'elle ait recouvré, par la dissolution de son mariage d'avec de R.... sa pleine capacité civile dans ses rapports avec celui-ci.

Attendu qu'il s'ensuit que cette radiation sans réserve (la seule efficace pour le crédit ou l'exercice du droit de disposition du sieur de R...) ne saurait être obtenue qu'au moyen d'une décision judiciaire qui s'imposera aux Conservateurs intéressés, lesquels d'ailleurs se déclarent prêts à exécuter le cas échéant la décision dont il s'agit; dès l'instant où elle sera passée en force de chose jugée;

Attendu qu'il est manifeste que, du moment où la dame de B.... n'a depuis la liquidation de la communauté née de son premier mariage d'autre créance à exercer contre de H.... que celle relative à la pension alimentaire de sa fille, le maintien de son hypothèque légale sur tous les immeubles dudit de R.... ne se justifie plus;

Attendu en effet que cette créance continuera à être plus que largement garantie par l'inscription des hypothèques légales prises par ailleurs à la conservation des hypothèques de C.... et grevant la Ferme de B... susvisée, puisqu'il est justifié que les revenus de cette propriété ont dépassé 300.000 francs en 1949;

Attendu qu'il n'y a donc aucun inconvénient à ce que les immeubles que de X.... possède dans le ressort des ... et ... bureau des Hypothèques de la Seine soient entièrement et définitivement dégrevés de l'hypothèque légale de son ex-épouse à ce consentante en pleine connaissance de cause, et à faire droit à la demande de R... tendant a faire ordonner, en exécution de l'Art. 2157 du Code civil, par le Tribunal, la radiation pure et simple des inscriptions litigieuses;

Attendu que la demande étant introduite dans l'intérêt de B... de R... et sans qu'aucune faute puisse être impartie aux conservateurs en cause, il y a lieu de laisser les dépens à sa charge.

PAR CES MOTIFS :

Donne acte aux époux de B.... de ce qu'il s'en rapportent à justice ;

Donne acte à H... et à R... de ce qu'ils sont disposés à opérer sans réserves les radiations des inscriptions qui vont être ci-après ordonnées au vu de l'expédition d'un jugement passé en force de chose jugée ordonnant cette mesure.

Les met hors de cause,

Prononce la mainlevée pure et simple, entière et définitive, savoir :

1° De l'inscription d'hypothèque légale prise par la dame B.... alors épouse de Robert B... de R... au ... bureau des Hypothèques de la Seine, le 18 novembre 1943, vol. 743, n° 54;

2° Et de l'inscription d'hypothèque légale prise par la dame B... alors épouse Hubert B.... de R...., au ... bureau des Hypothèques de la Seine, le 18 novembre 1943, vol. 609, n° 58.

Dit, en conséquence, qu'il sera procédé à la radiation desdites inscriptions par H.... et R...., conservateurs desdits bureaux, ou par leurs successeurs, sur le vu d'une expédition du présent jugement, passé en force de chose jugée; quoi faisant, lesdits conservateurs bien et valablement déchargés;

Laisse les dépens à la charge de R... de R... ; dont distraction au profit de D.... et, B.... avoués, aux offres de droit.

Observations. - Dans les conclusions qui ont été présentées au tribunal par les défendeurs et que nous reproduisons sous l'Art. qui précède ont été développés les principes que l'instance mettait en jeu et les motifs qui interdisaient aux conservateurs de radier les inscriptions en cause sur le seul consentement de la femme et sans que la radiation ait été ordonnée par une décision de justice,

Pour ce qui concerne la forme sous laquelle le tribunal pouvait être saisi, les défendeurs n'avaient pas à prendre parti. Ils se sont bornés à suggérer au demandeur de faire prononcer la radiation :

« Soit par un jugement sur requête dans les conditions et selon la procédure prévue par les Art.s 2144, premier alinéa, et 2145 du Code civil, s'il apparaît qu'il peut être recouru à cette procédure, même après la dissolution du mariage ;

« Soit par un jugement contradictoire, si le tribunal reconnaît, en dehors du cas prévu à l'Art. 2144, premier alinéa du Code Civil le pouvoir d'ordonner la radiation d'une hypothèque légale garantissant une pension alimentaire. »

Ce point appelle cependant une explication.

Les auteurs posent généralement en principe que la procédure prévue par l'art. 2144, premier alinéa, et 2145 du Code Civil n'est susceptible d'être mise en oeuvre que pendant le cours du mariage (Planiol, Ripert et Becqué, t. XII, n° 499 ; Beudant, 2° éd., t. XIV, n° 849 et 853 ; Josserand, 3° éd., t. II, n° 1729). Leur opinion se fonde sur l'immutabilité des conventions matrimoniales qui interdit à la femme mariée de renoncer à sont hypothèque légale au profit de son mari. Comme le principe de l'immutabilité des conventions matrimoniales ne régit les relations de la femme et du mari que pendant le cours du mariage, les auteurs dont il s'agit en concluent tout naturellement que, lorsque le mariage est dissous, la femme reprend sa capacité de renoncer à son hypothèque légale et que, par conséquent, la procédure de l'art. 2144, premier alinéa du Code Civil devient sans objet. C'est ce qui, pour n'être exprimé qu'implicitement, ne ressort pas moins clairement des explications que donnent les auteurs susvisés à l'appui de leur opinion (Planiol, Ripert et Becqué, t. XII, n° 499; Beudant, 2e éd., t. XIV, n° 849).

En réalité, la question est plus complexe. La renonciation pure et simple de la femme se heurte en effet à un autre obstacle consistant, dans l'incessibilité des pensions alimentaires allouées en exécution d'une disposition légale, laquelle incessibilité s'étend aux garanties que la loi attache au service de la pension. Il en résulte que, aussi bien après la dissolution du mariage qu'au cours de celui-ci, la femme ne peut renoncer à son hypothèque légale en tant que celle-ci garantit, la pension alimentaire que son mari a été ou pourra être, condamné à lui payer.

Pendant la durée du mariage, l'autorisation du tribunal accordée dans les conditions prévues à l'art. 2144, premier alinéa, du Code civil, lève sans nul doute les deux obstacles à la renonciation conventionnelle de la femme, de sorte que, lorsque l'hypothèque légale est inscrite, cette autorisation en permet la radiation pure et simple en ce qu'elle frappe les immeubles dégrevés. Ne peut-on pas dès lors recourir à la même procédure pour lever celui des deux obstacles qui, après la dissolution du mariage, interdit encore à la femme de renoncer sans restriction à son hypothèque légale?

Plusieurs arrêts récents (Amiens, 20 juin 1950, J.C.P., éd. 6, 1950-IV-142 ; Douai, 26 février 1951, J.C.P. éd. G 1951-IV-112 ; Lyon, 17 mai 1951. J.C.P., éd. N, 1952-II-6679) se sont prononcés pour la négative; ils ont jugé que la procédure de l'art. 2144 du Code Civil cessait d'être applicable après la dissolution du mariage pour faire place à celle de l'art. 2161 autorisant les tribunaux à prononcer la réduction des inscriptions d'hypothèques générales contre le gré du créancier, de telle sorte que ces arrêts ont pu reconnaître à la justice le droit d'ordonner au profit d'un mari divorcé la réduction de l'hypothèque légale de sa femme, malgré l'opposition de cette dernière. La décision aurait sans doute été la même s'il s'était agi, non plus de vaincre la résistance de la femme, mais de donner plein effet à son consentement, celui-ci étant inopérant en tant que l'inscription en cause, garantissait une pension alimentaire.

Car si l'Art. 2144 du Code Civil doit être écarté c'est parce que toutes les conditions qu'il impose sont incompatibles avec l'état et la capacité de la femme divorcée.

C'était évident sous l'empire de l'ancien Art. 2144 du Code Civil, lequel subordonnait le cantonnement à un avis des quatre plus proches parents de la femme, dans un esprit de protection en raison de l'incapacité et de l'état de dépendance qui étaient alors ceux de la femme mariée. Semblable exigence n'avait plus de raison d'être dès lors que le divorce avait rendu à la femme son indépendance et sa pleine et entière capacité. Ne pouvant l'imposer, on ne pouvait par conséquent appliquer un texte qui l'exigeait formellement.

Sa suppression par la loi du 22 septembre 1942 n'altéra pas en tout cas l'argument, tiré également de l'illogisme que constituerait, l'application à une femme qui n'est plus tenue par les conventions matrimoniales, devenues caduques, d'un texte qui n'autorise le cautionnement que si aucune réduction d'hypothèque n'a été faite par le contrat de mariage. En faisant du consentement de la femme la condition essentielle du cautionnement l'Art. 2144 du Code Civil suppose également qu'il ne sera pas refusé sans motifs sérieux. Cette supposition est beaucoup moins fondée de la part d'une femme divorcée. Or, comme le fait remarquer M. le doyen Becqué, « il paraît inadmissible que le refus malicieux de la femme rende impossible tous cantonnement de l'hypothèque légale » (note Lyon, 17 mai 1951 précité).

Enfin il est normal d'appliquer le droit commun à des personnes qui s'y trouvent replacées et non point un texte exceptionnel qui n'était justifié que par une situation qui n'est plus la leur, puisque le mariage est dissous et. que les ex-époux sont devenus étrangers l'un à l'autre.

Dans l'espèce actuelle, la question ne se posait pas : Le demandeur aurait agi non par voie de requête, (comme il aurait du le faire, en exécution de l'art. 2145, s'il avait entendu se prévaloir de l'art. 2144), mais par voie d'assignation et celle-ci avait, à l'origine, été signifiée exclusivement aux conservateurs,

Ainsi engagée, son action n'était pas recevable.

un conservateur ne peut, en effet, être actionné en justice, à l'occasion d'une radiation, que si le demandeur lui fait grief d'avoir à tort refusé d'opérer la formalité. Lorsqu'aucun reproche de cette nature n'est formulé et qu'il s'agit seulement d'obtenir un ordre de justice destiné à suppléer à un acte de mainlevée, le conservateur n'a pas qualité pour résister à la demande ou y adhérer; si, dans cette seconde hypothèse, l'action est dirigée contre lui, le demandeur ne peut dès lors qu'être débouté.

C'est ce que, dans l'espèce les conservateurs en cause avaient fart valoir dans leurs conclusions.

Le demandeur a alors appelé sa femme en cause.

Cette procédure contradictoire peut paraître insolite. Elle suppose en effet que la femme a refusé son consentement à la radiation et qu'il s'agit de vaincre sa résistance. Elle ne se justifie plus lorsque, comme au cas actuel, ce consentement a déjà été donné et que l'action en justice tend seulement à lever l'inefficacité dont la loi frappe ce consentement. C'est cependant le seul mode possible pour parvenir au but recherché, si l'on écarte la procédure de l'art. 2144, premier alinéa, du Code Civil.

Ceci observé, au cas actuel où la femme défenderesse s'en est rapportée à justice, ce qui équivaut à contester la demande, l'ordre de radiation formulé contradictoirement entre les parties a, entre celles-ci, l'autorité de la chose jugée et autorise la radiation pure et simple des inscriptions en cause.

A noter que les conservateurs originairement assignés, étant mis hors de cause, deviennent étrangers à l'instance et que, dès lors, l'exécution du jugement ne peut être poursuivie contre eux que dans les conditions prévues à l'Art. 548 du Code de procédure civile, c'est-à-dire sur la production d'une expédition du jugement, appuyée des certificats de non appel.

Annoter : C.M.L. n° 367 et 1318; Jacquet et Vétillard, V. Pension alimentaire, n° 6-1.