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Art. 114

I. - RADIATIONS.

Mention en marge des transcription. - Hypothèque légale de la femme mariée. - Inscription. - Renonciation ultérieure de la femme au profit d'un acquéreur d'un immeuble du mari. - a) Radiation : tribunal sans qualité pour l'ordonner ; b) mention de la renonciation en marge de la transcription : refus du Conservateur injustifié.

II. - PROCEDURE.

Action en radiation. - Mise en cause du Conservateur.
Prétendue faute. - Maintien dans la cause. - Dépens.

En cas de vente d'un immeuble grevé de l'hypothèque légale de la femme du vendeur, le tribunal n'est pas qualifié pour ordonner, à la requête de l'acquéreur, la radiation de l'inscription de cette hypothèque malgré la renonciation de la femme constatée dans une ordonnance de référé.

Mais cette renonciation peut être mentionnée en marge de la transcription de l'acte de vente. Le refus du Conservateur d'opérer cette mention autorise l'acquéreur à le mettre en cause dans l'instance engagée contre le vendeur pour faire ordonner la mention par le tribunal et permet à ce dernier de mettre les frais de l'instance à sa charge.

Clermont-Ferrand, 30 juillet 1951.

Le tribunal,

Attendu que la dame Ch... a acquis du sieur P... un immeuble sis ... pour un prix de ... Que cet immeuble était grevé de l'hypothèque légale de femme mariée de la dame P..., épouse en instance de divorce du sieur P... ; que cette hypothèque légale fût inscrite le 3 mai 1950 par la dame P..., comme elle en avait le droit le plus absolu, pour une somme de 300.000 fr.;

Attendu que, pour affranchir l'immeuble acquis par elle de l'hypothèque de la dame P..., la dame Ch... a assigné les époux P...-P... devant le juge des référés pour voir nommer un séquestre de la somme de 300.000 qu'elle offrait de consigner pour être substituée aux effets de l'hypothèque légale de la dame P..., moyennant la mainlevée de l'hypothèque légale de cette dernière;

Attendu que, le 10 octobre 1950, la dame P... acceptait devant le magistrat des référés la proposition de la dame Ch... et, que ce magistrat rendit une ordonnance nommant M° G..., avoué, séquestre de la somme de 300.000 fr. que la dame Ch... offrait de consigner et disant qu'après consignation de cette somme l'hypothèque légale de la dame P... devrait être levée;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques a refusé de radier l'hypothèque légale de la dame P... sur la production de l'expédition de l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950, invoquant le fait que la dite ordonnance n'avait pas l'autorité de la chose jugée ;

Attendu que, devant ce refus de M. le Conservateur des hypothèques, la dame Ch..., pour libérer son immeuble de l'hypothèque légale de la dame P..., crut devoir, par exploit du 11 mai 1951, assigner les époux P... et le Conservateur des hypothèques pour que soient confirmées, en présence de ce dernier, les dispositions de l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 ;

Attendu qu'il y a lieu de statuer tant sur le bien fondé de cette demande que sur les dépens d'instance et de référé;

Attendu que le tribunal ne croit pas pouvoir ordonner la radiation judiciaire de l'hypothèque légale d'une femme mariée en dehors des cas et conditions prévus par les dispositions des art. 2.144 et 2.145 du Code civil; que ces dispositions ne sont pas invoquées dans la présente instance et que d'ailleurs les conditions et la procédure qu'elles prévoient ne semblent pas être réalisées en la cause;

Mais attendu qu'une femme mariée peut toujours renoncer à son hypothèque légale en faveur d'un acquéreur du mari à condition que cette renonciation fasse l'objet d'un acte authentique, qu'une telle renonciation peut être faite d'ailleurs par acte séparé ;

Attendu que, si la loi autorise la femme mariée à consentir purement et simplement une telle renonciation, cette femme peut à plus forte raison consentir cette renonciation, moyennant la consignation par l'acquéreur d'une certaine somme entre les mains d'un séquestre ;

Attendu que tel est bien le cas en l'espèce ; que la dame P... a en effet renoncé à son hypothèque légale moyennant la consignation par la dame Ch... d'une somme de 300.000 fr. entre les mains de M° G..., avoué, nommé séquestre par l'ordonnance du 10 octobre 1950; que cette renonciation est valable puisqu'elle est contenue dans un acte authentique, en l'espèce l'ordonnance de référé précitée; qu'en effet les qualités de cette ordonnance portent que, devant le juge des référés, " la dame P... a déclaré que du moment qu'un séquestre serait nommé pour conserver une somme de 300.000 fr. substituée à la garantie hypothécaire, elle ne voyait aucun inconvénient à la mesure sollicitée et ne s'opposait pas en conséquence à la mainlevée de l'inscription d'hypothèque légale par elle inscrite " et que les motifs de la même ordonnance constatent de même que la dame P... accepte expressément que son inscription d'hypothèque légale soit levée et que lui soit substituée la consignation entre les mains d'un séquestre d'une somme de 300.000 fr. ;

Attendu que, sans se préoccuper du point de savoir si la radiation de l'hypothèque légale de dame P... était ordonnée par une décision de justice ayant ou non l'autorité de la chose jugée, M. le Conservateur des hypothèques devait considérer l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 comme un titre authentique constatant par acte séparé la renonciation expresse de la dame P... à son hypothèque légale.

Que la condition de cette renonciation avait été remplie puisque la correspondance échangée entre le séquestre et le Conservateur atteste que la somme de 300.000 fr. avait été effectivement consignée entre les mains du séquestre par la dame Ch..., que M. le Conservateur devait donc, sur présentation d'une expédition de l'ordonnance du 10 octobre 1950 et une justification du versement de 300.000 fr. entre les mains de M° G..., faire mention en marge de la transcription de l'acte d'aliénation de l'immeuble grevé de la renonciation expresse de la dame P... à son hypothèque en faveur de la dame Ch..., acquéreur de l'immeuble de son mari, comme la loi lui en fait une obligation (loi du 23 mars 1855, art. 9) ;

Attendu que le refus de M. le Conservateur des hypothèques n'était donc pas justifié et qu'il est à l'origine de la présente instance dans · laquelle sa présence était nécessaire ; que M. le Conservateur doit donc supporter la charge des dépens de cette instance et ne saurait être mis hors de cause comme il le demande;

Attendu que la. dame P... renouvelle dans ses conclusions sa renonciation à son hypothèque légale moyennant la, consignation de 300.000 fr. pour garantie de ses droits; qu'il y a donc lieu de constater à nouveau cette renonciation, comme l'a déjà fait le juge des référés, et de maintenir M° G... dans ses fonctions de séquestre de la somme de 300.000 fr. versée entre les mains par dame Ch... pour garantie des droits de Mme P... jusqu'à ce que la dame P... n'ayant plus de créance à faire valoir contre le sieur P..., il puisse être donné mainlevée de ce séquestre;

Attendu que le sieur P..., ayant vendu son immeuble à la dame Ch..., avait l'obligation de libérer la chose vendue de toutes charges et hypothèques et notamment de l'hypothèque légale de la dame P... ; que, faute par lui d'avoir rempli cette obligation, la dame Ch... a du intenter contre lui et la dame P... l'instance de référé qui a abouti à l'ordonnance du 10 octobre; que c'est donc le sieur P... qui doit supporter les dépens de référé ;

Attendu qu'il y a urgence à ce que le présent jugement soit exécuté puisque son exécution est de nature à favoriser la construction de bâtiment sur l'immeuble acquis par dame Ch... et que cette construction est à la fois conforme aux intérêts particuliers de Mme Ch... et à l'intérêt général,

Par ces motifs :

Reçoit en la forme la demande de la dame Ch... et la déclare bien fondée ;

Dit cependant n'y avoir lieu à prononcer la radiation judiciaire de l'hypothèque légale de la dame P... grevant l'immeuble acquis du sieur P... par dame Ch...;

Mais donne acte à la dame P... de sa renonciation à cette hypothèque en faveur de la dame Ch... moyennant consignation par dame Ch... d'une somme de 300.000 francs entre les mains de M° G..., nommé séquestre par ordonnance de référé du 10 octobre 1950;

Dit que cette renonciation était déjà constatée dans l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950.

Donne acte à la dame Ch... de la consignation par elle faite de la somme de 300.000 francs entre les mains du séquestre M° G... pour être substituée à l'effet de l'hypothèque légale de la dame P... Dit qu'au vu, soit du présent jugement, soit de l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 et d'un reçu de 300.000 francs, délivré par M° G... à la dame Ch..., M. le Conservateur des hypothèques devra porter en marge de la transcription de l'acte d'aliénation par P... à la dame Ch... de l'immeuble sis... la mention de la renonciation de la dame P à son hypothèque légale sur cet immeuble.

Maintient M° G..., avoué, dans ses fonctions de séquestre de la somme de 300.000 francs versées à lui par dame Ch... pour garantir la dame P... des droits qui lui étaient garantis par l'hypothèque légale à laquelle elle a renoncé ;

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution;

Rejette toutes conclusions plus amples et contraires;

Condamne P... aux dépens de référé et M. le Conservateur des hypothèques aux dépens de l'instance.

Observations. - I. En principe, l'incessibilité de la pension alimentaire allouée en exécution d'une disposition légale, qui, s'étend aux garanties attachées par la loi au service de la pension, interdit à une femme mariée de renoncer à son hypothèque légale en tant que celle-ci garantit le service de la pension alimentaire que son mari pourra être éventuellement condamné à lui verser.

Toutefois, par dérogation à ce principe, la disposition ajoutée par le décret-loi du 14 juin 1938 à. l'Art. 2135 du code civil autorise une telle renonciation au profit du tiers qui a acquis des immeubles du mari ou lui a consenti un prêt ; mais cette dérogation est subordonnée à la condition que l'hypothèque légale ne soit pas inscrite au moment où la renonciation est consentie. Si l'inscription est déjà prise, la règle générale reprend son empire : la renonciation de la femme demeure sans effet en ce qu'elle garantit une pension alimentaire éventuelle.

Le conservateur peut donc ni mentionner tout au moins sans réserve en marge de la transcription de la vente des immeubles du mari la renonciation de la femme à son hypothèque légale déjà inscrite, ni radier purement et simplement l'inscription en tant qu'elle grève les immeubles vendus.

Dans l'espèce qui a fait l'objet de l'instance actuelle, le refus de notre collègue était dès lors justifiée.

II. - La demanderesse ne contestait d'ailleurs pas la légitimité de ce refus. Son action, dirigée à titre principal contre le vendeur et sa femme, tendait à obtenir du tribunal un ordre de radiation pure et simple destiné à suppléer la mainlevée que la femme n'avait pas le pouvoir de consentir sous réserves. Si elle a mis en cause le conservateur, c'était, ainsi que le constate le jugement lui-même, pour que la radiation fût prononcée en sa présence et lui fût, ainsi opposable.

En ce qu'elle mettait le conservateur en cause, l'action entreprise par la dame Ch... n'était, pas recevable.

Un conservateur ne peut, en effet, être appelé dans une instance en radiation que s'il lui est fait grief d'avoir refusé d'exécuter la formalité. Dans le cas où il s'agit seulement de faire prononcer la radiation entre parties, sa présence à l'instance ne se justifie pas et il doit être mis hors de cause (Rappr. Bull. A.M.C., art. 7 et 93).

Le chef du jugement rapporté qui a maintenu le conservateur dans la cause ne peut donc être approuvé.

Il est d'autant plus critiquable que la reconnaissance d'une faute à la charge du conservateur, sur lequel se fonde la décision n'était pas demandée et que, par conséquent, le tribunal a statué ultra petita.

III. -- L'action était-elle mieux fondée en ce que, dirigée contre M. P... et sa femme, elle tendait a obtenir du tribunal l'ordre de radiation pure et simple ? Tout d'abord, ainsi que le constate le jugement, la seule disposition qui habilite expressément les tribunaux à donner efficacité au consentement de la femme mariée à la renonciation à son hypothèque légale est l'art. 2144, 1er alinéa, du code civil. Or, cette disposition ne vise que le cas où la renonciation de la femme est consentie au profit du mari et non, comme en l'espèce, au profit d'un tiers. Aussi est-ce à bon droit que le tribunal en a écarté l'application.

Les autres dispositions légales que prévoient l'intervention du tribunal permettraient, non plus de donner pleine efficacité au consentement de la femme, mais de vaincre la résistance de celle-ci si elle refusait de consentir à la renonciation. Sans doute donneraient-elles la possibilité de faire consacrer indirectement le consentement de la femme, en ne faisant pas état de ce dernier et en simulant un litige que le tribunal trancherait par une décision contradictoire. Mais aucune des dispositions dont il s'agit n'est applicable en l'espèce.

D'une part, l'art. 2144, 2° alinéa, du Code civil ne vise que le cas où l'aliénation a lieu dans l'intérêt de la famille. Or, cette circonstance n'est pas alléguée au cas particulier.

D'un autre coté, l'art. 2161, qui autorise la restriction des hypothèques générales, ne trouve pas non plus son application lorsqu'il s'agit de l'hypothèque légale de la femme mariée et que la restriction est demandée au profit de l'acquéreur des immeubles du mari. En dehors de l'hypothèque entrant dans le champ d'application de l'art. 2144, 2° alinéa, susvisé, le consentement de la femme est en effet l'une des conditions mises par l'art. 2135, 7° alinéa du Code civil au dégrèvement des immeubles vendus par le mari, de sorte qu'il ne serait pas possible au tribunal de vaincre une résistance simulée par la femme.

Enfin, on ne saurait pas non plus se prévaloir de l'Art. 2160 qui autorise les tribunaux à prononcer la radiation " lorsque l'inscription a été faite sans être fondée ni sur la loi, ni sur un titre, ou lorsqu'elle l'a été en vertu d'un titre soit irrégulier, soit éteint ou soldé, ou lorsque les droits de privilège ou d'hypothèque sont éteints par les voies légales." Dans une opinion qui prévaut surtout en doctrine, cet Art. ne peut être invoqué en l'espèce où l'inscription a son titre dans la loi et où l'hypothèque inscrite n'est pas éteinte en ce qu'elle garantit une pension alimentaire éventuelle puisque, dans cette mesure, la renonciation de la femme est inefficace.

Ainsi, dans l'espèce, aucun texte n'autorisait à dégrever l'immeuble en cause de l'hypothèque légale de la femme du vendeur en tant que cette hypothèque garantissait la pension alimentaire au payement de laquelle le mari avait été condamné ou pouvait être éventuellement condamné. Du point de vue strictement juridique, le jugement est donc justifié en ce qu'il a refusé de prononcer de radiation sans réserves. (Rappr. C. Aix, 23 novembre 1942, J.C.P. 1943. II. 2084).

Il est à noter cependant qu'en pareille hypothèse la majorité des tribunaux, faisant prévaloir les nécessités de la pratique sur les considérations de pur droit, se reconnaissent. le pouvoir de rendre efficace le consentement de la femme et par suite, de prononcer la radiation sans réserves de l'inscription en ce qu'elle grève l'immeuble vendu, si les droits de la femme lui paraissent sauvegardés par ailleurs. (C. Aix, 11 juillet 1939, J.C.P. 40. II. 1429; Seine, 22 janvier 1941, D. 42. J. 159, 541. 2. 19, J.C.P. 1941. II. 159 ; Toulouse, 25 juillet 1941 ; Seine, 22 janvier 1942 ; Seine, 27 juillet 1943 ; Seine, 16 juillet 1946, J.N. 42077 ; Seine, 7 juillet 1947, Bull. A.M.C., art. 20.)

IV. - Si le tribunal ne s'est pas cru autorisé à prononcer la radiation demandée, il a par contre ordonné la, mention de la renonciation de la femme du vendeur en marge de l'acte de vente. Bien plus, il a fait grief au conservateur de n'avoir pas fait cette mention au vu de l'ordonnance de référé constatant la renonciation.

Pour motiver sur ce point sa décision, il a fait état de cette renonciation, qu'il estime pleinement efficace.

Nous avons indiqué, au § 1er ci-dessus, pourquoi la renonciation était en réalité inopérante en tant que l'hypothèque garantissant le service d'une pension alimentaire. Mais, à supposer qu'elle produise son plein effet, comme l'a admis le tribunal, elle aurait dû conduire ce dernier à prononcer la radiation par application de l'art. 2160, C. civ (Rappr. § III, ci-dessus.)

En ce qu'il décide que la renonciation de la femme devra être mentionnée en marge de la transcription de la vente, après avoir refusé d'ordonner la radiation, le jugement renferme donc une contradiction.

Quant au chef du jugement qui fait grief au conservateur de n'avoir pas opéré la mention, il est triplement critiquable, d'abord parce que, ainsi qu'on l'a déjà signalé au § II, ce grief n'était, pas articulé par la demanderesse et qu'en le retenant pour en faire la base de la condamnation du conservateur aux dépens, le tribunal a statué ultra petita, en second lieu parce que la réquisition à l'appui de laquelle a été présentée l'ordonnance de référé tendait exclusivement à la radiation de l'inscription et qu'à aucun moment il n'a été demandé au conservateur de mentionner la renonciation en marge de la transcription de la vente, enfin parce que, même requis d'opérer cette mention, il n'aurait pu qu'opposer un refus du fait de l'inefficacité de la renonciation en ce que l'hypothèque garantissait le service d'une pension alimentaire (v. § 1er).

Notre collègue a interjeté appel et, par un arrêt du 14 janvier 1952, la Cour d'appel de Riom, réformant le jugement, l'a mis hors de cause. Nous publierons ultérieurement cet arrêt.

Annoter : C.M.L. n: 367, 1219 et 1398; Jacquet et Vétillard, V. Femme mariée, n° 107 et Jugement de radiation n° 57.