Retour

Art. 116

PRIVILEGES.
- INSCRIPTION. - RADIATION.
TAXE HYPOTHECAIRE. - SALAIRES.

Privilèges du trésor en matière de droits de mutation par décès.

Rapport présenté par M. Masounabe-Puyanne, vice-président, à l'assemblée générale de l'A.M.C. du 14 juin dernier.

Mes Chers Collègues,

En vue du recouvrement des droits de mutation par décès le Trésor bénéficie de garanties privilégiées.

Ces droits étant considérés comme une dette successorale, l'Administration a le droit, comme tout créancier de la succession, d'invoquer le bénéfice de la séparation des patrimoines (accordé par l'art. 878 C. Civ. ) (sol. 8 juin 1901, Inst. 3089 § 22).

Elle bénéficie également du privilège sur tous les meubles et effets mobiliers de la succession (en vertu de l'Art. 1929 C.G.I., qui a remplacé sur ce point l'art. 32 loi 22 frim. an VII) et d'un privilège sur les immeubles de la succession (en vertu du même Art.). Mais, tandis que le deuxième § de cet Art. n'est que la reproduction des art. 7 de la loi du 13 juillet 1911 et 23 de la loi du 16 avril 1930 (autorisant les payement fractionnés ou différés), le troisième § accorde ce privilège à défaut de déclaration mais pour les successions ouvertes à partir du 1er janvier 1949.

Chacun de ces privilèges, répondant d'ailleurs à des considérations distinctes, à des particularités qui ne paraissent pas toujours connues des agents de l'Administration, ce qui risque de ne pas garantir le Trésor ou de soulever des difficultés.

Il convient tout d'abord de laisser de côté le privilège sur les meubles qui ne saurait faire l'objet d'une inscription. Seuls le privilège de la séparation des patrimoines et le privilège immobilier sont soumis à cette publicité.

Toutefois, alors que pour avoir effet du jour de l'ouverture de la succession, l'inscription du privilège de séparation des patrimoines doit être prise dans les 6 mois du décès (art. 2111 C. Civ.), par contre l'inscription du privilège ordinaire du Trésor (faute de déclaration) ne peut l'être avant l'expiration de ces six mois ; mais il doit l'être dans les six mois à compter de l'expiration du délai pour souscrire la déclaration de succession, tandis que l'inscription du privilège du Trésor pour droits fractionnés ou différés ne peut être prise avant la demande de payement différé, toutefois et elle doit l'être dans les six mois à compter du dépôt de la déclaration de succession complète et régulière (Cf. Inst. 3350; art. 399 Ann. III C.G.I.).

Cependant (conformément au droit commun) ces inscriptions peuvent être prises utilement tant que les immeubles successoraux sont encore dans le patrimoine des héritiers, mais le privilège ayant alors dégénéré en hypothèque, elles n'ont plus rang qu'à leur date.

S'il est possible de prendre, cumulativement, inscription de privilège de séparation des patrimoines et de privilège ordinaire du Trésor, il est inopérant et il est peut-être frustratoire de prendre, cumulativement, inscription de privilège de séparation des patrimoines et inscription de privilège du Trésor pour droits différés, car l'acceptation des héritiers comme débiteurs, par suite de l'octroi des délais, emporte novation, donc renonciation au bénéfice, de la séparation des patrimoines (art. 879 c. Civ.).

Comme l'inscription de séparation des patrimoines, celle du privilège ordinaire du Trésor peut être valablement prise contre le défunt sous la seule indication du décès. Elle ne doit pas désigner les héritiers présumés puisqu'en cas de renonciation ou d'exhérédation, elle serait délivrée aux torts de l'inscrivant dans les états individuels. Au contraire l'inscription de privilège pour droits différés peut n'être point prise contre le de cujus (bien que ce soit prudent), mais elle doit l'être contre les héritiers devenus débiteurs directs et solidaires du Trésor par suite de l'engagement contracté.

D'autre part, dès lors qu'elle est la conséquence de la déclaration de succession, l'inscription pour droits différés doit indiquer le montant exact des droits différés, les intérêts échus et à échoir, les modalités d'exigibilité, et non point les pénalités qui ne sont pas garanties par le privilège. Bien qu'il en soit de même pour le privilège, ordinaire (art. 1929, § 3, C.G.I.), l'inscription de celui-ci peut comprendre les pénalités puisque la créance à indiquer est celle qui est arbitrée par l'inspecteur qui prend l'inscription; il en est également ainsi de l'inscription de séparation des patrimoines (Sol. 15 mai 1909, J. Conserv. 9633). Dans tous les cas les frais de mise à exécution doivent être évalués puisque l'indication pour « mémoire » ne permet pas d'obtenir une collocation de ce chef (Cass. 10 Déc. 1868, D 691.88).

Enfin, faute de dérogation expresse, il a été jugé qu'en cas d'aliénation avant l'expiration du délai de six mois du décès, la transcription de cette aliénation rend inefficace l'inscription postérieure de. séparation des patrimoines au point de vue du droit de suite. (Aix 4 Déc. 1893, D. 6.95.2-273, Plan. Rip. et, Becqué, n° 1113).

Seul le droit de préférence peut encore être exercé, si le prix de l'aliénation n'est pas confondu avec les autres éléments du patrimoine de l'héritier.

Au contraire, le privilège ordinaire du Trésor, inscrit dans le délai légal, est opposable au tiers détenteur malgré la transcription antérieure de son acquisition (Cf. I. 3350)

A ces particularités d'ordre civil, qui ont une réelle importance puisque le sort de la créance du Trésor peut en dépendre, s'ajoutent des particularités d'ordre fiscal et administratif qui nous intéressent plus spécialement.

L'inscription, comme la radiation de l'inscription pour droits différé. est expressément exemptée de la taxe hypothécaire par l'art. 1718 C.G.I. Faute de texte semblable la taxe est exigible sur inscription de séparation de patrimoines (Sol. 15 mai 1909, J. Conserv. 9633) et sur l'inscription du privilège ordinaire du Trésor (1). Mais, tandis qu'en vertu de la décision ministérielle du 24 nov. 1837 (Inst·. 1551, Sol. 15 mai 1909, J. Conserv. 9633), la taxe sur l'inscription de séparation de patrimoines doit être liquidée au comptant, et avancée par l'inspecteur qui requiert l'inscription, la taxe parait devoir être liquidée en débet en ce qui concerne l'inscription du privilège ordinaire du Trésor par application de l'art. 459 C.G.I. (1).

Les mêmes différences se retrouvent en matière de Liquidation et de recouvrement du salaire. Alors qu'il est réduit de moitié pour l'inscription pour droits différés, en vertu de l'art. 399 § 5, Ann. III C.G.I., il est exigible au tarif ordinaire, faute de texte dérogatoire, tant pour l'inscription de séparation de patrimoines que pour l'inscription de privilège ordinaire du Trésor (1). Dans aucun cas, le salaire n'est avancé par l'Administration, et il n'est payé au Conservateur qu'en cas de recouvrement sur les parties (Inst. 4090-5). Toutefois l'Administration admet que le Conservateur réclame directement aux héritiers intéressés le paiement du salaire de l'inscription pour droits fractionnés ou différés (Sol. 19 juillet, 1932, J. Conserv. 111147)

Enfin la radiation de ces diverses inscriptions occasionne souvent des difficultés tant en raison de l'imprécision du texte que du fat qu'elles sont prises, à tort ou à raison, cumulativement.

A défaut de texte les concernant, le droit commun est applicable aux inscriptions de séparation de patrimoine et de privilège ordinaire du Trésor. La mainlevée sans payement ne peut, par conséquent, être consentie et signée par l'Inspecteur qu'avec l'autorisation du directeur dont il doit justifier (Jacq. et Vet. p. 583; Inst. 2508, § 8). Par extension de la dérogation autorisée par cette instruction on admet que l'inspecteur peut consentir la mainlevée sans autorisation, lorsque le Trésor a été désintéressé ; mais alors la date et le montant du payement, doivent être, en pareil cas, mentionnés dans la mainlevée.

La mainlevée de l'inscription pour droits différés est, au contraire, réglée par l'art. 399, Ann. III, C.G.I. lequel décide que les actes constatant notamment la mainlevée des inscriptions de privilège ou d'hypothèques sont signés pour l'Administration par le Receveur central ou l'Inspecteur au bureau duquel les droits sont exigibles. Le terme « signer » étant susceptible de plusieurs sens, faut-il considérer le texte comme autorisant les Inspecteurs à consentir la mainlevée avant ou après payement, sans avoir à fournir de justifications au Conservateur, ou faut-il le considérer comme une simple extension à la radiation de l'inscription pour droits différés de l'autorisation accordée par l'inst. 2508, § 8 pour l'inscription pour frais de justice ? Dans cette opinion, qui est celle de la plupart des Conservateurs, l'Inspecteur ne pourrait signer une mainlevée sans payement qu'en justifiant de l'autorisation du Directeur et la mainlevée après payement devrait porter la date et le montant du payement de 1a créance du Trésor. Généralement la bonne camaraderie, qui est la règle dans l'Administration, évite tout conflit; mais celui-ci est toujours latent.

Ces explications, que je m'excuse d'avoir tellement développées, n'ont eu d'autre but que de vous indiquer l'embarras du Conservateur à qui on présente, comme il est arrivé récemment, une inscription de privilège de séparation des patrimoines, de privilège du Trésor en vertu de l'Art. 32 de la loi du 22 frim. an VII et de privilège du Trésor en vertu de l'art. 7 de la loi du 13 juillet 1911 contre un de cujus pour droits arbitrés à une somme assez élevée. Quelle que soit le parti qu'il ait pris, tant en ce qui concerne la taxe que les salaires, il est critiquable et peut motiver un forcement ou une demande en restitution. Il suffira pour cela de changer de point de vue. Il en sera de même au moment de la radiation. Le moins qu'on puisse dire c'est que c'est désagréable.

Si vous estimez comme moi qu'il y a intérêt à ce qu'une réglementation précise et uniforme soit établie je vous propose d'adopter le voeu suivant :

« L'assemblée générale, après avoir entendu le rappel des difficultés que soulèvent parfois les inscriptions prises par l'Administration pour la garantie des droits de mutation par décès, émet le voeu que l'Administration propose, s'il y a lieu, les modifications législatives et prenne les dispositions réglementaires qui sont nécessaires pour que les inscriptions soient toujours établies conformément aux prescriptions légales et pour que soient précisées et uniformisées les règles relatives à la perception des taxes et salaires, ainsi qu'à la radiation de ces inscriptions

Annoter : C.M.L. n° 55 B, 1376, 1878-8 et 1997. - de France, Supplément, n° 10 et 137; - Jacquet et Vétlillard, V° Radiations administratives, n° 11.

(1) Selon des renseignements officieux recueillis depuis l'époque où le rapport a été présenté, la Direction Générale admettrait les inscriptions du privilège visé au § 3 de l'art.1929 C.G.I. au bénéfice de l'exemption de taxe hypothécaire établie par les art. 1718 et 1721 du même code. Le salaire auquel ces inscriptions donnent ouverture serait par suite réduit de moitié. (V. Bulletin art III)