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Art. 123

I. - Radiation.- Hypothèque légale de la femme mariée. Inscription.- Renonciation ultérieure de la femme, constatée dans une ordonnance de référé.- Radiation possible sans réserve.

II. - Procédure.
- Action en radiation. - Absence de faute du conservateur. - Mise en cause de ce dernier injustifiée.

Par application de l'art. 9 de la loi du 23 mars 1855, modifiée par la loi du 13 février 1889, la renonciation d'une femme mariée à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'un immeuble grevé de cette hypothèque, consentie après l'inscription de l'hypothèque en cause et constatée dans une ordonnance de référé, autorise la radiation pure et simple de l'inscription en ce que l'hypothèque inscrite grève l'immeuble vendu.

Toutefois, le conservateur qui, se méprenant sur la valeur de l'ordonnance de référé, refuse d'opérer la radiation, ne commet aucune faute. Son appel à l'instance engagée par l'acquéreur contre le vendeur et sa femme, en vue de faire prononcer la radiation, est dès lors injustifiée. (C. de Riom, 14 janvier 1952.)

Attendu que, suivant acte reçu M° J..., notaire à C..., en date des 29 avril et 16 mai 1950, la dame Ch..., a acquis du sieur P..., un corps de bâtiment situé à C.,., moyennant le prix principal de 450.000 francs.

Attendu que l'état hypothécaire délivré sur la transcription de cet acte de vente a révélé notamment l'existence, à la date du 3 mai 1950, d'une inscription hypothécaire légale au profit de la dame P..., épouse en instance de divorce du sieur P..., pour une somme de 300.000 francs;

Attendu que, n'ayant pu obtenir de son vendeur P.., la mainlevée de cette inscription, la dame, Ch..., a assigné les époux P...-P..., devant le juge des référés du tribunal de C.... pour faire désigner un séquestre de la somme de 300.000 francs sur laquelle seraient reportés les effets de l'inscription hypothécaire, ceci afin de pouvoir obtenir la radiation de ladite inscription.

Attendu qu'en raison de la garantie ainsi donnée la dame P... a déclaré renoncer expressément à son hypothèque légale;

Attendu qu'en présence de l'accord de toutes parties, M° G..., avoué à C..., a été désigné comme séquestre de la somme de 300.000 francs par ordonnance du 10 octobre 1950, étant précisé que cette somme resterait consignée entre ses mains pour être substituée comme garantie à l'hypothèque légale de la dame P...:

Attendu qu'en exécution de cette ordonnance ladite somme de 300.000 francs a été consignée entre les mains du séquestre et que ce dépôt a été signifié à la conservation des Hypothèques de, C..., en vue de la radiation ordonnée;

Attendu que M. le Conservateur des Hypothèques s'est refusé à opérer la radiation estimant qu'il y avait en l'espèce une mainlevée sans paiement qui ne pouvait être ordonnée par le juge des référés ;

Attendu que la dame Ch..., assigna alors devant le Tribunal civil de C..., les époux P...-P..., et M. le Conservateur des Hypothèques, pour que soit confirmée par une décision au fond l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 ;

Attendu qu'aucune des parties en cause n'a contesté le bien-fondé ou la validité de la renonciation renouvelée de la dame P..., que M. le Conservateur a demandé sa mise hors de cause comme privé de qualité pour acquiescer ou contredire à l'action en radiation ;

Attendu que, par jugement en date du 30 juillet 1951, le Tribunal a dit n'y avoir lieu à prononcer la radiation judiciaire de l'hypothèque légale de la dame P..., mais a donné acte à cette dernière de sa renonciation à cette hypothèque en faveur de la dame Ch..., moyennant consignation par cette dernière d'une somme de 300.000 francs entre les mains de M° G..., avoué, nommé séquestre par l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950, a dit que cette renonciation était déjà constatée dans l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950, a donné acte à Mme Ch..., de la consignation par elle faite de la somme de 300.000 francs entre les mains de M° G..., séquestre, pour être substituée à l'effet de l'hypothèque légale de la dame P..., a dit qu'au vu soit du jugement, soit de, l'ordonnance de référé et d'un acte reçu de 300.000 francs délivré par M° G..., à dame Ch..., M. le Conservateur des Hypothèques devra porter en marge de la transcription de l'acte d'aliénation par P..., à dame Ch..., de l'immeuble sis à C..., la mention de la renonciation de la dame, P.., à son hypothèque légale sur cet immeuble, a maintenu G... dans ses fonctions de séquestre de la somme de 300.000 francs à lui versée par dame Ch... pour garantir la dame P... des droits qui lui étaient garantis par l'hypothèque légale à laquelle elle a renoncé, a rejeté toutes conclusions plus amples ou contraires, a condamné P... aux dépens de référé et M. le Conservateur aux dépens de l'instance, ce dernier par son refus injustifié étant à l'origine de l'instance dans laquelle sa présence était nécessaire;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques de C..., a régulièrement interjeté appel de cette décision, ainsi qu'en tant que de besoin M. B..., conservateur des hypothèques de S..., autrefois conservateur à C..., au moment de la naissance du litige, que ces appels ont été limités à la question des dépens;

Attendu que la dame Ch..., a, en raison de ces appels, formé elle-même appel à l'encontre des époux P...-P..., et appel incident contre les conservateurs à l'effet de faire venir l'affaire en son entier devant la cour, que le sieur P... a, de son côté, relevé appel incident ;

Attendu que, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, il y a lieu de joindre ces appels pour être statué par un seul et même arrêt sur leur mérite au vu des conclusions des parties;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques de C..., qui a constitué avoué, n'a pas conclu malgré la signification de deux avenirs successifs réguliers ; que, par application des Art.s 462 et 463 du code de procédure civile, le présent arrêt sera réputé contradictoire à son égard;

Attendu que l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 a commis Me G..., avoué à C..., à titre de séquestre à l'effet de recevoir de la dame Ch.., la somme de 300.000 francs par elle offerte et qui restera consignée entre ses mains pour être substituée aux effets de l'hypothèque légale de la dame P..., a dit que, dès consignation de ladite somme entre les mains du séquestre, l'hypothèque légale de la dame P..., prise le 3 mai 1950, volume 352, numéro 25, à la conservation des hypothèques de C..., pour une somme de 300.000 francs sera purement et simplement levée, a dit que l'ordonnance vaudra mainlevée de cette inscription et que M. le Conservateur des hypothèques de C..., sera tenu d'en opérer la radiation;

Attendu que cette ordonnance ne faisait que constater l'accord des parties et constituait un véritable contrat judiciaire ; qu'une telle ordonnance revêtait un caractère authentique et comportait renonciation par la dame P... à son hypothèque légale grevant l'immeuble vendu par son mari à dame Ch... et son consentement à la mainlevée ;

Attendu que la mainlevée n'a pas été régularisée à la suite d'une divergence de vue existant entre le mandataire de la dame Ch... et M. le Conservateur des hypothèques de C..., sur le point de savoir qu'il s'agissait d'une mainlevée avec ou sans paiement; que le mandataire de la dame Ch... donnait lui-même, une interprétation vicieuse de l'ordonnance de référé en ne précisant pas qu'elle constatait en acte authentique l'accord des parties devant le juge;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques de C..., indiquait que l'ordre de radier devait être donné par un jugement contentieux du Tribunal civil intervenu entre les parties en cause, une ordonnance de référé n'ayant pas l'autorité de la chose jugée;

Attendu que c'est ainsi que la dame Ch, assigna devant le Tribunal civil de C..., les époux P...-P..., aux mêmes fins que celles de l'assignation en référé et en radiation de l'hypothèque, qu'elle comprit dans l'instance M. le Conservateur des hypothèques de C..., pour voir dire qu'il serait tenu de radier l'inscription de l'hypothèque légale sous peine d'une astreinte de l.000 francs par jour de retard ;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques, en déclarant qu'il était prêt, si le tribunal ordonnait la radiation totale ou partielle de l'inscription légale de la dame P..., à radier cette inscription dans les termes et les limites du jugement à intervenir, sur le simple dépôt à la conservation d'une expédition du jugement et sous la condition qu'il soit justifié du caractère définitif de ce jugement conformément aux Art.s 2157 du code civil et 548 du code de procédure civile, demande, sa mise hors de cause comme privé de qualité pour acquiescer ou contredire à l'action en radiation;

Attendu que les autres parties reprirent leur position d'accord. qui avait été celle de la procédure de référé ;

Attendu que, pour le retenir dans la cause et mettre à sa charge les dépens de l'instance, le Tribunal a estimé que M. le Conservateur devait considérer l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 comme un titre authentique constatant, par acte séparé, la renonciation expresse de la dame P..., à son hypothèque légale, que son refus était injustifié et qu'il était à l'origine de l'instance dans laquelle sa présence était nécessaire ;

Mais attendu qu'investi d'un mandat légal comportant pour lui l'obligation de sauvegarder tout à la fois les intérêts des tiers et ceux des femmes mariées, M. le Conservateur des hypothèques est tenu de ne pas prendre parti dans les conflits d'intérêts soulevés par les formalités hypothécaires ;

Attendu que l'action intentée par la dame Ch.... était une action en vue d'arriver à la radiation de l'inscription de l'hypothèque légale de la dame P... ;

Attendu qu'au regard du conservateur des hypothèques assigné, ès qualité, il ne pouvait s'agir que d'une mise en cause en déclaration de jugement commun en vue d'obtenir l'exécution sans retard du jugement sous peine d'une astreinte et nullement d'une action en responsabilité pour refus de radiation, laquelle aurait pu être accompagnée d'une demande de dommages-intérêts et aurait dû être intentée au conservateur à, titre personnel ;

Attendu que le conservateur des hypothèques est sans qualité pour défendre à une action en radiation d'hypothèque qui doit être dirigée exclusivement contre le titulaire de l'inscription ou ses ayants droit; qu'il est sans qualité pour acquiescer à une demande en radiation ou y contredire;

Attendu que des textes impératifs et comminatoires imposent au conservateur l'obligation d'accomplir sans retard les formalités régulièrement requises et qu'il est abusif ou tout au moins inutile de demander à cet effet une injonction de justice assortie d'une astreinte ;

Attendu que M. le Conservateur des hypothèques de C... n'a commis aucune faute en se méprenant sur la valeur de l'ordonnance du 10 octobre 1950 et en précisant aux intéressés qu'il ne pouvait rayer l'inscription hypothécaire qu'en vertu d'un acte authentique (acte notarié) comportant le consentement des parties intéressées ou en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée, qu'il a été indûment mis en cause et qu'à tort les dépens de l'instance ont été mis à sa charge ; qu'en effet une ordonnance de référé n'est qu'une décision provisoire à laquelle il n'est pas d'usage de recourir pour parvenir à la radiation d'une hypothèque conformément aux Art.s 2157 et 2158 du code civil;

Attendu, sur l'appel incident de la dame Ch..., qu'à tort le tribunal n'a pas cru devoir ordonner la radiation demandée de l'inscription hypothécaire elle-même ;

Attendu, en effet, que s'il est exact que les parties n'invoquait pas les Art.s 2144 et 2145 du code civil, l'Art. 9 de la loi du 23 mars 1855, modifiée par la loi du 13 février 1889, précise expressément que la renonciation par la femme à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'un immeuble grevé de cette hypothèque en exporte l'extinction et vaut purge à partir de la mention de cette renonciation faite en marge de la transcription de l'acte d'aliénation, si la renonciation a été consentie par acte authentique distinct;

Attendu que l'Art. 1257 du code civil prévoit que les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées ou en vertu d'un jugement en dernier ressort passé en force de chose jugée; que rien ne s'opposait dès lors à ce que le Tribunal ordonnât la radiation qui était la conséquence de la renonciation consentie par la dame P, qu'il échut de faire droit à l'appel incident de la dame Ch... ;

Attendu que le sieur P.... a formé appel incident pour faire supprimer sa condamnation aux frais de référé qui n'était demandée par aucune des parties ; que cet appel est fondé ; le tribunal ayant statué ultra petita ;

Attendu qu'il demande ainsi que soit supprimé le donné acte obtenu par la dame Ch..., sur l'origine des fonds consignés entre les mains du séquestre ;

Attendu qu'il est justifié d'ailleurs non contesté que la somme de 300.000 francs dont il s'agit a été fournie au moyen des deniers du sieur P..., à concurrence de 229.812 francs du solde du prix de vente de l'immeuble resté disponible entre les mains du notaire et à concurrence de 70.188 francs de fonds avancés par Louis P..., père, que la formule du donné acte demandé par la dame Ch... n'était donc pas conforme à la réalité et risque, si elle était maintenue de créer ultérieurement des difficultés pour les ayants droit au retrait éventuel de la somme sous séquestre; qu'il échet d'insérer cette constatation dans le présent arrêt ;

Attendu qu'aux termes de l'acte de vente du 16 mai 1950, le sieur P..., était tenu de supporter à ses frais les mainlevées et certificats de radiation des inscriptions grevant l'immeuble vendu et d'indemniser l'acquéreur, dame Ch..., de tous frais extraordinaires de transcription et de purge ; qu'au surplus le prix d'acquisition de 450.000 francs a été payé comptant, que la transcription de la vente a révélé une première inscription hypothécaire de 100.000 francs en principal, qui fut régulièrement payée sur le prix de l'immeuble et une deuxième inscription d'hypothèque légale au nom de la dame P..., épouse en instance de divorce du sieur P..., prise pour une somme de 300.000 francs ; qu'il apparaît donc que le prix de vente couvrait très largement le passif hypothécaire et que la dame Ch... devait obtenir sans difficulté la mainlevée des inscriptions, mais que le sieur P..., sans tenir compte de l'hypothèque légale prise par sa femme, régla divers autres créanciers de sorte que la somme disponible sur le prix de vente fut réduite à 229.812 francs ; que dans ces conditions la dame P... refusa de donner mainlevée et que la dame Ch.,., fut obligée de s'adresser à justice, alors que sans le comportement du sieur P..., la renonciation aurait pu être obtenue amiablement par acte authentique passé devant notaire;

Attendu que ces circonstances déterminent la Cour à mettre tous les dépens des deux instances à la charge du sieur P...;

Attendu qu'en raison de l'urgence il convient de dire que le présent arrêt sera exécutoire sur minute et avant enregistrement,

Par ces motifs,

La Cour,

En la forme,

Joint les différents appels pour être statué sur eux par un seul et même arrêt, les déclare réguliers et recevables,

Au fond,

Donne défaut contre M. le Conservateur des hypothèques de C.., es-qualité, faute de conclure ;

Rejetant toutes conclusions plus amples ou contraires des parties comme inopérantes ou mal fondées, Réformant,

Prononce la mise hors de cause du Conservateur des Hypothèques de C,.., ès-qualité, aussi bien de l'actuel que de son prédécesseur, le sieur B..., le décharge de la condamnation aux dépens prononcée contre lui.

Supprime le donné acte demandé et obtenu par la dame Ch... sur l'origine des fonds consignés entre les mains du séquestre. Constate que ceux-ci proviennent à concurrence de 229.812 francs du prix de vente de l'immeuble et de 70.188 francs de fonds avancés par le sieur P... père.

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a donné acte à la dame P... de sa renonciation à son hypothèque légale grevant l'immeuble acquis des sieurs P... par la dame Ch..., moyennant consignation par cette dernière d'une somme de 300.000 francs entre les mains de Maître G..., avoué, nommé séquestre par l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950, a dit que cette renonciation était déjà constatée dans l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950 et a maintenu Maître G..., avoué, dans ses fonctions de séquestre, de la somme de 300.000 francs, à lui versée par la dame Ch... pour garantir la dame P... des droits qui lui étaient garantis par l'hypothèque légale à laquelle elle a renoncée.

Dit qu'au vu de la minute du présent arrêt et avant même enregistrement vu l'urgence, le fonctionnaire préposé à la Conservation des Hypothèques de C... devra porter en marge de la transcription de l'acte d'aliénation par P... à la dame Ch... de l'immeuble sis... à C..., la mention de renonciation de la dame P... a son hypothèque légale sur cet immeuble.

Dit qu'à raison de l'extinction de l'hypothèque légale de la dame P... sur l'immeuble susvisé, le fonctionnaire précité devra purement et simplement radier l'inscription prise le 3 mai 1950, volume 352, n° 25, à la Conservation des Hypothèques de C...

Condamner le sieur P... aux dépens de première instance et d'appel dont distraction au profit de Maîtres G..., R,.. et d'H..., avoués, aux offres de droit.

Dit que le présent arrêt est réputé contradictoire à l'égard de M. le Conservateur des Hypothèques de C..., ès-qualité.

Observations. - Sous l'art. 114 du Bulletin, nous avons publié le jugement du Tribunal de Clermont-Ferrand du 30 juillet 1951 et indiqué les points sur lesquels il ne nous paraissait pas pouvoir être approuvé.

Réformant ce jugement, l'arrêt rapporté ci-dessus donne entière satisfaction à notre collègue qu'il met hors de cause. Plusieurs des motifs sur lesquels il s'appuie donnent cependant lieu à critique.

I. - Tout d'abord, la Cour ne paraît pas avoir, plus que le Tribunal, aperçu le véritable motif du refus du Conservateur, à savoir : l'incessibilité de la pension alimentaire éventuelle de la femme qui s'opposait à ce qu'elle renonçât valablement à son hypothèque légale en ce que celle-ci garantissait le service de cette pension.

Comme le Tribunal, la Cour d'Appel a admis que la renonciation de la femme, constatée dans l'ordonnance de référé du 10 octobre 1950. était pleinement efficace et autorisait le Conservateur à opérer la radiation demandée.

Elle décide toutefois que " le Conservateur... n'a commis aucune faute en se méprenant sur la valeur de l'ordonnance du 10 octobre 1950 " et c'est en se fondant sur ce motif qu'elle met notre collègue hors de cause.

A noter que l'arrêt constate par ailleurs que l'action dirigée contre le Conservateur n'était pas une action en responsabilité, mais tendait seulement à obtenir une déclaration de jugement commun. il en résulte que, comme nous l'avons fait remarquer en commentant le jugement, le Tribunal a, en constatant une faute dont la reconnaissance n'était pas demandée, statué ultra petita. Cette circonstance n'était cependant pas de nature à justifier à elle seule la réformation du jugement en appel, l'allocation par le Tribunal d'une chose qui n'était pas demandée autorisant seulement la rétractation de la décision par la voie de la requête civile.

II. - Pour ordonner la radiation sans réserves de l'hypothèque légale de la femme du vendeur, la Cour s'appuie sur l'Art. 9 de la loi du 23 mars 1855, complété par la loi du 13 février 1889, aux termes duquel " la renonciation par la femme à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'immeubles grevés de cette hypothèque en importe l'extinction et vaut purge... "

Or la jurisprudence a, depuis longtemps, reconnu que cette disposition ne faisait pas échec à l'incessibilité des créances de caractère alimentaire, de telle sorte qu'elle n'autorisait pas la femme mariée à renoncer à son hypothèque légale dans la mesure où cette sûreté garantissait la pension alimentaire que le mari pourrait éventuellement être condamné à lui payer (Cass. civ. 12 décembre 1921, J.C. 8456; req. 3 juillet 1928, D.P. 1929-1-9, J.C. 10293, RH 5756.,et 5777).

C'est précisément pour remédier aux inconvénients que présentait cette jurisprudence pour le crédit des hommes mariés que le décret du 14 juin 1938, complétait l'art. 2135 du Code Civil, a disposé que les acquéreurs d'immeubles au profit desquels la femme du vendeur avait, sous certaines conditions, renoncé à son hypothèque légale seraient soustraits aux effets de cette hypothèque... " même en tant qu'elle garantirait la pension alimentaire judiciairement allouée à la femme, pour elle ou ses enfants, ou toute autre charge née du mariage ". Mais, selon ses termes mêmes, la nouvelle disposition ne produit effet que lorsque l'hypothèque n'est pas encore inscrite au moment où la femme y renonce. Une fois l'inscription prise, la renonciation de la femme retombe sous l'emprise de la règle générale en la matière : elle est inopérante en ce que l'hypothèque garantit une pension alimentaire éventuelle.

Dans l'espèce actuelle, c'est donc à tort que la Cour d'Appel, après le Tribunal, a reconnu pleinement opérante la renonciation de la femme consentie alors que l'hypothèque était déjà inscrite.

Mais, du moment où la Cour reconnaissait son plein effet à la renonciation, elle ne pouvait par application de l'art. 2160 du Code Civil, qu'ordonner la radiation pure et simple de l'inscription en ce qu'elle grevait l'immeuble vendu.

Sur ce point, l'arrêt échappe au reproche de contradiction que nous avons relevé à l'encontre du jugement frappé d'appel.

III. - Dans le commentaire du jugement, nous avons rappelé qu'un Conservateur ne pouvait être appelé dans une instance en radiation que s'il lui était fait grief d'avoir refusé d'exécuter la formalité et que sa mise en cause était injustifiée lorsqu'elle tendait seulement à faire prononcer la radiation en sa présence.

La Cour de Clermont confirme ce point de vue qui a déjà été souvent consacré par les Tribunaux (V. Bulletin A.M.C., art. 7 et 93).

IV. - En constatant que l'appel du Conservateur à l'instance visait seulement à faire prononcer la radiation en sa présence, l'arrêt observe que s'il s'était agi d'une action en responsabilité, elle aurait dû être dirigée contre le Conservateur pris à titre personnel. Il faut en induire que, dans l'esprit de la Cour, l'instance a pu être régulièrement intente contre le Conservateur pris à titre impersonnel, dès lors qu'il s'agissait d'ordonner une formalité

La Cour de Riom fait ainsi sienne une distinction déjà admise par un arrêt de la Cour d'Alger du 16 novembre 1949.

Nous avons indiqué, en publiant ce dernier arrêt (Bull. art. 56), que cette distinction n'était pas justifiée.

Aucune solidarité ne lie, en effet, les divers Conservateurs qui occupent successivement le même poste : le titulaire actuel d'une Conservation ne peut répondre en justice des fautes de son prédécesseur ; de même la condamnation prononcée contre lui ne peut être exécutée contre son successeur.

Dès lors, une action en justice, qu'elle tende à obliger le Conservateur à exécuter une formalité ou à lui demander la réparation du dommage causé par un refus injustifié, ne peut être engagée que contre un Conservateur individualisé. Et, lorsque cette action aboutit à une condamnation, celle-ci frappe le Conservateur qui a défendu à l'instance et lui seul, même s'il n'est pas nommément désigné. Il en résulte que, si cette condamnation a pour objet l'exécution d'une formalité et si le Conservateur contre lequel elle a été prononcée a, entre temps, cessé ses fonctions, la condamnation ne peut pas être exécutée contre son successeur considéré comme partie condamnée, c'est-à-dire sur simple signification.

Mais, bien entendu, si le créancier et le débiteur étaient également parties à l'instance, la condamnation vaut entre eux comme ordre judiciaire de radiation et peut à ce titre être exécutée contre le Conservateur en fonctions dans les conditions prévues à l'art. 548 du Code de procédure civile, où les décisions de justice peuvent être exécutées contre les tiers, c'est-à-dire non plus sur simple signification, mais sur la production d'une expédition du jugement et la justification que ce dernier est passé en force de chose jugée.

Annoter : C.M.L. n° 367, 383, 1219 et 1398; Jacquet et Vétillard, V° Femme mariée, n° 107, Jugement de radiation n° 57.

Voir AMC n° 1300.