Art. 128 RADIATIONS. Renonciation par la femme divorcée à son hypothèque légale. Nous reproduisons ci-après une décision de rejet de radiation rendue par l'un de nos collègues. Il nous parait intéressant de la publier, parce qu'elle aborde la plupart des difficultés que soulève la question de la renonciation à son hypothèque légale par la femme divorcée à son profit et non remariée. Mon cher Maître, j'ai examiné la question de la radiation de l'hypothèque légale inscrite par Mme Mar..., épouse divorcée Lin..., le 12 mai. 1946, vol. ... n° ... hypothèque dont ladite dame a donné mainlevée en suite d'un acte de liquidation de communauté, reçu par vous, le ... A mon grand regret, il ne me sera possible d'opérer cette radiation, que sous réserve des droits éventuels de l'inscrivante à pension alimentaire. Je n'ai pas besoin de rappeler en effet que, d'après
l'interprétation actuellement donnée par l'immense majorité
des Tribunaux, des dispositions du décret-loi du 14 juin 1938,
complétant l'art. 2135 C. Civ., la validité de la renonciation
par la femme à son hypothèque légale est subordonnée
à la condition, notamment, que cette hypothèque légale
n'ait pas été inscrite au moment de la renonciation : «
Attendu, déclare notamment un jugement du Tribunal Civil de la
Seine du 16 déc. 1947, qu'il n'est pas douteux que ses conservateurs
des hypothèques ne peuvent radier l'inscription d'hypothèque
légale de la femme, le décret-loi du 14 juin 1948 n'autorisant
pas cette dernière à renoncer à son hypothèque
légale inscrite... (Affaire Charnet c. Girard et Tainon). »
Sans doute, au cas particulier, Mme Mar..., du fait de son divorce, a actuellement recouvré sa pleine capacité civile. Mais cette constatation ne saurait modifier la solution qui vient d'être rappelée, en tant du moins que l'hypothèque inscrite garantit son droit éventuel à pension alimentaire. D'après la jurisprudence de la Cour de Cassation, l'hypothèque légale de la femme, dans la mesure où elle garantit une créance d'aliments, est en effet d'ordre public (Cass. 12 déc. 1921 D. 22.1.153; C. d'Aix, 7 avril 1943, Sem. Jurid. 2281 et 2177); cette créance est insaisissable (art. 501, § 2, C. proc. civ.), et par suite, incessible (C. Paris, 11 mai 1899, D. 99.2.239). La femme, même après qu'elle a recouvré sa pleine capacité, ne saurait donc disposer de son droit à pension, y renoncer ou le compromettre, en donnant mainlevée (dans la mesure où elle garantit ce droit d'ordre public, et en dehors des limites autorisées par le décret-loi du 14 juin 1938) de l'hypothèque légale qu'elle a pu faire inscrire antérieurement. Reste donc à savoir si Mme Mar... peut encore prétendre
à un droit à pension alimentaire en vertu de l'art. 301
C. civ. C'est là une question que je suis sans qualité pour
trancher; mais je dois constater qu'un doute peut au moins s'élever
à ce sujet. Je remarque d'abord que le divorce a été
prononcé à son profit exclusif et que la condition requise
pour l'ouverture de son droit à pension se trouve ainsi remplie.
D'autre part, le fait qu'aucune pension ne lui ait été accordée
par le jugement de divorce ne saurait entraîner pour elle de déchéance
absolue quant à son droit d'en réclamer une à tous
moments : l'art. 301 C. Civ. ne fixe en effet aucun délai pour
l'exercice de l'action en pension alimentaire, et une jurisprudence certaine
décide que cette pension peut, par suite, être valablement
demandée, même après la transcription du jugement
de divorce (Cass. 10 mars 1891, D.P. 91.1.1175 ; Cass. 18 octobre 1926,
D.P. 27.1.101 ; Cass. 12 mai 1936, D.P. 36.1.109 ; Rapp. civ. 23 mai 1949
; D.P. 49.1.443 ; J.C.P. 5.202). Il ne m'a pas échappé, d'ailleurs, que le jugement de divorce d'entre les époux Lin...-Mar... et l'arrêt confirmatif de la Cour de Paris du 1er mai 1933 ont eu, l'un et l'autre à statuer expressément sur la demande formulée par la femme en vue de l'octroi d'une pension et que cette demande a été rejetée. Mais les motifs de ce rejet peuvent paraître impliquer une reconnaissance implicite de ce droit à pension pour le cas où les circonstances sur lesquelles il se fonde viendraient à disparaître : « Considérant, dit, en effet; l'arrêt de la Cour de Paris, que c'est à juste titre qu'en se fondant sur les avantages, largement suffisants pour assurer sa subsistance, que la dame Mar... retirera du partage des biens communs, le Tribunal a décidé qu'il n'y avait pas lieu de lui accorder de pension alimentaire par application de l'art. 301 C. Civ... confirme... ». Le refus de pension alimentaire est donc fondé, non sur la constatation que la dame Mar... ne peut, en droit, prétendre à cette pension (auquel cas je n'aurais pas hésité à radier sans réserve), mais sur le fait qu'elle retirera de la liquidation de la communauté des avantages suffisants pour lui permettre d'assurer son existence. Or, la jurisprudence décide que, dans ce cas,
lorsque le refus de pension est motivé par des circonstances reconnues
inexactes, ou qui viendraient à disparaître ultérieurement,
la femme est fondée, en invoquant la situation nouvelle à
réclamer une pension et qu'elle est en droit de l'obtenir. C'est.
ainsi que, dans une espèce où une dame P..., ayant obtenu
le divorce à son profit, s'était vu néanmoins refuser
toute pension parce qu'elle pouvait travailler, et qu'un fils capable
de gagner sa vie était laissé à sa garde la Cour
de Cassation a, de nombreuses années plus tard, rendu l'arrêt
suivant : « Attendu qu'il résulte des énonciations
de l'arrêt attaqué que la décision prononçant
le divorce au profit de l'épouse, sans contester son droit à
pension, l'a même implicitement reconnu et réservé
en ce que, - envisageant les ressources actuelles de la dame P... - elle
a déclaré qu' « il n'y a pas lieu d'accorder de pension
alimentaire à la femme qui peut travailler et dont le fils laissé
à sa garde peut gagner sa vie ». Attendu, dès lors,
que la Cour d'Appel, ayant constatés quatre ans plus tard, que
la dame P... était maintenant privée de tous se/ours de
la part de son fils, et qu'elle-même, par suite de son état
de santé, était incapable de travailler, a pu (la pension
prévue par l'art. 301 étant soumise à toutes les
règles prescrites en matière d'aliments) condamner son mari
à lui servir une pension, laquelle en l'état des constatations
ci-dessus se rattachait ainsi directement à la décision
qui a prononcé le divorce... » (Cass., arrêt du 93
mai 1939. D. hebd., 39-403). Dans l'espèce actuelle, le refus de pension était basé sur le fait que « la dame Mar... retirerait du partage des biens communs des avantages suffisants pour assurer sa subsistance » (le jugement de divorce de 1931 avait, d'après un rapport d'expertise qui lui était soumis, évalué les biens communs, en 1931, à 530.000 francs pour un immeuble exploité comme blanchisserie, outre la valeur : 1° d'un fonds de commerce de blanchisserie; 2° d'un immeuble de plaisance à S...). En 1950, les droits de la femme ont été liquidés dans l'acte de partage de la communauté, qui renferme la renonciation de Mme Mar... à son hypothèque légale, à 155.900 fr. c'est-à-dire à une somme nettement inférieure à celle qu'avait envisagé le tribunal en 1931 (et. ce, nonobstant la dévaluation monétaire). Cette somme est-elle suffisante pour permettre à
la femme de subsister? Je n'ai pas qualité pour décider
à cet égard; mais je dois constater que, d'après
la jurisprudence qui vient d'être rappelée, la question de
pension alimentaire pourrait être remise en cause ; et, que si le
droit de la femme venait a être reconnu à cet égard,
la, renonciation amiable qu'elle a pu souscrire de son hypothèque
légale inscrite, et son consentement à radiation seraient
alors nuls, comme contraires à l'ordre public, en tant que l'hypothèque
garantissait le service de cette pension. La responsabilité du
conservateur, qu'il aurait radié l inscription sans réserve,
se trouverait alors engagée. C'est pourquoi, ainsi qu'il a été dit plus
haut, je ne puis envisager qu'une radiation de l'inscription réservant
les droit de la femme, en ce qui concerne ses droits éventuels
à pension alimentaire (l'inscription étant radiée
pour toutes antres causes). Si une radiation totale paraissait nécessaire,
elle ne pourrait avoir lieu qu'en vertu d'un jugement ayant force de chose
jugée à l'égard de Mme Mar..., titulaire de l'inscription,
c'est-à-dire après mise en cause de celle-ci, et justification
qu'il n'existe ni opposition, ni appel contre le jugement. Annoter : C.M.L., n° 1318; Jacquet et Vétillard.
V. Pension alimentaire, n° 6. 1, b.
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