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Art. 137

HYPOTHEQUE LEGALE DE LA FEMME MARIEE.

Renonciation ou subrogation consentie par la femme au profit des tiers.
Validité même en ce que l'hypothèque déjà inscrite peut garantir le service d'une pension alimentaire.

La loi du 12 mars 1953, dont le texte a été publié sous l'Art. 132 du Bulletin, a son origine dans une proposition de loi de MM. Montgolfier et Rolland, députés (annexe n° 2718 au procès-verbal de la séance de l'Assemblée nationale du 19 février 1952).

Elle vise à supprimer l'obstacle que la législation antérieure mettait à la radiation de l'hypothèque légale de la femme mariée sur les immeubles vendus par le mari ou à la subrogation, dans le bénéfice de cette hypothèque, du tiers auquel le mari avait conféré une garantie hypothécaire.

Elle mettra fin aux difficultés que soulevait fréquemment, en ces matières l'exécution des radiations ou des mentions et ne peut dès lors qu'être favorablement accueillie par les conservateurs.

Nous en donnons ci-dessous le commentaire et nous publions en annexe l'exposé des motifs de la proposition de loi et le rapport présenté par M. Rolland, député, au nom de la Commission de la Justice et de la législation de l'Assemblée Nationale.

Commentaire.

I. Il est de principe que les pensions alimentaires allouées en exécution d'une disposition légale sont incessibles et que cette incessibilité s'étend aux garanties attachées par la loi au service de ces pensions.

Par application de cette règle, la Cour de Cassation a jugé que lorsqu'une femme mariée avait renoncé à son hypothèque légale au profit de l'acquéreur d'un immeuble de son mari ou avait subrogé le créancier hypothécaire de son mari dans le bénéfice de son hypothèque légale, la renonciation ou la subrogation était inefficace en tant que l'hypothèque légale abandonnée ou cédée pouvait garantir le service d'une pension alimentaire. (Civ. 12 décembre 1921 ; S. 1923. 1-353 ; D. P. 1922. 1-153 ; J.C. 8456 et 8927; RH. 4753). Par suite, lorsque la femme, après la renonciation ou la subrogation, venait à obtenir la condamnation de son mari au versement d'une pension alimentaire, celle était fondée à se prévaloir de son hypothèque légale, pour la garantie du service de cette pension, à l'encontre du bénéficiaire de la renonciation ou de la subrogation.

Du fait du risque d'éviction qu'elle faisait peser sur l'acquéreur ou le créancier hypothécaire qui traitait avec le mari, cette jurisprudence était de nature à compromettre gravement le crédit des hommes mariés. C'est pour y faire échec que le décret-loi du 14 juin 1938 a ajouté à l'art. 2135 du Code civil un 7° alinéa ainsi conçu :

" Les effets de l'hypothèque légale de la femme mariée, même en tant " qu'elle garantirait la pension alimentaire judiciairement allouée à la femme, pour elle ou ses enfants ou toute autre charge née du mariage, ne peuvent en aucun cas être opposés aux tiers acquéreurs ou prêteurs qui ont bénéficié de renonciations, cessions, subrogations ou concours à la vente antérieure à l'inscription de cette hypothèque, à condition que la femme y ait expressément renoncé, après lecture faite et constatée par l'acte du présent Art.. "

En vertu de cette disposition, la femme mariée pouvait désormais, en règle générale, renoncer à son hypothèque légale au profit des tiers ou y subroger ceux-ci, même en ce que l'hypothèque abandonnée ou cédée pouvait garantir le service d'une pension alimentaire. Toutefois, cette règle comportait une restriction dont les commentateurs ont d'ailleurs vainement cherché l'explication, du fait que le texte exigeait, que les renonciations ou subrogations consenties par la femme soient, antérieures à l'inscription de l'hypothèque légale.

Il en résultait que, lorsque la femme, avait fait inscrire son hypothèque légale, elle se trouvait dans la même situation qu'avant le décret du 14 juin 1938 : Les renonciations et subrogations qu'elle consentait étaient inopérantes dans la mesure où l'hypothèque légale pouvait garantir le service d'une pension alimentaire.

Par suite, les conservateurs devaient obligatoirement, formuler une réserve en ce que l'hypothèque pouvait garantir le service d'une telle pension lorsqu'ils étaient requis :

1° Soit de mentionner en marge de la transcription d'une vente la renonciation de la femme du vendeur à son hypothèque légale déjà inscrite;

2° Soit de radier l'inscription de l'hypothèque légale de la femme portant sur un immeuble vendu par le mari, à moins que la mainlevée ne soit la conséquence d'une renonciation antérieure à l'inscription;

3° Soit de mentionner en marge de l'inscription de l'hypothèque légale de la femme la subrogation consentie postérieurement par elle au profit d'un créancier hypothécaire de son mari.

La loi du 12 mars 1953 étend les dispositions du décret-loi du 14 juin 1938 au cas des hypothèques légales déjà inscrites.

Dans la nouvelle rédaction qu'elle donne au 7° alinéa de l'art. 2135 C.C, il n'est plus nécessaire, pour qu'elle produise effet même en ce qu'elle garantit le service d'une pension alimentaire, que la renonciation ou la subrogation du tiers an bénéfice de l'hypothèque légale soit antérieure à l'inscription de cette hypothèque.

N'étant plus frappée d'aucune inefficacité, même lorsque l'hypothèque est déjà inscrite, la renonciation de la femme peut désormais être mentionnée sans réserve, dans tous les cas en marge de la transcription de l'acte de vente d'un immeuble du mari.

Pour le même motif, la mainlevée de l'hypothèque légale d'une femme mariée, en tant que cette hypothèque porte sur les immeubles vendus par le mari, peut toujours être exécutée purement et simplement par le conservateur. (Cf. Etude de M. Becque; J.C.P. 1953, I-1091).

Enfin celui-ci peut, en toute hypothèse, mentionner, sans réserve, en marge de l'inscription de l'hypothèque légale d'une femme mariée, la subrogation consentie par celle-ci au profit d'un tiers prêteur, soit du mari, soit d'elle-même.

Comme par le passé, l'efficacité de la renonciation ou de la subrogation demeure toutefois subordonnée à la condition qu'elle soit expresse et que l'acte dans lequel elle est contenue constate que lecture a été donnée, à la femme, de l'Art. 2135 du Code civil.

II. Dans les rédaction originaire du 7° alinéa, de l'art. 2135 du Code Civil, les effets de l'hypothèque légale de la femme mariée n'étaient pas opposables aux tiers " même en tant qu'elle garantirait la pension alimentaire... " :

Au conditionnel : " garantirait ", la nouvelle loi substitue l'indicatif : " garantit ".

Il est regrettable que les documents parlementaires et spécialement le rapport présenté par M. Rolland, député, au nom de la Commission de la Justice et de la législation de l'Assemblée nationale, laquelle a pris l'initiative de cette modification, soient muets sur les motifs de celle-ci (V. annexe n° 4895, rectifié, au procès-verbal de la séance du 27 novembre 1952).

Sous l'empire du décret-loi du 14 juin 1938, l'emploi du conditionnel : " garantirait " avait donné naissance, à une controverse au sujet de la portée du 7° alinéa de l'art. 2135 du Code civil.

Selon certains auteurs, la renonciation ou la subrogation n'étaient permises que lorsque la pension était déjà allouée, mais non pas lorsqu'il s'agissait d'une pension éventuelle. (V. Fuzier-Herman, Code civil annoté, art. 2133, n° 165).

Mais cette distinction n'avait pas été accueillie par la jurisprudence. S'appuyant également sur les termes du décret, le Tribunal de Pontoise a jugé, au contraire, " que l'emploi par le législateur du mot " garantirait " au lieu du mot, "garantit"... démontre qu'il a tenu à viser, par cette expression, non seulement la pension alimentaire déjà allouée judiciairement à la femme, mais encore celle qui pourrait, éventuellement lui être par la suite attribuée " (Jug. du 13 juin 1947, J.C.P. 1948, II-4044 et la note M.P.) Il semble en outre que la pratique notariale se soit fondée sur une troisième interprétation consistant à considérer que la renonciation ou la subrogation n'était possible que si la pension n'était pas encore allouée. Généralement, en effet, les notaires constatent dans les actes de renonciation et de subrogation, que, sur leur interpellation, la femme a déclaré n'être pas actuellement bénéficiaire d'une pension alimentaire.

La substitution du terme " garantit " à celui de " garantirait " vise sans doute à mettre fin à ces divergences d'interprétation. Le rappel des controverses auxquelles a donné lieu la rédaction antérieure du décret permet cependant de douter qu'elle atteigne le but recherché. (V. not. l'interprétation du Tribunal de Pontoise).

Pour notre part, nous estimons que le 7° alinéa de l'art. 2135, qu'il comporte le conditionnel " garantirait " ou l'indicatif " garantit ", ne permet pas de distinguer entre les pensions déjà allouées au moment de la renonciation ou de la subrogation et les pensions encore éventuelles.

Le texte vise en effet, non pas à réglementer les renonciations et les subrogations, mais à déterminer les effets de l'hypothèque légale de la femme à l'égard des bénéficiaires d'une renonciation ou d'une subrogation antérieure. L'époque à laquelle se place la situation en vue de laquelle il statue est donc, non pas celle où la femme consent la renonciation ou la subrogation, mais celle où naît une opposition d'intérêts entre la femme qui a renoncé ou subrogé et le bénéficiaire de la renonciation ou de la subrogation. Dès lors, si le terme employé (" garantirait " ou " garantit ") pouvait motiver une distinction, celle-ci ne pourrait se faire qu'entre les pensions déjà allouées à l'époque où la femme et les tiers sont entrés en conflit et, celles qui seraient encore éventuelles à cette époque.

En réalité, une telle distinction est exclue par l'objet même du texte. Pour qu'un conflit prenne naissance, il faut nécessairement en effet que la femme bénéficie d'une pension et que, pour le service de celle-ci, elle se prévale de son hypothèque légale à l'encontre du bénéficiaire d'une renonciation ou d'une subrogation antérieure. Il faut, en conclure que, quel que soit le terme employé dans la rédaction du textes " garantirait " ou " garantit ", il ne peut viser que des pensions déjà allouées.

En définitive, pour que le 7° alinéa de l'art. 2135 reçoive son application, il faut et il suffit que la femme bénéficie d'une pension, à quelque date que celle-ci ait été accordée, et qu'elle se trouve en concours, pour l'exercice de son hypothèque légale, avec des tiers au profit desquels elle a antérieurement renoncé à cette hypothèque ou qu'elle y a subrogé.

Quant à la date de la renonciation ou de la subrogation, rien n'autorise à distinguer selon qu'elle est postérieure ou antérieure à l'allocation de la pension. (V. § IV ci-dessous).

III. Dans sa rédaction originaire, le 7° alinéa de l'art. 2135 du Code civil ne visait que les effets de l'hypothèque légale.

Or, la plupart du temps, la femme mariée qui a obtenu la condamnation de son mari au service d'une pension alimentaire prend inscription, pour le service de cette pension, non seulement de son hypothèque légale mais aussi de l'hypothèque judiciaire attachée à la décision de justice qui a alloué la pension.

Sans doute, a-t-il été jugé que, même qualifiée d'hypothèque judiciaire, l'hypothèque inscrite en vue de garantir la pension alimentaire qu'un mari est condamné à servir à sa femme vaut comme hypothèque légale (Agen, 9 novembre 1912, Journ. Cons. 11512 et 11514; - Aix 23 novembre 1942; J.C.P. 1943, II-2084.

Cette opinion peut néanmoins prêter à controverse, de sorte que, si la loi du 12 mars 1953 s'était bornée à étendre le bénéfice du texte antérieur à l'hypothèque légale déjà inscrite. (V. § I ci-dessus), la radiation d'une inscription visant à la fois l'hypothèque légale et l'hypothèque judiciaire ou la mention d'une subrogation en marge d'une telle inscription aurait risqué de soulever, en ce qu'elle concernait l'hypothèque judiciaire, les mêmes difficultés que la radiation de l'hypothèque légale ou la mention d'une subrogation en marge d'une telle inscription, sous le régime antérieur.

C'est pour donner plus sûrement son plein effet à la renonciation de la femme ou à la subrogation consentie par elle que la loi nouvelle étend expressément le champ d'application de l'Art. 2135 à l'hypothèque judiciaire dans la mesure où elle garantit les mêmes droits que l'hypothèque légale.

IV. Nous estimons que, pour l'application de la loi du 12 mars 1953, il n'y a pas à distinguer selon la date à laquelle est intervenue la renonciation ou la subrogation.

Le 7° alinéa de l'Art. 2135 du Code civil réglemente en effet, non pas la renonciation ou la subrogation consentie par la femme, mais les effets de l'hypothèque légale de celle-ci à l'égard du bénéficiaire de la renonciation ou de la subrogation.

Avant l'entrée en vigueur de la loi du 12 mars 1953, le 7° alinéa de l'Art. 2135 autorisait la femme mariée à se prévaloir de son hypothèque légale, pour le service d'une pension alimentaire, à. l'encontre des tiers acquéreurs ou prêteurs, malgré la renonciation ou la subrogation consentie en leur faveur, dès lors que cette renonciation ou cette subrogation était postérieure à l'inscription de l'hypothèque.

Il n'en est plus de même sous l'empire de la nouvelle loi, puisque la condition d'antériorité de la renonciation ou de la subrogation par rapport à l'inscription n'est plus inscrite dans le 7° alinéa de l'art. 2135. Désormais, en vertu du nouveau texte, et sans que celle-ci comporte un effet rétroactif, les tiers acquéreurs ou prêteurs peuvent opposer sans réserve à la femme de leur vendeur ou emprunteur, la renonciation ou la subrogation qu'elle a consentie en leur faveur, quelle que soit la date de cette renonciation ou subrogation.

La question n'est d'ailleurs pas nouvelle. Elle s'est déjà posée lors de l'entrée en vigueur du décret du 14 juin 1938. On s'est alors demandé si le 7° alinéa ajouté par le décret à l'art. 2135 pouvait recevoir son application lorsque la renonciation ou la subrogation avait été consentie ultérieurement et la Cour de Cassation s'est prononcée dans le sens de l'affirmative (Civ. 7 mai 1947, D.P. 1947, Somm. p. 58; S. 1947, I-125; J.C.P. 1947, II -3771)

La Cour s'est, il est vrai, particulièrement appuyée sur le 8° alinéa également ajouté à l'art. 2135 du Code civil par le décret-loi du 14 juin 1938 et aux termes duquel "la présente disposition sera applicable aux renonciations, cessions, subrogations, concours à la vente effectuée, même si ces actes ne contiennent pas la renonciation expresse exigée pour l'avenir ". De ce que le texte statuait à l'égard de renonciations ou de subrogations consenties sous la forme admise sous le régime antérieur, la Cour de Cassation a induit avec raison que la nouvelle disposition était applicable aux bénéficiaires de renonciations et subrogations antérieures au décret-loi.

Mais il convient de remarquer que le 8° al. de l'art. 2135 a pour objet, non pas d'étendre le champ d'application du 7° alinéa au cas des renonciations ou des subrogations antérieures, mais seulement d'écarter une condition de forme qui aurait empêcher les bénéficiaires de ces renonciations de se prévaloir du nouveau texte.

La rédaction du 8° alinéa révèle ainsi que, dans l'esprit des rédacteurs du décret-loi, le 7° alinéa profitait de plein droit aux tiers en faveur desquels la femme avait déjà consenti une renonciation ou une subrogation lorsque le texte est entré en vigueur. Cette constatation confirme l'opinion que nous avons exprimée ci-dessus quant aux effets de la loi du 12 mars 1953 à l'égard des bénéficiaires de renonciations ou subrogations antérieures.

Il faut en conclure que les conservateurs n'auront pas de distinctions à faire selon que la renonciation ou la subrogation sera ou non postérieure à l'entrée en vigueur de la nouvelle loi.

Nous signalons toutefois que le jurisdancier périodique se prononce en sens contraire. (Commentaire de M. Emile Becqué, J.C.P. 1953, I-1091). Par contre, le journal des Notaires estime, comme nous, qu'il n'y a pas à distinguer selon la date de la renonciation ou de la subrogation (Commentaire de M. Masounabe-Puyanne, J.N., art. 44004).

En tous cas, le conservateur pourrait sans aucun risque opérer la radiation si la mainlevée consentie par la femme avant l'entrée en vigueur de la nouvelle loi faisait l'objet d'une réitération.

ANNEXE N° I.

PROPOSITION DE LOI
tendant à modifier l'alinéa 7°, ajouté par le décret-loi du 14 juin 1938 à l'Art. 2135 du Code Civil sur l'hypothèque légale de la femme mariée, présentée par MM. de Montgolfier et Rolland, députés (renvoyé à la commission de la Justice et de la Législation)

(Annexe n° 2718 au p.-v. de la séance de l'A.N. du 19 février 1952.)

Exposé des motifs.

I. - Le rapport, qui précède le décret-loi du 14 octobre 1938, modifiant l'art. 2135 C.C., explique de la manière suivante l'objet de cette réforme :

" En l'état actuel de notre législation, la législation considère qu'en raison du caractère incessible et insaisissable des créances d'aliment, l'hypothèque légale de la femme mariée, en tant qu'elle garantit une pension alimentaire, est frappée d'une indisponibilité absolue.

" Par suite, la femme mariée ne peut renoncer totalement on partiellement à son hypothèque légale à concurrence du capital qui garantit le versement d'une pension alimentaire allouée par décision de justice.

" ...Une telle situation est de nature, non seulement à priver de tout crédit les hommes mariés, mais encore... à nuire gravement au crédit immobilier.

" ...Pour parer à ce danger... il n'est pas d'autres moyens que de décider que la renonciation ou la subrogation consentie par la femme conservera son effet, même si elle acquérait par la suite un droit, incessible contre son mari.

" Tel est l'objet du présent décret qui se propose, par cette réforme, de renforcer le crédit immobilier. "

II. - Malheureusement, le décret-loi du 14 juin 1938, par une rédaction qui semble le fait d'une inadvertance, en visant les renonciations, cessions, subrogations un concours à la vente antérieurs à l'inscription de l'hypothèque, parait subordonner leur efficacité à la non existence d'une inscription antérieure.

Comme l'observe le professeur Becqué, annotant un arrêt d'Aix du 23 novembre 1942 (J.C.P. n° 2084) :

" ...le rapport... qui précédait le décret-loi ne faisait aucune allusion à cette exigence... ; les motifs de cette distinction... sont mystérieux, voire incompréhensibles. "

Il estime néanmoins que :

" ...les tribunaux ne sauraient, sous couleur d'interprétation et en faisant état de la rédaction défectueuse du décret-loi du 14 juin 1938, en supprimer certaines dispositions expansés.

Et c'est à cet avis que parait se ranger la jurisprudence des cours d'appel (Dijon, 27 octobre 1938, J.C.P. 1939, n° 957 ; Aix, précité, 23 novembre 1942; Toulouse, 28 octobre 1940, J.C.P. n° 1566; Caen, 13 janvier 1942, J.C.P. n° 1877).

Par contre, de nombreuses décisions de tribunaux civils, cédant aux exigences du bon sens et des nécessités de la pratique des affaires, n'ont pas hésité, soit à déclarer valable la mainlevée par une femme mariée de son hypothèque légale inscrite, soit à reconnaître à l'autorité judiciaire le pouvoir d'ordonner la radiation de l'inscription ou le cantonnement de l'hypothèque (Avranches, 28 janvier 1941, et la Seine, 28 janvier 1941 J.C.P. 1957 ; Seine, 6 juillet 1943, J.C.P. 42077 ; Toulon, 20 novembre 1941, J.C.P. 2084).

III. - En l'état actuel, en présence de cette doctrine et de cette jurisprudence, les conservateurs des hypothèques ne peuvent prendre d'autres parti que de refuser toute radiation d'une inscription d'hypothèque légale de femme mariée, à moins d'y être contraints par une décision judiciaire devenue définitive.

IV. - Ce singulier aboutissement de la réforme de 1938 dont le but était de " renforcer le crédit immobilier ", a pour résultat, comme le remarquent MM. Chambaz et Masounabe-Puyanne (Précis du droit et de la pratique hypothécaire, n° 367) sans qu'on aperçoive l'utilité qui s'en dégage, de rendre insoluble, dans certains cas, le problème d'ordre public que le décret du 14 juin 1938 s'est précisément attaché à résoudre ".

La situation se retourne contre la femme elle-même qui hésitera à prendre une inscription, quelquefois très utile, de son hypothèque légale, sachant que cette inscription ne pourra plus être radiée, même avec son consentement et paralysera la liquidation de ses propres intérêts.

V. - Une modification législative de l'art. 2135 paraît donc s'imposer. Il suffira de supprimer dans le texte la condition d'antériorité à l'inscription pour les renonciations et cessions, subrogations et concours à la vente. Rien ne s'opposera plus alors à la radiation de l'inscription de l'hypothèque légale sur les immeubles vendus, ni à la mention des cessions et subrogations lorsque la femme aura renoncé à cette hypothèque dans les formes instituées par le décret-loi du 14 juin 1938.

Les radiations et mentions de subrogations ou cessions resteront spéciales aux immeubles vendus ou donnés en hypothèque, car le texte de 1938 ne vise que l'opposabilité aux tiers acquéreurs ou prêteurs.

On pourrait prévoir la possibilité pour la femme de consentir une radiation totale d'une inscription générale de son hypothèque légale. On dépasserait alors le but que l'on s'est proposé de renforcer le crédit immobilier et on exposerait la femme, après divorce, à consentir une renonciation imprudente à toute garantie, même sur des immeubles étrangers à la vente et à la constitution d'hypothèque.

Par contre, au profit des acquéreurs et prêteurs, il serait peut-être utile, pour éviter toute équivoque, d'étendre expressément les dispositions de l'art. 2135 relatives à l'hypothèque légale de la femme, à l'hypothèque judiciaire qui garantirait mêmes droits.

ANNEXE N° II.

RAPPORT
fait au nom de la commission de la Justice et de la Légalisation sur la proposition de loi n° 2718 de MM. de Montgolfier et Rolland, tendant à modifier l'alinéa 7, ajouté par le décret-loi du 14 juin 1938 à l'Art. 2135 du Code Civil sur l'hypothèque légale de la femme mariée.

(Annexe n° 4895, rectifié au procès-verbal de la séance de l'A.N. du 27 novembre 1952.)

Le législateur du Code Civil, en donnant à la femme mariée une hypothèque légale sur les biens personnels de son mari et ceux de la communauté, l'avait dispensée de prendre inscription de cette hypothèque pendant toute la durée du mariage et même dans l'année suivant la dissolution et l'avait autorisée, en outre, à y renoncer en faveur des tiers acquéreurs, comme aussi à y subroger les tiers prêteurs.

Cette hypothèque légale garantissait toutes les créances de la femme contre son mari et, notamment, les sommes que celui-ci pouvait lui devoir à la suite de jugements de divorce ou de séparation de corps, comme lui ayant été allouées par le jugement, soit pour elle personnellement, soit pour élever ses enfants.

Or, la Cour de Cassation, dans deux arrêts rendus, l'un par la Chambre civile, le 12 décembre 1921, l'autre par la Chambre des requêtes, le 3 juillet 1928, considérant qu'il s'agissait là de pensions de nature alimentaire et, comme telles, incessibles et insaisissables, avait frappé de nullité absolue toutes renonciations ou subrogations consenties par la femme, en tant que l'hypothèque légale était l'accessoire de telles créances.

Cette jurisprudence, si elle était très juridique dans ses fondements, n'en eut pas moins pour conséquence de supprimer tout crédit au mari, en raison du risque couru par le prêteur, l'hypothèque légale de la femme devant primer la sienne, même en cas de cession ou de subrogation déclarées nulles.

De même l'acquéreur d'un immeuble n'était jamais sûr que la femme, bien qu'ayant renoncé à son hypothèque légale dans l'acte de vente, ne viendrait pas un jour à divorcer et à lui réclamer le payement de sa pension alimentaire, au lieu et place de son mari devenu insolvable. C'était ainsi la porte ouverte aux fraudes et collusions de la part d'époux peu scrupuleux, mais c'était surtout, dans bien des cas, l'impossibilité d'emprunter ou de vendre.

En 1937, M. Sérol, député, avait déposé une proposition de loi tendant à porter remède à cette situation, en autorisant la femme à consentir renonciations, cessions et subrogations, sans qu'il y ait à tenir compte de la nature de la créance que son hypothèque garantissait.

Avant que cette proposition ait été discutée, un décret-loi du 14 juin 1938 vint résoudre la question, mais seulement en partie, car il autorisait bien la femme à faire de tels actes lorsque son hypothèque n'était pas inscrite, mais le lui refusait dans le cas contraire, sans qu'il ait été possible de savoir pour quels motifs.

Il en est résulté que, toutes les fois que l'hypothèque légale de la femme a été inscrite, il a fallu recourir aux tribunaux pour obtenir la. radiation de l'inscription en faveur des acquéreurs. De là, des lenteurs et surtout des frais importants sans motifs légitimes.

Dans certains cas même, les tribunaux se sont refusés à ordonner la radiation de l'hypothèque légale.

Ce n'est certes pas ce qu'a voulu le législateur, d'autant plus que cette situation peut être préjudiciable tant au mari qu'à la femme; en effet, le premier risque d'avoir ses immeubles grevés de l'inscription de l'hypothèque légale et la femme, dans bien des cas, hésiter à prendre une inscription, sachant qu'elle ne pourrait pas être radiée et paralyserait ainsi la liquidation de ses propres intérêts.

Une modification législative de l'art. 2135 paraît donc s'imposer et il suffit de supprimer dans le texte " la condition d'antériorité à l'inscription " pour les renonciations et cessions, subrogations et concours à la vente et ainsi rien ne s'opposera plus à la radiation de l'inscription de l'hypothèque légale lorsque la femme aura renoncé à cette hypothèque dans les formes instituées par le décret-loi du 14 juin 1938.

En outre, pour éviter toute équivoque au profit des acquéreurs et prêteurs, il est utile d'étendre expressément les dispositions de l'art. 2135 à l'hypothèque judiciaire qui garantissait les mêmes droits.

Annoter : C.M.L. n° 367 ; Jacquet et Vétillard, V. Femme mariée. n° 105 et 108: