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Art. 192

I. - INSCRIPTION.

A. - Hypothèque conventionnelle. Biens à venir.
Nouvelle inscription nécessaire à la suite de chaque acquisition réalisée par le débiteur.

B. - Inscription prise par un simple agent d'affaires. Validité

II. -- RADIATION.

Radiation judiciaire. - Inscription prise sans droit.
Radiation demandée par un tiers acquéreur de l'immeuble grevé.
Recevabilité.

III. - ETATS HYPOTHECAIRES.

Inscription nulle. - Circonstance ne dispensant pas le Conservateur de l'obligation de la révéler.

Sommaire. - 1. - La règle de la spécialité des inscriptions hypothécaires exige, pour l'efficacité de l'hypothèque conventionnelle de biens à venir, qu'une nouvelle inscription soit prise à la suite de chaque acquisition immobilière réalisée par le débiteur.

2. - Cette inscription, comme toute autre inscription d'hypothèque conventionnelle, peut, en principe, être valablement opérée à la requête d'un tiers agissant comme simple gérant d'affaires.

3. - Le débiteur sur le bien duquel une inscription aurait été prise sans droit, en vertu notamment d'un titre éteint ou soldé, est recevable a en faire ordonner la radiation aux frais, le cas échéant, du requérant et avec dommages-intérêts, s'il y a lieu.

4. - Le même droit appartient a l'acquéreur, qui a un intérêt légitime à obtenir la radiation d'une inscription nuisible par elle-même à son crédit sans préjudice de l'engagement qu'aurait pris vis-à-vis de lui son vendeur de rapporter la mainlevée de cette inscription.

Cass. Civ. 6 juin 1952.

La Cour...

Vu les Art.s 2130, 2160, 2148 du Code Civil, al.-1er...

Attendu que si la règle de la spécialité des inscriptions hypothécaires exige, pour l'efficacité de l'hypothèque conventionnelle de biens à venir, qu'une nouvelle inscription soit prise à la suite de chaque acquisition immobilière prise par le débiteur, cette inscription, comme toute autre inscription d'hypothèque conventionnelle, peut, en principe, être valablement opérée à la requête d'un tiers agissant comme un simple gérant d'affaires, sauf au débiteur sur le bien duquel l'inscription aurait été prise sans droit, en vertu notamment d'un titre éteint ou soldé, à en faire ordonner la radiation aux frais, le cas échéant, du requérant, et avec dommages-intérêts, s'il y a lieu;

Que le même droit appartient à l'acquéreur, qui a un intérêt légitime à obtenir la radiation d'une inscription nuisible par elle-même à son crédit, sans le préjudice de l'engagement qui pourrait pris vis-à-vis de lui son vendeur de rapporter la mainlevée de cette inscription; ;

Attendu qu'il résulte des qualités et des énonciations de l'arrêt attaqué, que les époux Dupriez-Goguillon ayant consenti au sieur Hequet, le 6 juin 1935, une hypothèque générale sur leurs biens présents et à venir en garantie d'une créance de 100.000 francs, inscription fut prise à cette date par le créancier sur leurs biens présent ;

Que la dame Dupriez, ayant recueilli en 1941 dans la succession de ses parents divers immeubles à Arleux, le Conservateur des hypothèques de Douai inscrivit ultérieurement, comme grevant lesdits immeubles, l'hypothèque consentie en 1933 par Hequet « sans que celui-ci paraisse avoir pris l'initiative de requérir lui-même cette inscription, en vertu du titre dont il était porteur »;

Que les époux Dupriez ont vendu à Blondel, le 13 décembre 1941, par acte de C..., notaire, une parcelle de terre faisant partie de ces immeubles, « en s'engageant à rapporter mainlevée des inscriptions en charge (sic) qui surviendraient »; mais que l'acquéreur, après avoir vainement tenté d'obtenir amiablement, la radiation de l'inscription qui grevait la parcelle acquise, assigna en mainlevée et en dommages-intérêts ses vendeurs, le créancier hypothécaire et le notaire, pris comme solidairement responsables du défaut de radiation;

Attendu que rejetant, sans la vérifier, comme étant hors du débat, l'affirmation des époux Dupriez, lesquels, uniquement soucieux d'éviter une condamnation personnelle aux frais de mainlevée et, à des dommages-intérêts, prétendaient que l'inscription de 1941 avait, été faite en vertu d'un titre soldé depuis le 24 août 1937 et que les conséquences de cette erreur devaient incomber au seul créancier, l'arrêt attaqué a débouté l'acquéreur Blondel de toutes ses demandes, fins et conclusions, au motif « qu'aucune inscription hypothécaire n'avait été régulièrement requise » par le créancier Hequet, sur l'immeuble vendu le 13 décembre 1941; que par suite, l'acquéreur se trouvait à l'abri de toute revendication et que son action était irrecevable;

D'où il suit qu'en statuant ainsi, l'arrêt attaqué a violé les textes susvisés ;

Par ces motifs : Casse et annule l'arrêt ; - Renvoie devant la Cour d'appel d'Amiens ; - Condamne les défendeurs...

Observations : I. - Aux termes de l'art. 2129 du Code Civil, « les biens à venir ne peuvent être hypothéqués ». Toutefois l'Art. 2130 déroge à cette règle et permet d'hypothéquer les biens à venir « si les biens présents et libres du débiteur sont insuffisants pour la sûreté de la créance ». Dans ce dernier cas, après avoir constaté l'insuffisance, le débiteur peut consentir que chacun des biens qu'il requerra par la suite sera affecté à la garantie de sa dette au fur et à mesure des acquisitions.

Mais, à la différence des hypothèques légales et des hypothèques judiciaires, qui peuvent être conservées, tant pour les biens présents que pour les bien à venir, par une inscription unique, les hypothèques conventionnelles sur les biens à venir doivent faire l'objet d'une inscription spéciale au fur et à mesure de l'entrée des immeubles dans le patrimoine du débiteur (Cass. req. de mars 1902 ; D.P. 1902-1-214 ; J.C. 5435, R.H. 2658 ; Précis Chambaz et Masounabe, n° 189-I).

La conséquence de ce principe, que l'arrêt rapporté rappelle explicitement, est que l'inscription originaire ne peut frapper que les biens présents et que les biens acquis ultérieurement par le débiteur ne sont eux-mêmes grevés qu'à compter du jour où est prise l'inscription qui les concerne et qui lest spécifie spécialement.

II. - Une inscription, pour être valable, n'a, pas à être requise nécessairement par le créancier ou son mandataire. Le bordereau peut être signé par un simple gérant d'affaires; dans ce cas, l'inscription n'en profite pas moins au créancier si celui-ci a intérêt à s'en approprier les effets (Cass. civ. 26 novembre 1895, D.P. 1896-1-313 ; 1896-1-73; J.C. 4752, R.H. 1625, 1728; Précis Chambaz et Masounabe, n° 574).

Sur ce point, le nouvel arrêt confirme expressément la jurisprudence antérieure de la Cour de Cassation.

III. - L'arrêt décide en outre que le débiteur est fondé a demander la radiation de l'inscription qui aurait été prise sans droit sur son immeuble, en vertu d'un titre éteint ou soldé. C'est là l'application de l'art. 2160 du Code Civil.

Il en serait autrement s'il s'agissait d'une. inscription nulle pour vice de forme. Les formes constitutive de l'inscription ayant été prescrites dans l'intérêt des tiers et non dans celui du débiteur, on décide, en effet, que ce dernier n'est pas fondé à se prévaloir de l'omission dans le bordereau d'une ou plusieurs des énonciations prévues par la loi, pour faire annuler une inscription prise contre lui (Planiol, Ripert et Becqué, des sûretés réelles, n° 858; Précis Chambaz et Masounabe, n° 1397-1°).

Par contre, on reconnaît à l'acquéreur de l'immeuble grevé par l'inscription atteinte de nullité, le droit de poursuivre l'annulation de cette inscription. Devenu propriétaire du bien acquis dès le moment de son acquisition, l'acquéreur acquiert immédiatement, qu'il ait ou non purgé, toutes les actions tendant à défendre et consolider sa propriété. De ce fait, il a le droit d'invoquer la nullité d'une inscription qui, par sa seule existence, porte atteinte à son crédit et qui l'expose à une surenchère de la part du créancier (Cass. 9 avril 1856, D.P. 56-I-204, S. 57-1-105, J.C. 1247).

IV. - A en croire l'arrêt, une inscription spéciale aurait été prise, après l'entrée de l'immeuble en cause dans le patrimoine du débiteur, par le Conservateur dés hypothèques.

Cette énonciation est erronée.

Si une inscription devait être prise après l'acquisition de l'immeuble par le débiteur, l'initiative de cette formalité n'appartenait pas au Conservateur qui, à cet égard, avait un rôle purement passif, et consistant exclusivement à recevoir les bordereaux que les intéressés auraient cru devoir déposer à son bureau.

En fait, aucune inscription n'avait été prise spécialement sur l'immeuble recueilli par les débiteurs postérieurement à l'inscription originaire. C'est celle-ci, qui, portant à la fois sur les biens présents et sur les biens à venir des débiteurs a été révélée par l'état sur transcription délivré lors de la vente de l'immeuble en cause.

Le Conservateur n'a pas, en effet, à se faire juge de la validité des inscriptions qui figurent sur ses registres. Dès lors qu'elles portent sur l'immeuble désigné dans la réquisition, que, par les termes employés, elles le grèvent ou paraissent le grever du chef de la personne sur laquelle il est requis et qu'elles ne sont pas atteintes par la péremption, il doit les révéler. Au cas particulier, il ne pouvait, par suite, malgré la nullité dont elle pouvait être frappée en ce qu'elle portait sur un bien alors à venir, se dispenser de porter sur son état l'inscription qui, par les termes généraux, dans lesquels elle était rédigée, grevait au moins apparemment l'immeuble vendu ( Précis Chambaz et Masounabe, n° 1614; Jacquet, Traité des états hypothécaires, n° 252-I).

Annoter : C.M.L. 189-I, 574, 1397-I, 1614-I-A; de France; 80, 112, 470, 543-II; Jacquet, Traité des états hypothécaires, n° 252-I.