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Art. 209

TRANSCRIPTION.

Exploit d'huissier. - Copie sur formule spéciale signée par le requérant et non par l'huissier. - Refus justifié.

Sommaire. - Un Conservateur des hypothèques est fondé à refuser à transcrire un exploit d'huissier lorsque le certificat de collationnement de la copie sur formule spéciale est signé, non par l'huissier rédacteur de l'exploit, mais par la partie requérante.

Trib. de la Seine, 25 mars 1954

Le Tribunal...

Attendu que suivant exploit, en date du 10 octobre 1952, dames M... et B..., ont fait assigner R..., Conservateur des hypothèques, en paiement d'un million de francs de dommages-intérêts, pour préjudice qu'ils disent avoir subi du fait d'un refus de transcription.

Attendu que R... conclut à l'irrecevabilité et u mal fondé de cette demande, soutenant au principal n'avoir commis aucune faute et subsidiairement que les demandeurs n'ont pas subi de préjudice.

Attendu en fait que, le 29 janvier 1952, les demandeurs ont présenté en vue de transcription au ... Bureau des Hypothèques de la Seine, dont R... est Conservateur, un exploit du Ministère de Huet, huissier à ce Tribunal en date du 26 du même mois, par lequel ils sommaient les consorts C...-B... de comparaître le 30 du même mois, en l'étude de Me C..., notaire à S..., pour ratifier une vent immobilière portant sur un appartement dans l'immeuble sis à Paris, 72, rue B..., et résultant d'un échange de lettres des 28 novembre et 5 décembre 1951, entre eux-mêmes, et le Cabinet D... et D..., mandataires des consorts de C...-B...

Attendu que, pour parvenir à cette transcription, les demandeurs ont déposé au bureau des Hypothèques l'original de l'exploit et une copie sur papier spécial prescrit par l'Art. 13 de la loi du 23 mars 1855, tel que modifié par la loi du 24 juillet 1921.

Attendu que cette copie sur papier spécial se terminait par la mention suivante :

" La soussignée M..., Marie-Louise-Emilie-Pascaline-Désirée, artiste peintre, demeurant à Paris, rue B..., n° 8, certifie que la présent copie exactement conforme à l'original destiné à recevoir la mention de transcription et approuve quatre renvois et huit mots rayés nuls et quarante et deux blancs bâtonnets, signé "

Attendu que R... n'accepte pas la pièce ainsi présentée et inscrivit dans le cadre réservé au Conservateur, la mention suivante :

" Refusé de transcrire le présent bordereau dont le certificat de collationnement, signé, non par l'huissier rédacteur de l'exploit, mais seulement par la requérante, n'est pas conforme aux prescriptions de l'Art. 1er de la loi du 24 juillet 1921.

" Paris, le 29 janvier 1952, 1e Conservateur , signé ".

Attendu que le même jour, fut présenté et transcrit, Volume 1486, n° 18, un acte de vente portant sur le même appartement, au profit de Demoiselle C...

Attendu que les demandeurs au litige actuel prétendent qu'à tort r... aurait refusé de transcrire l'acte par eux présenté et qu'ainsi leur acte aurait perdu l'antériorité de transcription qui aurait rendu leur acquisition opposable aux tiers dans les termes de l'Art. 3 de la loi du 23 mars 1855.

Attendu en droit qu'un acte authentique ne tire sa force et sa valeur probante que de la signature de l'Officier public ou ministériel qui l'a dressé ou qui en est dépositaire.

Attendu que cette règle, incontestablement applicable aux minutes et originaux, est également applicable aux copies.

Attendu qu'une copie tirée par un particulier d'un acte authentique dont l'original se trouve en sa possession, comme c'est le cas pour les actes dressés en brevet par les notaires et pour les exploits des huissiers, n'est qu'une pièce informe et sans valeur, qui ne saurait en aucun cas suppléer à la copie dont l'exactitude est certifiée sous sa responsabilité par l'Officier ministériel compétent.

Attendu que le législateur, en instituant des officiers publics et ministériels, a eu pour but d'assurer une exacte et fidèle rédaction des actes dont il les a chargés, chacun dans les limites de sa compétence.

Attendu qu'en leur donnant qualité pour délivrer des copies de ces actes, il a voulu entourer la délivrance des copies des garanties de la valeur professionnelle et morale qui est exigée d'eux.

Attendu qu'ainsi chaque fois qu'un teste légal parle de la copie, de l'expédition ou de l'extrait d'un acte authentique, il s'agit d'un document délivré par l'officier public compétent, et certifié conforme par lui et non de la copie qu'un particulier peut en tirer de sa propre autorité.

Attendu que, bien loin de déroger à ces règles générales, la loi sur la transcription en fait application.

Attendu que dans le système primitif de la loi du 23 mars 1855, la transcription, conformément à son sens étymologique, s'opérait par le dépôt au bureau des Hypothèques d'une copie de l'acte authentique ou d'un original de l'acte sous seings privés, que le Conservateur des hypothèques recopiait sur un registre ;

Attendu que le Conservateur était alors responsable de la conformité de la transcription avec l'acte qui lui avait été présenté et qu'il restituait au requérant revêtu de la mention de transcription.

Attendu qu'il n'a jamais été mis en doute que la copie d'acte authentique présentée, sous ce régime, au bureau des hypothèques, ait dû nécessairement être délivrée par l'officier public compétent.

Attendu que la loi du 24 juillet 1921 a changé la forme matérielle de la transcription.

Attendu que le principe alors posé était celui du dépôt à la Conservation des Hypothèques de deux exemplaires des actes sous seings privés ou de deux expéditions ou extraits de l'acte authentique.

Attendu que l'une de ces deux copies est rendue au requérant revêtue de la mention de transcription, tandis que l'autre, établie sur un papier spécial, demeure à la Conservation des Hypothèques, pour y constituer un élément des registres de transcriptions.

Attendu que la loi exige, au bas de cette dernière copie, un certificat de collationnement, qui garantit la conformité du titre original et du registre des transcriptions.

Attendu que, dans le cas, devenu exceptionnel depuis le décret-loi du 8 août 1935 (sic), où un acte sous seings privés donne lieu à transcription directe, sans dépôt préalable au rang des minutes d'un notaire, la transcription s'opère par le dépôt de deux originaux de l'acte.

Attendu qu'en ce cas, l'exemplaire destiné à demeurer à la Conservation des Hypothèques doit, comme tous les originaux, être revêtu de la signature de toutes les parties.

Attendu que la loi du 24 juillet 1921 a ainsi pour conséquence de substituer à la responsabilité du Conservateur en cas de non conformité du registre avec la copie revêtu de la mention de transcription, la responsabilité de l'officier public, si l'acte transcrit est authentique, et celle de toutes les parties si c'est un acte sous seings privés.

Attendu qu'en cette matière, qui touche aux droits de tiers, il est, au moins autant que pour les autres usages d'une copie de titre, nécessaire de réunir le maximum de garanties.

Attendu que le texte de l'Art. 13 modifié, en visant deux expéditions ou extraits littéraux absolument conformes de l'acte ou du jugement à transcrire, ne peut pas être présumé avoir dérogé aux règles générales ci-dessus dégagées.

Attendu que la volonté du législateur serait encore confirmée à cet égard, s'il en était besoin, par le décret-loi du 8 août 1935 (sic), qui, ajoutant un alinéa à l'Art. 2 de la loi du 23 mars 1855, exige que les actes s.s.p. soient, sauf deux exceptions étrangères à la manière des droits réels, déposés au rang des minutes d'un notaire préalablement à la présentation en vue de la transcription.

Attendu que, par cette disposition, le législateur a voulu réduire dans toute la mesure du possible les cas où un acte est transcrit sous la seule responsabilité des particuliers.

Attendu que la disposition. aux termes de laquelle la transcription prévue par l'Art. 678 (actuellement 674) du Code de Procédure Civile s'opère par le dépôt de deux copies certifiées par l'huissier, constitue une application de la règle générale ci-dessus dégagée et ne saurait être interprétée comme conférant aux particuliers le droit de dresser des copies d'actes d'huissier et d'en certifier la conformité, en dehors des procès-verbaux de saisie immobilière.

Attendu que les Conservateurs des Hypothèques, s'ils ne sont pas juges de la validité intrinsèque des actes déposés en vue de transcription, tirent cependant de leur fonction le pouvoir d'apprécier si cette transcription est requise en la forme légale.

Attendu que ce pouvoir est notamment reconnu par la disposition de l'Art. 13 de la loi du 23 mars 1855, qui prescrit, à peine de rejet, la forme de la copie destinée à demeurer à la Conservation.

Attendu qu'en application de ces principes, c'est à bon droit que R..., Conservateur des Hypothèques au ... bureau de la Seine, a décidé de rejeter de la formalité de la transcription une copie faite et certifiée conforme par la dame M..., requérante de ladite transcription.

Attendu qu'une plainte déposée par les demandeurs au Parquet de Monsieur le Procureur de la République a été classée sans suite.

Attendu que d'une pièce relative à cette plainte, régulièrement versée au présent débat, il ne résulte pas la preuve que R..., Conservateur des Hypothèques, ait frauduleusement antidaté la transcription de l'acte de vente portant sur les mêmes biens, consenti à Mlle C... ·

Attendu que, dans ces conditions, R... n'a commis aucune faute et qu'il échet de débouter les demandeurs, sans qu'il soit nécessaire de rechercher la réalité et le montant du préjudice qu'ils auraient subi en étant frustrés de leur désir d'acquérir l'immeuble litigieux.

Par ces motifs : Déclare dames M... et B... mal fondées en leur demande, les en déboute, et les condamne aux dépens...

Observations. - La loi du 2 juillet 1921 a modifié la forme de la transcription : depuis son entrée en vigueur, les actes à transcrire ne sont plus recopiés ; il en est déposé à la Conservation deux exemplaires dont un sur formule spéciale. Ce sont les formules spéciales réunies en une reliure, qui forment le registre des transcriptions.

Aux termes des alinéas 1 et 2 de l'Art. 13 ajoutés à la loi du 23 mars 1855 par la loi du 24 juillet 1921, l'exemplaire établi sur formule spéciale doit consister, soit en une expédition ou un extrait, s'il s'agit d un acte dressé par un notaire ou un greffier, soit sur un original s'il s'agit d'un acte sous signatures privées.

Pour ce qui concerne les actes dressés par les huissiers, le texte ne vise explicitement que les procès-verbaux de saisie. Que faut-il en conclure au sujet de la transcription des autres exploit d'huissier ?

Tout d'abord, il ne semble pas que l'on puisse en déduire que, sous l'empire de la loi du 24 juillet 1921, les actes des huissiers autres que les procès-verbaux de saisie ne peuvent plus être présentés à la transcription, la loi en cause ayant exclusivement pour objet de modifier la forme de la formalité. Il paraît plus conforme à l'esprit de la loi de considérer que celle-ci a statué seulement de eo quod plerumque fit et que, si elle n'a pas explicitement visé les actes des huissiers en général, c'est parce que ces actes ne sont qu'exceptionnellement soumis à la transcription.

Ceci posé, il convient de rechercher sous quelle forme les actes des huissiers doivent être transcrits. Comme cette forme n'est pas explicitement déterminée par la loi, il faut s'en rapporter aux règles générales tracées par le législateur.

A cet égard, il importe d'observer que, pour que la transcription présente, sous sa nouvelle forme, les mêmes garanties que sous le régime antérieur, la loi de 1921 n'admet en aucun cas les simples copies établies par les particuliers, lesquelles ne comportent aucune valeur juridique (Cass. réq. 16 février 1926, S.. 1926-1-52). Dans l'économie de cette loi, l'exemplaire rédigé sur formule spéciale et destiné à former un élément du registre des transcriptions doit présenter en toute hypothèse la même force probante que l'exemplaire destiné à être rendu aux parties après avoir été revêtu de la mention de transcription. C'est pourquoi cet exemplaire doit consister soit en une expédition ou un extrait, c'est-à-dire en une copie intégrale ou partielle signé par l'officier public ou ministériel rédacteur de l'acte, lorsqu'il s'agit d'un acte dressé en minute, soit en un original revêtu des mêmes signatures que les autres originaux de l'acte dans le cas contraire (Rappr. : Note 3 sous D.P. 1921-1-215, Planiol, Ripert et Picard, 2° éd., t. III, n° 662).

Par transposition de ces principes, l'exemplaire d'un acte d'huissier établi sur formule spéciale, qu'on l'assimile à une expédition ou qu'on le considère comme un second original, ne peut être signé que par l'huissier lui-même.

Cette conclusion trouve au surplus sa confirmation dans le 6° alinéa de l'Art. 13 de la loi du 23 mars 1855 relatif à la transcription des procès-verbaux de saisie. En ce qui concerne ces actes, les seuls des exploits d'huissier visés par la loi, la transcription s'opère, aux termes du texte susvisé " de la manière prévue pour les actes et jugements, par le dépôt à la conservation de deux copies certifiées par l'huissier ".

On peut donc tenir pour certain que la copie sur formule spéciale d'un exploit d'huissier ne satisfait pas aux prescriptions de l'Art. 13 ajouté à la loi du 23 mars 1855 par l'Art. 1er de la loi du 24 juillet 1921, lorsqu'elle est signée non par l'huissier rédacteur de l'exploit, mais par la partie requérante elle-même.

Une telle copie ne peut par suite qu'être refusée en exécution des art. 3, dernier alinéa, et 4 du décret du 28 août 1921 pris pour l'application de la loi du 24 juillet 1921 (Inst. n° 3708, annexes).

Le jugement rapporté ci-dessus; qui se prononce en ce sens, doit dès lors être approuvé.

Annoter : C.M.L. n° 869 ; - de France, n° 253.