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ARTICLE 244

RADIATION.

Jugement de radiation entre parties. - Exécution par le Conservateur. - Condition.

Bien que les décisions de justice que soient directement opposables qu'aux parties représentées à l'instance, certains textes en prévoient l'exécution par les tiers. C'est ainsi, notamment, que l'article 2157 du Code Civil dispose que des inscriptions (hypothécaires) sont rayées... en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée.

Mais ce texte n'indique ni le sens de l'expression " passé en force de chose jugée " ni les garanties que sont fondés à demander les tiers appelés à exécuter la décision, de sorte que l'on confond parfois les termes de passé en force de chose jugée et d'autorité de chose jugée.

L'article 548 du Code de Procédure Civile a comblé cette lacune en fixant l'application pratique de la force de chose jugée. Il porte, en effet, que " les jugements qui prononceront une mainlevée, une radiation d'inscription hypothécaire... ou quelque autre chose à faire par un tiers ou à sa charge, ne seront exécutoires par les tiers ou contre eux, même après délais de l'opposition ou de l'appel, que sur le certificat de l'avoué de la partie poursuivante contenant la date de la signification du jugement faite au domicile de la partie condamnée, et sur l'attestation du greffier constatant qu'il n'existe contre le jugement ni opposition ni appel ". Et, de son côté, l'article 550 du même Code ajoute : " sur le certificat qu'il n'existe aucune opposition ni appel sur ce registre (registre tenu au greffe conformément à l'article 163 C.P.C. et sur lequel sont mentionnés les actes d'appel en exécution de l'article 549), les séquestres, Conservateurs et tous autres seront tenus de satisfaire au jugement ".

Dans un article du Jurisclasseur périodique (J.C.P. 55-1-1227), notre Président d'honneur, M. Masounabe-Puyanne, examine la portée de ces dispositions.

Après avoir rappelé la jurisprudence antérieure de la Cour d'Appel de Paris, qui ne donnait aucune garantie aux tiers appelés à exécuter un jugement, notre collègue indique les modifications apportées par les articles 548 et 550 précités à la situation antérieure.

Nous reproduisons ci-après cette partie de son étude, qui intéresse spécialement les Conservateurs des Hypothèques.

" Par application de ces articles, la Cour de Paris a modifié sa jurisprudence en décidant " qu'il résulte de ces dispositions de la loi que le Conservateur des Hypothèques, qui est un tiers dans l'espèce présente, ne peut être tenu d'exécuter le jugement qui ordonne la radiation qu'autant qu'il lui est justifié que le jugement a acquis la force de chose jugée, en ce qu'il n'aurait été attaqué, ni par la voie de l'opposition, ni par la voie de l'appel, dans les délais fixés pour les deux espèces de pourvoi " (14 mai 1808 : S. 1808, 2, 227).

Depuis la jurisprudence a été constante (Cass. req. 9 août 1808 : D., Jur. gén., V° Chose jugée, n. 33. - Cass. civ. 12 mars 1873 : D.P. 1873, 1, 7 juillet 1890: D.P. 1890, 1, 301. - 30 avril 1906: D.P. 1906, 1, 404. 17 juin 1922 : D.P. 1925, 1, 214. - Cass. req. 7 mai 1935 : Journal Conserv., n. 11627; Instr. Enreg., n. 4199-2. -- Cons. d'Etat 16 mars 1945 : D. 1946. 141).

" En conséquence, il a été jugé :

" que c'est dans le but de donner aux sinistrés les garanties indispensables que l'article 548 du Code de Procédure Civile établit les conditions spéciales et de rigueur dont l'inobservation constitue le tiers en faute et engage sa responsabilité (Cass. 25 mai 1841 : S. 1841, 1, 497 ; Journal Conserv., n. 21) ;

" ...que s'il est vrai que l'article 548 du Code de Procédure Civile domine l'exécution des jugements, en tant qu'il pose le principe protecteur des droits des tiers, on ne saurait admettre qu'on doive écarter celle de ses dispositions qui organisent le même principe (en l'espèce, la production du certificat de non-appel par le greffier du Tribunal de Commerce); que s'il en était autrement, on ne trouverait dans la loi aucune précaution pour préserver les tiers de l'exécution des jugements (Cass., Ch. réun., 13 janvier 1859 : D.P. 1859, 1, 6; S. 1859, 1, 65; Journal Conserv., n. 1434);

" ...que les prescriptions des articles 2157 du Code Civil et 548 du Code de Procédure Civile ne permettent pas, notamment, d'ordonner - pour la mainlevée et la radiation d'une inscription - l'exécution provisoire du jugement (Trib. civ. Seine 18 juillet 1950 : J.C.P. 50, II, 5780; Journ. Not., art. 43441. Adde, Cass. civ. 25 mai 1841, précité. - 9 juin 1858 : D.P. 1858, 1, 246. Paris 24 février 1942 : D.C. 1944, J, 4);

" ... qu'il ne saurait dès lors être enjoint au Conservateur de procéder à la radiation dans des conditions autres que les conditions légales, c'est-à-dire sur la production de la grosse (sic) du jugement avec justification qu'il est définitif (Trib. civ. Seine 12 juin 19411 : J.C.P. 42, II, 1891).

" Pour les mêmes raisons la doctrine décide qu'un jugement est définitif ou a la force de chose jugée lorsqu'il n'est plus attaquable par les voies de recours ordinaires: opposition et appel, bien que les voies de recours extraordinaires soient possibles (Garsonnet et Cézar-Bru, II, n. 1134-2°. - Carré et Chauveau, VIII, n. 181. - Cuche, n. 56 et 370. - Jacquet et Vétillard, p. 399, n. 26. - Baudry-Lacantinerie et de Loynes, n. 1878). Et elle en conclut que " tant que le jugement ne sera pas passé en force de chose jugée par l'expiration des délais d'appel bu d'opposition, sans que ces voies de recours aient été exercées, la radiation ne peut être opérée valablement; le Conservateur peut et doit refuser de l'effectuer tant que les délais ne sont pas expirés " (Paniol, Ripert et Becqué, t. XIII, n. 861 - Persil, art. 2157, n. 14. - Trolong, Les Hypothèques; n. 739; De la transcription, n. 229. - Aubry et Rau, § 281, p. 536. 7 Baudry-Lacantinerie et de Loynes, n. 1879, 1884. - Colin et Capitant, II, n. 1913. - Ripert et Boulanger, II, n. 4050. Jacquet et Vétillard, p. 411. - Boulanger, n. 642). " C'est ce qu'exprime l'article 2157 du Code Civil en exigeant un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée " (Ripert et Boulanger, loc. cit) et, ajoute Trolong (dans son rapport précédant l'arrêt du 25 mai 1841), " l'article 548 du Code de Procédure Civile est évidemment calqué sur l'article 2157... quand il exige la preuve que le jugement n'a été frappé ni d'opposition ni d'appel; l'article 548 exige en d'autres termes que le jugement soit en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ". " Conformément aux dispositions de l'article 548 du Code de Procédure Civile, cette expiration des délais doit être constatée par certificat de l'avoué de la partie poursuivante, contenant la date de la signification du jugement à personne ou à domicile réel, et par attestation du greffier constatant qu'il n'existe ni opposition ni appel. Le requérant doit donc, avec l'expédition du jugement, déposer ce certificat et cette attestation que le Conservateur garde pour couvrir sa responsabilité v (Paniol, Ripert et Becqué: t. XIII, n. 861. -- Becqué, J.-Cl. Civil, Art. 2157-2160, n. 131 e/ J.-Cl Notarial, Répertoire, V° Inscription, Fasc. L, M, N. - Adde, Baudry-Lacantinerie et de Loynes, n. 1884, 1885. - Guillouard, III, n. 1457. - Jacquet et Vétillard, p. 425. - Précis Chambaz, Masounabe, n. 1409. - Rouen 8 février 1942 : S. 1842, 2, 271; Journal Conserv., n. 26.)

" De ce qui précède il résulte nettement, tant de la doctrine que de la jurisprudence, que si les tiers ne doivent exécuter un jugement que lorsqu'il est passé en force de chose jugée, ils doivent y satisfaire lorsqu'il a cette seule qualité et qui leur en est régulièrement justifié. Ils ne doivent donc pas exiger la preuve qu'il est définitif ou inattaquable, comme on le dit parfois. Le jugement a et garde sa force de chose jugée en ce qui les concerne, bien qu'à l'égard des parties il puisse ne pas avoir la force de chose jugée irrévocable parce qu'il peut être ou a été attaqué par les voies de recours extraordinaires Il doit donc être exécuté même si le tiers a été informé de l'un de ces recours (Trib. civ. Joigny 25 juillet 1889 : Journal Conserv. n. 536; Rev. Hyp., n. 453) car il n'est point suspensif de l'exécution (Paniol, Ripert et Becqué, n. 861. Ripert et Boulanger, II, 4050. - Jacquet et Vétillard, p. 422. - Précis Chambaz, Masounabe, n. 1406. - Cass. civ. 5 décembre 1917 : D.P. 1918, 1, 10. -Cass. soc. 28 avril 1944 : D.A. 1944, 93).

" D'autre part, l'obligation faite par la loi de ne requérir l'exécution du jugement qu'avec la remise des certificats de signification de non-opposition et de non-appel n'a d'autre but et d'autre effet que de fournir au tiers, chargé de l'exécuter ou de participer à son exécution; la preuve nécessaire (mais suffisante pour lui) que le jugement est passé en force de chose jugée ; qu'il est dispensé de s'inquiéter de sa valeur juridique et que tout refus ou retard pour ce motif engagerait sa responsabilité. Quand le jugement a été rendu entre parties " le conservateur peut et doit conserver " les certificats " pour mettre sa responsabilité à couvert " (Becqué, loc. cit.), ce qui signifie que ces certificats sont nécessaires mais suffisants pour cela.

" Peu importe, dès lors, que le jugement ait été rendu en violation de la loi (Cass. 4 février 1850 : D.P. 1850, 1, 322. -- 7 janvier 1878 :D.P. 1879, 1, 13. - 15 novembre 1904 : D.P. 1905, 1, 554. - Cuche, n. 65) ; par un tribunal incompétent au point de vue personnel ou matériel (Cass. 12 mars 1873: D.P. 1873, 1, 367. - 9 mai 1922 : D.P. 1925, 1, 158. - 13 novembre 1952 : D. 1953, 113) ; qu'il soit à tort qualifié en dernier ressort. L'exception de chose jugée couvre toutes ces nullités et par cela même la responsabilité de ceux qui exécutent le. jugement (Dans ce sens, Aubry et Rau, § 769. - Colin et Capitant, II, n. 486. - Paniol, Ripert et Becqué, n. 865. - Baudry-Lacantinerie et de Loynes, n. 2617. - Garsonnet et Cézar-Bru, III, n. 1134. - Jacquet et Vétillard, p. 399. - Adde : Perret, J.-Cl. Civil, Art. 1349, Fasc. B. n. (26) (1).

(1) A l'égard des tiers, la force de chose jugée se confond avec l'autorité de la chose jugée du fait que celle-ci se manifeste pour eux, non pas sous la forme négative d'une exception, mais sous celle positive d'un titre dont ils ne peuvent discuter le contenu. Dans ce cas, les affirmations du juge s'imposent d'une manière impérative, sans qu'il soit permis d'en nier la légitimité (Perrot, Jur. classeurs civ., art. 1349 n. 6 b).

" Bien qu'on ait mis quelque doute, il en est de même dans tous les cas d'exécution de jugements par les tiers et non point seulement dans le cas de jugement de radiation d'inscription: L'article 548 du Code de procédure civile est conçu en termes généraux et nullement restrictifs aux espèces qu'il énonce. Il ne vise plus particulièrement le jugement ordonnant mainlevée ou radiation qu'à titre d'exemple le plus courant. Un ne peut donc invoquer cette énonciation pour décider autrement quand il s'agit d'un jugement rendu par la Chambre du Conseil.

" Il est exact qu'on estime toujours qu'à l'égard des parties il ne peuvent acquérir l'autorité de la chose jugée parce que, tout au moins ceux de la juridiction gracieuse, ils sont susceptibles d'être rapportés ou modifiés si les circonstances dans lesquelles ils ont été rendus ont elles-mêmes changé (Cass. req. 17 octobre 1911 : D. P. 1913, 1, 118 ; Journal conserv., n. 8618. -- 31 janvier 1922 : J. 1923, 1, 118. - Dans ce sens, Rouen, 18 janvier 1950 : S. 1950. 2, 145 ; Chron. J. C. P. 50,IV, 1039).

" Mais, comme on l'a dit, les mots " chose jugée " n'ont pas toujours le même sens et la même portée à l'égard des parties et des tiers. Précisément, c'est dans le cas de juridiction gracieuse qu'un jugement peut n'avoir pas l'autorité de la chose jugée pour les premiers et avoir la force de chose jugée pour les seconds.

" L'article 6 de la loi du 15 juillet 1944 sur la Chambre du Conseil décide en effet : " Appel pourra être interjeté en toutes matières même gracieuses. Le délai d'appel est d'un mois à compter de la signification du jugement au défendeur, s'il en existe, sinon de la signification au Procureur de la République ". Si ce n'est pour permettre au jugement de passer en force de chose jugée à l'égard des tiers - ce qu'il ne pouvait acquérir auparavant - ce texte n'aurait d'autre effet que d'occasionner des frais et des délais inutiles ou même préjudiciable, ce qui est impensable.

" Car à quoi servirait, sans cela, une signification au Procureur de la République à qui le dossier a été communiqué, qui a dû conclure et qui, à moins des rares cas où il est partie jointe, n'a aucun intérêt à en appeler de la décision intervenue ?

De quelle utilité serait l'obligation de remettre au tiers, chargé d'exécuter le jugement, les certificats et pour lui celle de les conserver pour me e couvert sa responsabilité si, malgré cela, comme auparavant, il doit s'assurer que la décision est irrévocable parce qu'elle a été obtenue dans les cas déterminés et suivant les formes légales (Jacquet et Vétillard, p. 218 et 304) l'erreur de fait étant seule exceptée - et si, dans le doute, il doit pour sauvegarder sa responsabilité ériger un jugement contradictoire (Rev. Hyp., n. 3912. - Bulté, Chron, J. C. P. 50, IV, 1039 et 53, IV, 1582, n. 7).

" D'autre part, on ne peut faire abstraction de l'article 7 de la loi précitée du 15 juillet 1944, lequel décide, lui aussi, que " les jugements et arrêts rendus par la Chambre du Conseil, même de juridiction gracieuse, sont exécutoires contre les tiers dans les conditions prévues au titre " De l'exécution forcée des jugements ". Qu'en conclure, sinon que puisque les conditions auxquelles est subordonnée l'exécution par les tiers des jugements de la juridiction gracieuse sont les mêmes que pour ceux du droit commun, leur accomplissement produit les mêmes effets. C'est donc qu'ils passent en force de chose jugée, en ce qui concerne les tiers, par cela seul de l'expiration des délais de non-opposition et de non-appel, dès lors que ces recours ordinaires n'ont pas été exercés. La seule particularité consiste en ce qu'à défaut de défendeur le délai d'appel court du jour de la signification au Procureur de la République.

" Par conséquent, quelle que soit la juridiction dont émane le jugement, les tiers n'ont d'autre devoir que d'apprécier la régularité des certificats qui leur sont déposés.

Toutefois, il faut excepter les jugements qui ne sont que des contrats judiciaires parce que, alors, la notion de contrat prédomine celle de jugement : jugements d'expédient; de simple donné acte, en matière de cantonnement d'hypothèque légale de la femme mariée, etc. (Cf. Perrot, J. Class. civ., art. 1349, n. 38 et 45).

" Dans ces cas, les parties ne sont liées que dans la qualité en laquelle elles ont contracté (Cass. 21 juillet 1887 : D. 1888, 1, 159) ; il faut donc s'assurer que cette qualité leur permet la convention, objet du contrat, et cela bien qu'il soit soutenu que le juge a le contrôle de la licéité de la convention et de la capacité des parties (Rev. Trim. dr. civ. 1925, n. 21) ; le cas d'ordre judiciaire excepté (Jacquet et Vétillard, p. 539) il n'est nullement assuré qu'en cas d'incapacité, la responsabilité des tiers serait dégagée.

" La régularité des certificats justifiant que la décision est passée en force de chose jugée implique, au point de vue de la forme :

" a) Que le certificat de l'avoué contienne la date : de la signification de la décision en personne à la partie condamnée au domicile réel (et non au domicile élu) (Carré et Chauveau, quest. 1907. - Cass. 29 août 1915 : S. 1815, 1, 430 ; Journ. consev., n. 2583. - Cf. Soc. 14 février 1946 : D. 1946, 243. - Dijon 7 juin 1951 : D. 1951, 501) s'il s'agit d'un jugement contradictoire ; ou de la signification à personne, par huissier commis, ou au ministère public (si le condamné est sans résidence ou domicile connu) s'il s'agit d'un jugement par défaut (C. proc. civ. art. 548. - Dijon 7 juin 1951, précité).

" En outre, si le jugement est par défaut et n'est pas signifié à personne, le certificat doit indiquer la date de l'acte d'exécution provenant du défaillant ou porté à sa connaissance ; ou celle de la publication dans un journal de son dernier domicile connu ou désigné par ordonnance sur requête du président du tribunal qui a rendu le jugement (C. proc. civ., art. 158 bis, 164. - Journ. conserv., n. 12124. - Précis Chambaz, Masounabe, n. 1409) ;

" b) Que le certificat du greffier mentionne qu'il a eu communication du certificat de l'avoué et constate formellement qu'il n'existe sur son registre aucune mention d'opposition on d'appel (C. proc. civ., Art. 164 et 548). Si le jugement est rendu en matière commerciale (comme alors il n'y a pas d'avoué), le certificat du greffier doit porter les indications relatives à la signification que doit contenir le certificat de l'avoué. "

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 1369, 1376 ; - Jacquet et Vétillard, V° jugement de radiation, n° 31 et 33.