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ARTICLE 272

INSCRIPTION.

Inscription prise contre deux époux.
Immeuble grevé propre à l'un des époux.
Conditions sous lesquelles l'inscription peut être acceptée.

L'article 1099, 2° alinéa, du Code civil frappe de nullité les donations déguisés en époux lorsqu'il existe des enfants nés d'un premier mariage. De plus, lorsque la libéralité déguisée consiste dans la fourniture par le donateur des fonds destinés au payement du prix d'une acquisition réalisée par le donataire, la jurisprudence de la Cour de Cassation reconnaît aux juges du fond le droit de décider, par une interprétation souveraine de la commune intention des parties tirée des faits de la cause, que la donation déguisée ayant pour objet, non pas les deniers versés par le donateur qui le compte de l'acquéreur, mais les biens acquis eux-mêmes (Civ, 30 avril 1941, D.C. 1942-J-6; - Civ., 7 juin 1955, J.C.P. 56-II-9258; - Rappr. civ., 22 mai 1951, D. 1951, 771, J.C.P. 51-II-6416; - Civ., 30 mai 1951, D. 1951-617, J.C.P. 51-II-6614).

La conséquence de la règle ainsi tracée est que les biens qui ont fait l'objet de l'acquisition sont considérés comme entrés ab initio dans le patrimoine de l'époux donateur et comme n'ayant jamais été la propriété de l'époux donataire. Il en résulte que si ce dernier a constitué des droits réels sur les biens en cause ou les a revendus, ces opérations se trouvent avoir été consenties a non domino et deviennent caduques. C'était le cas de l'espèce qui a donné lieu à l'arrêt précité du 7 juin 1955, où la donataire avait revendu l'immeuble dont son ex-mari avait payé le prix (V. la note Dalimier sous J.C.P. 1956-II-9258, précité)

Cette jurisprudence impose des précautions particulières aux personnes qui contractent avec une personne mariée. En particulier, le prêteur qui reçoit en garantie une hypothèque sur un immeuble appartenant à un époux séparé de biens a un intérêt certain à obtenir le consentement de l'autre époux, non seulement au remboursement de la somme prêtée, mais encore à l'affectation hypothécaire, pour le cas où l'immeuble affecté viendrait à entrer rétroactivement dans son patrimoine par application de l'art. 1099, 2° al., du Code civil.

C'est la position prise en particulier par le Crédit Foncier, lequel, dans une telle hypothèse, requiert l'inscription de son hypothèque contre les deux époux.

Des collègues se sont demandés si cette manière de procéder était en harmonie avec les règles tracées par les décrets des 4 janvier et 14 octobre 1955. Leur doute s'appuyait, d'une part, sur l'art. 2148 nouv. du Code civil (art. 22 du décret du 4 janvier 1955), aux termes duquel le bordereau d'inscription contient exclusivement " la désignation... du débiteur ou du propriétaire, si le débiteur n'est pas le propriétaire de l'immeuble " et, d'autre part, sur l'art. 4 du décret du 14 octobre 1955, lequel dispose qu' " il est établi, pour chaque propriétaire, une fiche personnelle... ". Une interprétation restrictive de ces dispositions permettrait selon ces collègues, de prétendre que les bordereaux d'inscription ne doivent pas désigner, en dehors du créancier, d'autres personnes que le débiteur ou le propriétaire actuel de l'immeuble grevé et, par ailleurs, qu'une fiche personnelle de propriétaire ne peut pas être créée au nom d'une personne autre que le propriétaire actuel de l'immeuble

Cette interprétation restrictive est certainement conforme à l'esprit qui a présidé à l'institution du fichier et qui vise à rassembler tous les renseignements concernant un immeuble pour un compte personnel unique tenu au nom du dernier propriétaire de l'immeuble (V. Exposé des motifs du décret du 4 janvier 1955). Mais la lettre des textes ne l'impose pas d'une manière indiscutable : si l'on considère, en effet, qu'une inscription hypothécaire peut grever un droit éventuel, on est plutôt conduit à penser que le mot " propriétaire " dans les textes précités englobe à la fois le propriétaire actuel et le propriétaire éventuel

On pourrait prétendre, il est vrai, que les décrets des 4 janvier et 14 octobre 1955 ont précisément eu pour effet d'interdire l'inscription d'un droit hypothécaire sur un droit de propriété éventuel. Mais une telle prétention avait peu de chances de prévaloir.

On concevrait mal en effet que des textes destinés à améliorer le système hypothécaire aient pour conséquence de retirer à un créancier la possibilité de prendre une inscription cependant nécessaire, ainsi qu'on l'a expliqué plus haut, pour assurer la garantie complète de sa créance. Il est dès lors fort probable que si la difficulté était soumise aux tribunaux, ceux-ci auraient égard à l'intérêt du créancier et, dans l'hypothèse considérée, autoriseraient ce dernier à s'inscrire à la fois contre le propriétaire actuel et contre le propriétaire éventuel.

Dans ces conditions, on est amené à penser que l'attitude la plus prudente consiste à accepter les inscriptions prises contre deux époux, même lorsque l'un seul d'entre eux est propriétaire actuel de l'immeuble grevé, si l'inscrivant est en mesure de se prévaloir d'une disposition de nature à conférer à l'autre époux un droit éventuel de propriété sur l'immeuble en cause.

Cette disposition qui, dans l'hypothèse visée par la présente note, est l'art. 10999, 2° alinéa, du Code Civil, peut consister dans toute autre disposition analogue et en particulier dans l'art. 106 du décret n° 55-583 du 20 mai 1955 (établissant une présomption d'interposition de personnes en cas d'acquisition réalisée par le conjoint d'un commerçant ultérieurement déclaré en faillite ou admis au règlement judiciaire).

La recommandation qui fait l'objet de la présente note est également applicable au cas où la détermination de l'époux propriétaire de l'immeuble grevé est incertaine. C'est le cas lorsqu'il s'agit de deux époux de nationalité différente mariés sans contrat, en raison de la difficulté qu'il y a, le plus souvent, à avoir, en pareil cas, quel est le régime légal applicable.

Dans ces différentes hypothèses le conservateur est fondé à exiger, en vertu de l'art. 2148 nouv., 3° alinéa, 6 du Code Civil, que la disposition ou les circonstances invoqué pour justifier l'inscription contre l'époux non propriétaire soient explicitement énoncées dans le bordereau. Dans ces mêmes hypothèses il doit, bien entendu, mentionner l'inscription à la fiche de chacun des deux époux contre lesquels l'inscription est requise

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 593.