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ARTICLE 277

INSCRIPTION.

Inscription prise contre une personne décédée. - Acceptation.

Avant l'entrée en vigueur du décret du 4 janvier 1955, l'inscription des privilèges et des hypothèques contre une personne décédée était expressément autorisée par l'art. 2149 du Code civil, lequel disposait que " les inscriptions à faire sur les biens d'une personne décédée pourront être faites sur la simple désignation du défunt... " Mais cet article a été implicitement abrogé par l'art. 23 du décret du 4 janvier 1955.

Cette abrogation interdit-elle désormais les inscriptions dont il s'agit?

La réponse à cette question dépend de la portée que l'on accordait au texte abrogé. Si on considère que cette disposition ne faisait qu'une application particulière de la règle générale inscrite dans l'art. 2148, son abrogation n'aurait pas pour conséquence l'impossibilité de prendre aujourd'hui une inscription contre un débiteur décédé, le droit pour le créancier de requérir une telle inscription ayant alors son fondement dans l'art. 2148. Si on admet au contraire que l'art. 2149 complétait l'art. 2148, lequel n'autorisait les à lui seul à prendre inscription contre une personne décédée, on doit alors décider qu'une inscription de l'espèce n'est plus possible.

Sous l'empire de l'art. 2148 ancien (c'est-à-dire avant la modification résultant de l'art. 22 du décret du 4 janvier 1955), les commentateurs paraissaient incliner vers la seconde interprétation, selon laquelle l'inscription requise contre un débiteur décédé n'entrait pas dans le cadre de l'art. 2148 (Planiol et Ripert, 2° édition, t. XII, n° 728; Baudry, Lacantinerie et de Loynes. Des privilèges et dés hypothèques, t. II, n° 1623; Aubry et Rau, 6° al., t. III, § 271). Mais il s'agit d'opinions exprimées d'une manière implicite ou sous la forme d'une simple affirmation et formulées à une époque où la difficulté ne se présentait pas dans la pratique, puisqu'elle était écartée par l'art. 2149, et qui dès lors ne peuvent être retenues qu'à titre indicatif.

Aussi, bien, pour déterminer la portée de l'art. 2148 du Code civil, c'est au texte même de cette disposition qu'il faut se référer.

Dans sa rédaction actuelle, la partie de l'art. 2148 qui est en cause est ainsi conçue : " Chacun des bordereaux contient exclusivement... la désignation du débiteur, ou du propriétaire si le débiteur n'est pas le propriétaire de l'immeuble grevé... "

Pour décider que cette disposition ne permet pas de prendre inscription contre une personne décéder (et, par voie de conséquence, qu'une telle inscription doit être rejetée), il faudrait considérer que le terme " propriétaire " ne vise que le propriétaire actuel. Or cette interprétation restrictive ne serait pas en harmonie avec la règle admise au cas d'inscription prise après aliénation de l'immeuble grevé : La jurisprudence et la doctrine reconnaissant en effet que, dans une telle hypothèse, lorsque l'inscription peut encore être prise utilement (cas de l'inscription de privilège du vendeur ou du copartageant intervenant dans les deux mois de la venté ou du partage, par exemple), elle doit être requise, à peine de nullité, au nom du propriétaire originaire et non du tiers détenteur (Cass. civ. 27 mai 1816, S. 1816-1-265. Dalloz, J. G. V° Privilèges et hypothèques, n° 1515, p. 461; civ. 5 avril 1892. D.P. 92-1-283; Planiol et Ripert, 2° éd., t. XII, n° 728; Baudry, Lacantinerie et de Loynes, Des privilèges et des hypothèques, n° 1624; Aubry et Rau, 6° éd., t. III, § 271).

Il en résulte que l'expression " propriétaire " employée par l'art. 2148 ne vise pas exclusivement le propriétaire actuel, mais peut s'appliquer également à un précédent propriétaire; elle n'exclut pas par conséquent le propriétaire décédé, et n'autorise pas par suite le rejet de l'inscription qui serait prise contre ce dernier.

Au surplus, refuser à un créancier le droit de prendre son inscription après le décès du propriétaire de l'immeuble grevé serait faire de ce décès l'un des événements qui interrompent le cours des inscriptions, alors qu'il ne figure pas parmi ceux que l'art. 147 nouveau du Code Civil (art. 21 du décret du 4 janvier 1955) range parmi ces événements.

L'interdiction de prendre inscription contre une succession aurait d'ailleurs des conséquences pratiques de nature à mettre en péril les droits des créanciers.

Il arrive, en effet, que ceux-ci ne connaissent pas l'identité des héritiers de leur débiteur. Les recherches qu'ils devraient faire pour la découvrir occasionneraient nécessairement un retard qui pourrait être préjudiciable à leurs intérêts. Il adviendrait même dans le cas d'inscriptions qui, comme en matière de séparation des patrimoines, doivent être prises dans un délai déterminé, que le retard se traduirait par une impossibilité de requérir l'inscription.

Il est en outre possible qu'il n'existe aucun héritier connu et que la succession soit déclarée vacante. Sans doute, cette déclaration interrompt-elle le cours des inscriptions (art. 2147 nouv. du Code civil, précité). Il n'en demeure les moins que le créancier a intérêt à inscrire son droit le plus tôt possible pour prendre rang en prévision de l'hypothèse où la vacance de la succession viendrait à cesser.

Bien plus, l'inscrivant peut avoir intérêt à requérir son inscription contre la succession bien qu'il connaisse les héritiers de son débiteur. En effet, prise contre les héritiers avant que ceux-ci aient pris parti sur l'acceptation de la succession, l'inscription courrait sans doute le risque de devenir caduque si les héritiers désignés dans le bordereau venaient à renoncer ultérieurement à leurs droits héréditaires.

Dans cette situation, il est des plus vraisemblable que l'interprétation de l'art. 2148 jointe au souci de sauvegarder les intérêts des créanciers amèneront les tribunaux à reconnaître la validité d'une inscription prise contre une personne décédée. A supposer même qu'un léger doute subsiste, l'attitude la plus prudente pour les conservateurs paraît être d'accepter ces inscriptions.

Bien entendu, dès lors que les inscriptions dont il s'agit ne sont pas prises contre les héritiers, il n'y a pas lieu d'exiger que soit publiée préalablement l'attestation de propriété prévue à l'art. 39 du décret du 4 janvier 1955. Le titre du débiteur à la publication duquel le bordereau doit se référer, en exécution du n° 6 du 3° alinéa de l'art. 2148 nouv. du Code Civil, est le titre du défunt.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 513.