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ARTICLE 302

RADIATION. - PURGE DES HYPOTHEQUES.

I. - Radiation judiciaire. Radiation ordonnée par un jugement rendu à la simple requête des débiteurs, hors la présence des créanciers.
Refus de radier justifié.

II. - Effets de la purge. - Survivance du droit de préférence (commentaire).

Sommaire. - Un conservateur des hypothèques est fondé à refuser de radier une inscription au vu d'un jugement rendu sur la simple requête des débiteurs, sans que les créanciers bénéficiaires de l'hypothèque aient été appelés dans la procédure. En vertu du principe de l'effet relatif de l'autorité de la chose jugée, ce jugement n'est pas opposable en effet à ces créanciers, qui peuvent avoir des moyens personnels à opposer à la demande.

(Trib. Belfort, 8 février 1956.)

Le Tribunal,

Attendu que par exploit de... en date du 15 avril 1954, la dame C..., épouse A... et le capitaine A... ont donné assignation : 1° à M. R..., conservateur des hypothèques à B... ; 2° au Trésor public représenté par M. le Percepteur de G... ; 3° à M. le Receveur rural des Contributions Indirectes de B..., pour obtenir du Conservateur des Hypothèques radiation et des administrations financières, consentement à la radiation des inscriptions hypothécaires prises : 1° au profit du Trésor public, le... ; 2° au profit du Trésor public, le...; 3° au profit de l'Administration des Contributions Indirectes, le..., et portant sur les immeubles adjugés dans la procédure de vente aux enchères publique par-devant M T..., notaire à R...; le 28 mai 1949, à la S.A.R.L.X..., pour le prix principal de 910*000 francs ;

Attendu que les époux A... exposent à l'appui de leur demande que les inscriptions hypothécaires ont été prises à la suite de condamnation pour infraction économique du sieur C..., qui est décédé le 24 avril, 1942, en laissant : 1° sa femme... commune en biens et usufruitière ; 2° la dame A..., née C..., comme unique héritière; - Que les opérations de compte, liquidation et partage de la communauté et de la succession ont été ordonnées par arrêt de la Cour d'appel de Besançon, en date du 14 janvier 1947, qui décida que la vente des biens meubles et immeubles de la succession ne porterait que sur la nue-propriété ; - Que par commandement en date du..., M. le Percepteur de G... a fait saisir sur Mme Vve C... les immeubles sis à S... ; - Que par ordonnance du 2 juillet 1948 rendue à la requête de M. le Percepteur de G..., de la veuve C... et des époux A..., M. le Président du tribunal de B... a ordonné la conversion en vente volontaire de la saisie immobilière susdite, en précisant que l'adjudication de l'usufruit des immeubles aurait lieu conjointement avec la vente par licitation de la nue-propriété ; - Que malgré l'adjudication intervenue au profit de la S.A.R.L. X..., qui a opéré purge des hypothèques, par application de l'article 717 du Code de procédure civile, M. le Conservateur des Hypothèques a refusé sans droit la radiation des inscriptions hypothécaires et exigea la présentation d'une mainlevée des créanciers hypothécaires ou d'un jugement du tribunal ordonnant la radiation des inscriptions ; que faisant preuve de bonne volonté, les demandeurs sollicitèrent et obtinrent un jugement sur requête, en date du 29 juillet 1953 du tribunal civil de B..., · disant que la vente avait opéré purge des hypothèques et ordonnant au conservateur des Hypothèques de les radier ; - Que malgré ce jugement le Conservateur des Hypothèques a refusé de faire la radiation en faisant valoir l'absence d'autorité de chose jugée à l'égard des créanciers non appelés au débat ; - Que cet argument est erroné car les jugements sont opposables aux parties et à ceux qui ont été représentés par les parties, tels les créanciers chirographaires et les créanciers hypothécaires qui n'ont pas d'intérêt personnel à faire valoir, ce qui n'est pas le cas en l'espèce puisque l'hypothèque n'existait plus par suite de la vente ; que la responsabilité du Conservateur des Hypothèques se trouve engagée à titre principal; - que la question se trouve limitée aux dépens car le Conservateur des hypothèques a finalement opéré la radiation à la suite des acquiescements donnés le 12 janvier 1955 par M. le Percepteur de G... et le 26 avril 1955 par la Recette rurale des Contributions Indirectes ; - Que subsidiairement la responsabilité de ces administrations financières se trouve engagée en raison du caractère tardif de leur acquiescement donné après assignation et malgré demandes réitérées ;

Attendu que M. le Conservateur des Hypothèques de B... résiste à la demande en faisant valoir que sa responsabilité est engagée en cas de radiation irrégulière et qu'avant d'opérer la radiation il a le devoir de vérifier la régularité des titres produits à l'appui de la demande de radiation ; - Que pour opérer purge, la vente aux enchères publiques en cas de conversion de saisie immobilière doit avoir été précédée soit de sommations aux créanciers avant l'ordonnance de conversion (C. proc. civ., art. 748-b), soit de significations postérieures à cette ordonnance (C. proc. civ., art. 748-a) ; que l'Administration des Contributions Indirectes n'avait reçu ni sommation, ni signification ; que le jugement sur requête a été rendu dans une instance où les créanciers n'avaient pas été appelés et ne répond donc pas aux conditions des articles 2157 et suivants du Code Civil ; que c'est donc à bon droit qu'il a érigé le consentement des administrations créancières à la radiation des hypothèques qui portaient par ailleurs sur les biens présents et à venir ;

Attendu que M. le Percepteur de G... et M. le Receveur rural des Contributions Indirectes de B... déclarent donner leur accord à la mainlevée des hypothèques, cette dernière étant limitée à l'immeuble vendu et concluent en conséquence : leur donner acte de ce qu'ils sont d'accord de donner mainlevée entière et définitive de l'inscription hypothécaire en tant qu'elle frappe seulement l'immeuble vendu, cette inscription étant maintenue sur les biens susceptibles d'échoir à la débitrice ; dire que les frais de rédaction de l'acte notarié nécessaire seront supportés par les parties ayant intérêt à obtenir ladite mainlevée condamner les demandeurs aux entiers dépens... ;

Sur la responsabilité du Conservateur des Hypothèques :

Attendu que le Conservateur des Hypothèques engage sa responsabilité en cas de radiation irrégulière d'une inscription hypothécaire et qu'il est obligé de vérifier, outre les vices externes de l'acte produit à l'appui de la demande de radiation, les vices internes de cet acte si l'examen attentif de ce dernier et suffi à lui en révéler l'existence. (Planiol, T. XIII, n. 865) ;

Attendu qu'il résulte de l'examen du jugement sur requête du 29 juillet 1953, que les créanciers hypothécaires, principaux intéressés à l'instance, n'ont pas été appelés dans la procédure;

Qu'en vertu du principe de l'effet relatif de l'autorité de la chose jugée, ce jugement n'est pas opposable aux créanciers qui doivent être attraits dans l'instance, d'autant plus qu'ils sont susceptibles d'avoir des moyens personnels à opposer à la demande ;

Attendu qu'en l'absence du consentement des créanciers, le conservateur des hypothèques était en droit de s'opposer à la radiation de l'inscription au seul vu du jugement sur requête ;

Sur la responsabilité du percepteur de G... et du receveur rural des Contributions directes de B... :

Attendu que depuis la réforme du décret-loi du 17 juin 1938 l'adjudication sur conversion de saisie opère toujours purge quand la conversion est antérieure au sommations de l'article 689 du Code de procédure civile, les significations adressées aux créanciers en vertu du nouvel article 748 (titre a) pour annoter (au moins trente jours à l'avance) les lieu, jour et heure de l'adjudication, tiennent lieu des formalités de purge et marquent l'effet légal de l'hypothèque (Planiol, T. XIII, n. 1097) ;

Attendu que la requête à fin de conversion de la saisie immobilière en vente au enchères publiques a été présentée au nom de M. le Percepteur de G... et de veuve C... ; qu'ayant été partie à la vente, M. le Percepteur de G... ne pouvait opposer le défaut de sommation ou de signification ;

Attendu que le 10 mars 1953, M. le Receveur central des Contributions indirectes, agissant ès qualité, a approuvé sans réserve devant M° T..., notaire à R..., les opérations de compte, liquidation et portage des biens dépendant de la communauté et de la succession du sieur C..., dans lesquelles est inclus le prix obtenu par la vente aux enchères publiques après conversion de la saisie immobilière ;

Attendu qu'il ressort des mentions portées par le notaire dans l'acte que l'adjudication a eu lieu le 28 mai 1949 après l'accomplissement des formalités voulues par la loi ;

Attendu que les administrations financières ont, sans motifs valables refusé initialement leur consentement à la radiation des inscriptions hypothécaires et ont ainsi rendu nécessaire leur assignation en justice ;

Attendu que les consentements donnés le 12 janvier 1955 et le 26 avril 1955 sont tardifs, n'étant intervenus qu'en cours d'instance;

Attendu que l'action en radiation est ouverte à toute personne ayant intérêt à faire disparaître l'inscription hypothécaire, notamment au nouveau propriétaire et aux débiteurs ou à les ayants cause (Planiol, T. XIII, n. 858); que les époux A... ayant cause du débiteur, ont donc qualité pour agir ;

Attendu que les frais de la procédure sur requête ayant abouti au jugement du 29 juillet 1953 ne peuvent être compris dans les dépens, car il appartenait aux demandeurs d'attraire les créanciers dans la procédure ;

Par ces motifs :

Déboute les époux A... de leurs conclusions contre M. R..., conservateur des Hypothèques de B... ;

Les condamne aux dépens ;

Déclare au contraire bien fondées leurs conclusions contre le Trésor public représenté par M. le Percepteur de G... et M. le Receveur rural des Contributions Indirectes de B... ;

Déclare l'affaire liquidée au fond par le consentement donné par ces deux défendeurs à la radiation des hypothèques en tant qu'elles portaient sur l'immeuble ayant fait l'objet de l'adjudication du 28 mai 1949 ;

Dit que les frais de rédaction de l'acte notarié nécessaire seront supportés par les parties ayant intérêt à obtenir la radiation ;

Condamne le Trésor public représenté par M. le Percepteur de G... et M. le Receveur rural des Contributions indirectes de B... aux dépens, ...non compris les frais de la procédure relative au jugement du 29 juillet 1953.

Observations. - Aux termes de l'article 2127 du Code Civil, « les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée. »

Destiné à tenir lieu du consentement des parties intéressées , c'est-à-dire des créanciers, le jugement visé dans la seconde partie de cette disposition doit, pour avoir le même effet que ce consentement, être opposable au créanciers. Or, en vertu du principe de la relativité de l'autorité de la chose jugée, le jugement de radiation n'est opposable au créanciers que si ceux-ci ont été parties à l'instance et ont pu ainsi faire valoir devant le tribunal leurs moyens de défense (Précis Chambaz et Masounabe-Puyanne, 2° éd. n° 1369 4° ; Jacquet et Vétillard, v. jugement de radiation n° 4).

C'est dès lors à juste titre que notre collègue a refusé de radier l'inscription en cause, en vertu du jugement du 29 juillet 1953.

Abstraction faite de la circonstance que la Chambre du Conseil qui avait rendu la décision était incompétente (parce qu'il ne s'agissait ni d'une matière gracieuse, ni d'une affaire contentieuse entrant dans les attributions limitativement confiées à la Chambre du Conseil par l'art. 2 de la loi du 15 juillet 1944), le Tribunal avait en effet été saisi par simple requête, des débiteurs, sans mise en cause des créanciers, bénéficiaires de l'inscription.

Les demandeurs soutenaient, il est vrai, qu'ils représentaient ces derniers, lesquels, à leur avis, n'avaient pas d'intérêt personnel à faire valoir puisque la vente sur conversion de saisie de l'immeuble grevé avait purgé cet immeuble de l'hypothèque.

Cette prétention était insoutenable.

Tout d'abord, la purge opérée par l'adjudication sur conversion de saisie ne fait pas disparaître tous les effets de l'inscription ; elle éteint le droit de suite, mais laisse subsister le droit de préférence (Chambaz et Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 1390). Cette circonstance est de nature à justifier le refus du créancier de donner son consentement à la radiation.

Au surplus, l'absence d'intérêt personnel du créancier hypothécaire ne se présume pas. Si elle n'est pas reconnue amiablement par l'intéressé, il faut qu'elle soit constatée par une décision de justice et c'est précisément pour que constatation puisse être faite en connaissance de cause que le créancier doit être appelé à l'instance pour faire valoir éventuellement devant le tribunal les motifs qu'il pourrait avoir pour s'opposer à la radiation demandée.

C'est en ce sens que le Tribunal, mieux informé, s'est prononcé par le nouveau jugement reproduit ci-dessus, lequel doit être approuvé.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 4; C.M.L., 2° éd., n° 1369-4°.