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ARTICLE 308

RADIATION. - PROCEDURE.

I. - Inscription d'hypothèque légale de mineur. - Inscrivante déboutée de son action en reddition de compte de tutelle. - Absence d'intérêt à critiquer la radiation de l'inscription. - Action irrecevable.
II. - Demande en justice non fondée. - Mauvaise foi du demandeur.
Allocation de dommages-intérêts au défendeur.

SOMMAIRE

I. - Le jugement définitif portant débouté d'une action en reddition de compte de tutelle enlève toute efficacité à l'inscription d'hypothèque légale de mineur, précédemment prise par la demanderesse contre sa tutrice. Par suite, en vertu de l'adage « qui n'a pas d'intérêt n'a pas d'action », l'inscrivante n'est pas fondée à critiquer la radiation de cette inscription, bien que cette radiation ait été opérée sans son consentement et en l'absence de tout ordre de radier contenu dans le jugement de débouté.

II. - Lorsqu'il résulte des circonstances de la cause qu'une demande en justice tendant au rétablissement d'une inscription hypothécaire précédemment radiée, a été introduite sans intérêt légitime et n'avait d'autre but que la vengeance de dissensions privées ou familiales, le demandeur doit être condamné à des dommages-intérêts, tant envers le défendeur principal qu'envers le Conservateur des Hypothèques également appelé à l'instance.

Tribunal civil de Sétif

26 février 1957

N° 234/56

Cts KNATT c/ Vve ATHON

Jugement du tribunal de Sétif du 26 février 1957.

Le Tribunal,

Attendu qu'avec son époux, James Knatt, présent à la procédure pour simple autorisation maritale, la dame Lily Athon, qui désire obtenir, avec effet rétroactif à leur date primitive, la réinscription de deux hypothèques légales de mineur irrégulièrement radiées, assigne à ces fins, outre sa propre mère, bénéficiaire de cette radiation, le Conservateur des hypothèques de Sétif, pris ès qualité, sur quoi le sieur H..., comme titulaire actuel cette fonction, conclut à sa mise hors de cause, en soulignant pertinemment qu'aucune demande à son endroit n'eut été recevable ni n'a été effectivement formulée et que son assignation dans un litige où aucun texte de loi ne prescrit sa présence présente un caractère manifestement abusif, d'où il suit qu'il se trouve bien fondé à demander réparation de cette faute lourde adverse équivalente au dol et que la somme de dix mille francs de dommages-intérêts, nullement excessive, doit lui être allouée de ce chef ;

Attendu que, pour ce qui touche le litige avec l'autre partie défenderesse, les divers faits à retenir en tant que prouvés par des productions de pièces et pertinents pour sa solution révèlent, dans leur chronologie, qu'après avoir atteint sa majorité le 11 février 1929, la dame Athon, épouse Knatt, laissait s'écouler dix-huit années avant d'engager contre sa mère une action en reddition de compte de tutelle, le 8 mars 1947, ainsi qu'avant de faire inscrire sur ses biens les hypothèques principale et complémentaire litigieuses, les 12 avril et 19 mai 1947 ;

Que, par jugement du 30 novembre 1948, rejetant son action en reddition de compte, dès longtemps et d'avance éteint prescription décennale, le tribunal civil d'Alger stigmatisait sévèrement l'esprit de chicane inadmissible qui lui en avait inspiré l'exercice, en la condamnant, de surcroît, à une réparation symbolique ;

Que la demanderesse, après désistement de son appel contre cette décision, recevait, le 9 août 1949, avec commandement d'en régler les causes, signification régulière du dit jugement, qui prenait à son encontre autorité de chose définitivement jugée ; que, deux mois plus tard, le 13 octobre 1949, la dame Zermati, veuve Athon faisait radier les deux hypothèques grevant son patrimoine, et ce, en vertu de cette sentence, nonobstant l'absence dans le corps d'icelle de tout chef ordonnant, voire légitimant pareille radiation, comme nonobstant le défaut de production d'un acte authentique portant consentement de l'inscrivante ; que cependant cette dernière, s'étant fait délivrer le 4 janvier 1950, sans doute, pour s'assurer de cette radiation, un état des inscriptions hypothécaires, dont la lecture, en tous cas, n'a pu manquer, dès cette date, de lui en révéler l'existence, à supposer qu'elle l'ait auparavant ignorée, n'en a pas moins attendu près de sept ans, jusqu'au 14 septembre 1956, pour en rechercher l'annulation par la présente procédure ;

Attendu que l'examen des phases successives de ce comportement de la demanderesse, qui après s'être librement désistée de son appel du jugement portant condamnation contre elle, après avoir accepté, sans nouveau recours ni réserve, d'en recevoir signification privant définitivement de leur fondement effectif les hypothèques litigieuses et enfin, après avoir toléré sans protestation leur radiation, est demeurée si longtemps dans une totale inaction, ne manque pas de conduire à la conviction de son accord probable, préalablement à la dite radiation, ou de permettre, à tout le moins, l'assurance de son acquiescement tacite postérieur, et comporte, de toute façon, la certitude absolue de l'impossibilité, pour l'inscrivante, d'avoir été en rien lésée par la disparition de cette sûreté réelle, dès lors qu'elle est en fait demeurée nombre d'années sans vouloir y remédier, de même qu'en fait, également, sa mère a notoirement toujours joui de la plus large solvabilité, et dès lors qu'en droit, par ailleurs, elle avait déjà perdu tout titre à user utilement des hypothèques radiées ;

Attendu qu'il suffit de considérer, au surplus, que par la même prescription décennale, extinctive de son action en reddition de compte de tutelle, est aussi avenue de plein droit l'extinction corrélative des hypothèques litigieuses, dont elle sollicite pourtant instamment la réinscription, sans ignorer sa parfaite inanité, pour en inférer immédiatement non seulement l'irrecevabilité des prétentions de la partie demanderesse, car qui n'a pas d'intérêt n'a pas d'action, mais encore leur caractère d'intolérable malice, car qui plaide sans être légitimement intéressé à le faire trahit par seul but l'intention de nuire, ne craignant pas, comme cette partie, d'user du prétoire pour la vengeance de dissensions privées ou familiales ;

Attendu que la partie adverse, par suite de ces agissements vexatoires, a subi à la fois un important dommage matériel, par des pertes de temps, des dérangements multiples et des frais partiellement irrépétibles, et surtout un préjudice moral particulièrement aggravé par le rang social des parties comme par leur lien de si proche parenté, et en demande à bon droit réparation aux deux époux Knatt-Athon; dont le premier a nécessairement engagé sa responsabilité solidaire, quasi délictuelle, en accordant à tort à son épouse l'autorisation maritale qui a permis cet abus de procédure ;

Que le Tribunal trouve dans la cause des éléments d'appréciation suffisants pour arbitrer à la somme de cinquante mille francs le montant intégral de la juste indemnité due à la défenderesse ;

Attendu que les dits époux Knatt succombants, doivent être condamnés aux dépens.

Par ces motifs :

Statuant en matière civile, publiquement, contradictoirement et en premier ressort ; rejetant toutes prétentions plus amples ou contraires des parties, déboute les époux Knatt-Athon de leur action introductive d'instance et les condamne solidairement à payer à titre de dommages-intérêts, d'une part, la somme de dix mille francs (10.000 F) au défendeur H..., d'autre part, celle de cinquante mille francs (50.000 F), à sa co-défenderesse, dame Zermati, veuve Athon ; condamne en outre les dits époux Knatt aux dépens.

Observations. - Dans l'espèce, le jugement du tribunal d'Alger du 30 novembre 1948, qui avait reconnu éteinte l'action en reddition de compte de tutelle garantie par les deux inscriptions en cause, ne renfermait aucun ordre de radier ces deux inscriptions. Par ailleurs, l'inscrivante n'avait pas donné son consentement à cette radiation. Celle-ci était dès lors incontestablement irrégulière, bien que, sur la réquisition de l'avoué, elle ait été faite « en conséquence du jugement rendu par le tribunal civil d'Alger, le 30 novembre 1948, passé en force de chose jugée ». (Jacquet et Vétillard, V° jugement de radiation, n° 45.)

Le tribunal a cependant refusé à l'inscrivante le droit de critiquer la radiation irrégulière parce que le jugement qui l'avait déboutée de son action en reddition de compte de tutelle avait retiré toute efficacité aux inscriptions radiées. L'adage « qui n'a pas d'intérêt n'a pas d'action » lui enlevait en effet tout droit à demander le rétablissement des inscriptions litigieuses.

Par ailleurs, le tribunal a estimé, d'après les circonstances de la cause, que la demanderesse n'ignorait pas, l'inefficacité des inscriptions dont elle demandait le rétablissement, que son action n'avait d'autre but que la vengeance de dissensions privées ou familiales et que l'intention de nuire qu'elle révélait justifiait l'allocation d'une réparation pécuniaire aux défendeurs et en particulier au Conservateur qui avait été appelé à l'instance, alors surtout que ce n'était pas lui, mais son prédécesseur, qui avait opéré la radiation.

Sur les deux chefs, la décision ne peut qu'être approuvée.

Annoter : C.M.L. n° 984-II, 1366 et 2052 ; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 25 et V jugement de radiation, n° 45 et 62.