ARTICLE 352 ETATS HYPOTHECAIRES. Etat sur transcription. - omission d'une inscription. - Prix payé
avant la réalisation de la vente. - Existence de l'inscription
connue de l'acquéreur. SOMMAIRE. En cas d'omission d'une inscription hypothécaire
dans un état sur transmission, l'acquéreur, qui a payé
son prix avant la réalisation de la vente nonobstant l'existence
de l'inscription qu'il n'ignorait pas, est fondé à demander
au conservateur la réparation du préjudice subi dans la
mesure où induit en erreur par l'état incomplet et laissé
dans l'ignorance de la persistance de l'inscription en cause, il a été
privé de la possibilité de prendre des mesures conservatoires
contre ses vendeurs devenus, ensuite, insolvables. Jugement du tribunal civil de la Seine du 27 juin 1957. Attendu qu'il est constaté, par acte reçu
G... et M..., notaires à Paris, les 6 et 9 juillet 1954, que les
époux A... ont vendu à dame L..., un appartement de cinq
pièces principales avec les fractions correspondantes des parties
communes, dépendant de l'immeuble sis à Paris, rue de P...,
n° 95 et 97, pour le prix principal de 5.000.000 de francs, que dame
L... en personne a payé comptant, hors la vue des notaires, à
l'instant même où l'acte était dressé; Attendu qu'il est constant que, dans les pourparlers
qui ont précédé cette vente, un sieur C..., qui recevait
dame L..., dans les bureaux de la Société « H...-S...
» et qui utilisait le papier à en-tête de cette société,
a joué le rôle d'intermédiaire entre les parties contractantes;
Attendu que sur la demande qui lui en a été
faite par G..., notaire de dame L..., le 24 septembre 1954, le conservateur
des hypothèques de la Seine, ...ème Bureau, a fait parvenir
au notaire requérant, dans la deuxième quinzaine de décembre
1954, un certificat sur transcription du chef des vendeurs, entièrement
négatif; Attendu cependant que l'appartement vendu était
grevé d'une hypothèque conventionnelle inscrite au ...ème
bureau des Hypothèques de la Seine, le 9 mars 1953, Volume 712,
numéro 22 pour sûreté de, la somme de 2.000.000 de
francs, en principal, et de celle de 200.000 francs, pour frais et accessoires,
ladite hypothèque consentie par les époux A..., à
la Société des F..., suivant acte reçu L..., notaire
à Paris, les 23 et 24 février 1953. Attendu qu'à la suite d'une sommation de payer
ou de délaisser qui lui a été signifiée le
13 octobre 1955, à la requête du créancier inscrit,
en sa qualité de détentrice de l'appartement hypothéqué,
dame L..., a payé le 14 décembre 1955, pour satisfaire à
cette sommation et pour éteindre la dette hypothécaire bien
qu'elle eut revendu, dès le 8 juillet 1955, l'appartement dont
s'agit la somme de 2.609.391 francs, montant en principal et intérêts
de la créance de la Société des P..., contre les
époux A... Qu'elle a en outre payé, pour frais et honoraires
de procédure afférents à ce règlement et à
titre de provision pour les frais de mainlevée de l'inscription
hypothécaire, les sommes de 45.813 francs et de 32.000 francs respectivement,
soit au total celle de 2.687.204 francs. Que, sur cette somme il lui a été remboursé
celle de 1.400.000 francs le mars 1956 par les époux A...; Attendu que suivant exploits des 17 et 19 octobre 1955
complétés et précisés par conclusions du 9
novembre 1956 dame L... a fait assigner les époux A..., la Société
« H...-S... » et le conservateur du ...ème bureau des
hypothèques de la Seine, pour s'entendre condamner à lui
payer : 1° Les époux A..., conjointement et solidairement la somme de 1.287.204 francs représentant la différence entre ce qu'elle a été obligée de payer et ce qui lui a été remboursé; 2° La Société « H...-S... » et le conservateur du ...ème bureau des hypothèques de la Seine, conjointement et solidairement entre eux ou chacun dans une proportion qu'elle demande au Tribunal d'arbitrer, la même somme de 1287.204 francs « à défaut de paiement de cette somme par les époux A... pour quelque cause que ce soit »; 3° Tous les défendeurs, et d'ores et déjà, la somme de 200.000 francs à titre de dommages-intérêts; Sur la demande dirigée contre les époux A... Attendu que seuls parmi les quatre défendeurs,
les époux A... n'ont pas constitué avoué mais qu'ils
ont été régulièrement réassignés
conformément aux prescriptions de l'article 53 du code de procédure
civile; Que par conséquence et en vertu du même
texte, le présent jugement doit avoir contre eux les effets d'un
jugement contradictoire,; Attendu qu'il est justifié pour dame L... et notamment
au moyen d'une attestation délivrée par le notaire de la
société des F... qu'elle a payé de ses deniers, pour
obtenir la radiation de l'inscription hypothécaire dont cette société
était bénéficiaire, la somme totale de 2.687.204
francs, sur laquelle il lui a été remboursé celle
de 1.400.000 francs, ainsi qu'il a été dit ci-dessus; Attendu que le paiement d'une dette hypothécaire et des frais qu'elle occasionne doit être supporté en définitive et à défaut de conventions contraires dont la preuve n'est pas rapportée par celui qui a contracté cette dette; Attendu donc qu'il échet de condamner les, époux
A..., solidairement, à rembourser à dame L..., la somme
de 1.287.204 francs; Attendu que la demande en paiement de 200.000 francs
à titre de dommages-intérêts formée par dame
L... contre les époux A... n'étant pas justifiée,
il échet de l'en débouter; Sur la demande dirigée contre la société H... S... Attendu que dame L..., à l'appui de cette demande,
reproche à la société « H... S... »
dont elle prétend qu'elle était sa mandataire, chargée
spécialement de ses intérêts dans la vente qui lui
a été faite par les époux A... de l'appartement dont
il s'agit; Premièrement - de n'avoir pas attiré son
attention sur l'inconvénient qu'il y avait à payer le prix
avant d'avoir obtenu la mainlevée de l'inscription hypothécaire;
Deuxièmement - de s'être contentée de faire prendre par A... l'engagement de ne pas consentir une nouvelle hypothèque avant la signature de l'acte notarié qui devait constater la vente; Troisièmement - d'avoir payé le prix de vente aux vendeurs, au moyen de chèques établis par sa mandante, malgré l'existence de l'inscription; Quatrièmement - d'avoir ensuite négligé
de pourvoir à la radiation de cette inscription bien qu'elle ait
reçu d'A... les fonds nécessaires pour éteindre la
dette hypothécaire, et notamment un chèque de 1.900.000
francs ; Cinquièmement - de lui avoir donné l'assurance
qu'elle n'avait plus à s'inquiéter et, enfin, de ne plus
l'avoir tenue au courant de l'inexécution par A... des obligations
de ce dernier quant au règlement de cette dette hypothécaire;
Attendu que la Société « H...-S...
» résiste à la demande, motif pris de ce qu'elle n'était
pas la mandataire de dame L... qui n'aurait traité que par l'entremise
de C..., « courtier libre professionnel en vente d'appartements
» et dont elle prétend qu'il n'était pas son préposé;
Attendu qu'elle se porte reconventionnellement demanderesse
en paiement de la somme de 500.000 francs, à titre de dommages-intérêts
pour procédure abusive; Attendu qu'il résulte de la correspondance produite,
d'une attestation signée « vicomte de R... » et qu'il
est d'ailleurs non dénié, que C... disposant d'un bureau
dans les locaux de la société « H...-S... »,
qu'il recevait dame L... qu'il écrivait ou faisait écrire
pour les besoins de la négociation dont s'agit, entre les époux
A... et dame L..., et dans laquelle il jouait le rôle d'intermédiaire,
sur du papier à en-tête de la société «
H...-S... » et qu'il ne craignait pas de signer « pour le
gérant » au vu et au su de dame L...; Attendu que les apparences que la société
« H...-S... » a ainsi créées ou laissé
se créer, en admettant qu'il n'y eut là que des apparences,
étaient de nature à faire supposer à dame L... qu'il
existait des relations de commettant à préposé entre
la dite société et C..., de telle porte que la responsabilité
de cette société se trouverait engagée si une faute
préjudiciable à dame L... avait été commise
par C... dans l'exercice de ses fonctions; Mais attendu que dame L... ne rapporte pas la preuve des fautes qu'elle invoque; Attendu en effet qu'il est seulement établi par les documents versés aux débats que C... a remis à A... pour le compte de dame L... le 23 avril 1954, la somme de 1.000.000 de francs « à valoir sur le prix de vente de l'appartement » et celle de 3.500.000 francs, le 15 mai 1954 », pour règlement des installations (tapis, mobilier, tableaux, etc.) » qui se trouvaient dans l'appartement vendu; qu'il a en outre reçu de A..., le 23 avril 1954, la somme de 100.000 francs, qui devait servir de « complément à un chèque de 1.900.000 francs, le total représentant la valeur de l'inscription hypothécaire »; Qu'enfin il a écrit à la Compagnie des F..., le 10 juin 1954, pour obtenir de cette société qu'elle acceptât la vente de l'appartement et qu'elle consentît à reporter la créance A... sur dame L...; Attendu qu'il n'est pas établi ni même allégué
que C... ait commis un détournement de sommes au préjudice
de dame L... ou de A...; Attendu qu'il échet d'observer, au surplus, que par lettre du 14 septembre 1955, A... s'est reconnu débiteur vis-à-vis de dame L..., du montant de sa dette hypothécaire sans protestation ni plainte; Attendu qu'il n'est pas établi que dame L... a
confié à C..., le mandat de payer le solde du prix de vente,
soit 4.000.000 à ses vendeurs, avant la signature de l'acte notarié
des 6 et 9 juillet 1954 ou celui d'obtenir la radiation de l'inscription
hypothécaire après la signature de l'acte; Attendu que semblables opérations ne rentrent
pas dans les attributions d'un agent immobilier telles qu'elles sont ordinairement
conçues et ne constituent pas normalement la suite des interventions
qui leur sont demandées; Attendu que le versement d'un acompte de 1.000.000 de
francs par C..., sur le prix de vente de l'appartement, n'était
pas de nature à compromettre les intérêts de dame
L..., alors que la dette hypothécaire était nettement inférieure
au solde du prix; Attendu que dans ces conditions et dame L... n'ayant
pas rapporté la preuve de ses griefs, il échet de la débouter
de sa demande à l'égard de la société «
H...-S... »; Attendu cependant qu'il n'apparaît pas que dame
L... ait agi contre elle de mauvaise foi et dans l'intention de lui nuire,
qu'il y a donc lieu de débouter la société «
H...-S... » de sa demande reconventionnelle,; Sur la demande dirigée contre le Conservateur des hypothèques. Attendu que le défenseur ne méconnaît
pas la faute qui a été commise par ses services mais prétend
qu'il n'y a pas de lien de cause à effet entre cette faute et le
préjudice subi par la demanderesse; Attendu qu'il fait valoir notamment d'une part que le
prix avait été payé antérieurement à
la signature de l'acte les 6 et 9 juillet 1954, et, par conséquent,
antérieurement à la réquisition du certificat sur
transcription; Qu'ainsi donc dame L... avait pris à sa charge
tous les risques que comportait un paiement anticipé; D'autre part, qu'étant donné les lenteurs
de la procédure et le fait que l'insolvabilité, ou tout
au moins la situation très difficile dans laquelle se trouvaient
les époux A..., s'est très rapidement aggravée depuis
l'époque de la réquisition, les mesures que dame L... aurait
pu prendre à cette époque, pour assurer la conservation
de ses droits, n'auraient été suivies d'aucun effet; Mais attendu que le conservateur des Hypothèques
n'établit pas que dame L... connaissait la persistance de l'inscription
nonobstant les indications du certificat négatif qui lui a été
délivré dans la deuxième quinzaine de décembre
1954; Attendu qu'il n'est pas certain que dame L... même informée de la persistance de l'inscription hypothécaire aurait pris contre les époux A... des mesures conservatoires quelconques, alors qu'il n'est pas douteux qu'elle connaissait l'existence de cette inscription avant la régularisation de la vente et qu'elle en a néanmoins payé le prix; Attendu toutefois qu'il échet d'admettre qu'elle a été induite en erreur par la délivrance du certificat dont s'agit, la preuve contraire n'étant pas rapportée, et que, dès lors, elle a été privée, tout au moins, de la possibilité de recourir à des mesures conservatoires, dont la situation pécuniaire des époux A..., telle qu'elle est révélée par un état délivré par le conservateur des Hypothèques de Corbeil à la date du 12 janvier 1957, fait admettre en effet l'utilité; Attendu qu'ainsi il lui a été causé
un préjudice dont il échet d'évaluer le montant à
la somme de 100.000 francs, compte tenu des circonstances de la cause;
Par ces motifs : Condamne les époux A..., solidairement à
payer à dame L..., la somme de 1.287.204 francs; Condamne le conservateur des Hypothèques du ...ème
Bureau de la Seine, à payer à dame L..., la somme de 10.000
francs à titre de dommages-intérêts; Déboute dame L..., du surplus de ses demandes;
Déboute la société « H...-S...
» de sa demande reconventionnelle; Dit que les dépens seront supportés dans
la proportion de quatre cinquièmes par les époux A... et
de un cinquième par le conservateur des Hypothèques, à
l'exception de ceux qui ont été nécessités
par la mise en cause de la société « H...-S... »
et qui demeureront à la charge de la dame L... Observations. - Ainsi qu'il résulte du
jugement qui précède, l'instance terminée par cette
décision était motivée par l'omission d'une inscription
dans un état sur transcription. Devant le Tribunal, notre collègue ne contestait
pas la réalité de l'omission, mais soutenait qu'il n'y avait
pas de lien de cause à effet entre cette omission et le préjudice
subi par l'acquéreuse, dès lors que celle-ci avait payé
son prix avant la réalisation de la vente et alors au surplus qu'elle
n'ignorait pas l'inscription grevant l'immeuble vendu. Le passage du jugement qui statue sur ce point n'est
pas d'une clarté parfaite. Il semble cependant que le tribunal a entendu faire une
distinction entre la partie du préjudice qui était déjà
consommé au moment de la délivrance de l'état erroné
et celle qui l'a été depuis. En ce qui concerne la première partie qui a sa
source dans le payement du prix nonobstant l'existence de l'inscription,
il admet implicitement que l'acquéreur en a la charge exclusive
: Alors en effet qu'il condamne les vendeurs à rembourser à
l'acquéreuse les sommes que celle-ci a dû débourser
pour désintéresser la créancière hypothécaire,
il ne prononce aucune condamnation de ce chef contre le conservateur.
En revanche, à l'égard de la seconde partie
du préjudice, il paraît trouver un motif de retenir la responsabilité
du conservateur dans le fait que l'état erroné a tenu l'acquéreuse
dans l'ignorance de la persistance de l'inscription. Le raisonnement
du Tribunal paraît consister à considérer que l'acquéreuse,
qui a payé son prix alors qu'elle connaissait l'existence de l'inscription,
a pu croire que ce prix serait employé par les vendeurs à
l'extinction de la créance garantie par cette inscription et que,
si elle avait été avisée de la persistance de l'inscription
au moment de la transcription de l'acte, elle aurait pu prendre des mesures
conservatoires contre les vendeurs. Ce raisonnement est quelque peu fragile. Tout d'abord, ainsi que le Tribunal le constate lui-même,
il n'est pas certain que l'acquéreuse, même informée
de la persistance de l'inscription, aurait pris des mesures conservatoires
contre les vendeurs, alors qu'elle avait payé son prix sans ignorer
l'existence de ladite inscription. D'un autre côté, il est assez vraisemblable
que, comme l'avait signalé notre collègue dans ses conclusions,
les mesures conservatoires qui auraient pu être prises seraient
demeurées sans effet en raison de la situation obérée
des vendeurs. Le Tribunal a d'ailleurs tenu compte dans une certaine mesure de ces considérations pour l'évaluation du préjudice; il a en effet fixé celui-ci à 100.000 francs, alors que l'acquéreuse restait créancière d'une somme de 1.287.204 francs au titre des sommes qu'elle avait dû verser à la créancière inscrite. Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 2050.
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