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ARTICLE 355

PUBLICATION D'ACTES.

Demandes en justice. - Demandes en annulation d'une vente consentie par le requérant à un tiers ou conclue entre personnes étrangères au requérant.
Publication obligatoire.
Rejet de la demande non publiée prononcé d'office par le Tribunal.

SOMMAIRE

Les dispositions de l'article 28 4° C du décret du 4 janvier 1955, qui prescrivent la publication obligatoire des demandes en justice tendant à obtenir là résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention ou d'une disposition, à cause de mort, sont d'ordre public, il appartient par suite aux tribunaux de relever d'office l'irrecevabilité édictée par l'article 30-5 du décret précité, à l'encontre de celles de ces demandes qui n'ont pas été publiées.

Doit, en particulier, être rejetée, faute de publicité préalable, une demande tendant à faire déclarer nulle la vente d'un appartement consentie par le requérant à une tierce personne, de même qu'une demande visant à obtenir l'annulation d'une vente conclue entre personnes étrangères au requérant.

JUGEMENT DU TRIBUNAL CIVIL DE LA SEINE DU 5 JUIN 1958

Le Tribunal,

Attendu que dame Jacqueline-Elisabeth-Fernande P..., désirant se défaire d'un appartement de six pièces principales, dont elle était propriétaire au premier étage de l'immeuble situé à Paris, 22, rue Jean-Mermoz, avait chargé l'Agence C... de lui procurer un acheteur; que ladite Agence n'ayant point, après plusieurs mois, rempli son mandat, elle lui consentit, le 7 juillet 1956, une promesse unilatérale de vente, avec faculté de se substituer command, pour le prix de 6.750.000 francs, 500.000 francs lui ayant été versés le jour même en un chèque, 1.500.000 francs devant être payés le 26 juillet, et le solde, soit 4.750.000 francs « à la signature de l'acte », au plus tard au 30 octobre 1956.

Attendu que dame P..., nantie de la somme de 500.000 francs ainsi perçue, partit prendre les eaux de la Bourboule; que le 10 juillet, c'est-à-dire sitôt en possession de l'option P..., l'Agence C... obtint, d'une certaine dame Jacqueline-Georgette C... une promesse d'acheter ledit appartement au prix de 8.750.000 francs, soit avec une différence en plus de 2.000.000 de francs; qu'il fut convenu entre tous les intéressés qu'un acte de vente authentique P...-C... serait passé le 20 ou le 27 juillet, mais que, en fait, sans qu'il soit besoin de chercher ici à qui cette carence fut imputable, la vente ne fut pas réalisée à cette époque.

Attendu que, à la suite de divers incidents, l'Agence C... adressa, le 23 octobre 1956, à dame P... une lettre recommandée par laquelle elle déclarait lever l'option qui lui avait été consentie le 7 juillet précédent; que le lendemain, 24 octobre, demoiselle Jacqueline-Eugénie B..., se disant marchande d'immeubles sous la dénomination d' « Agence C... », déposa entre les mains de D..., notaire à Paris, qui les plaça au rang de ses minutes, les documents du 7 juillet et du 23 octobre 1956, puis, prétendant que la levée d'option l'avait rendue propriétaire de l'appartement, aurait fait transcrire le 26 octobre, le procès-verbal de dépôt dressé par l'officier public.

Attendu que, cependant, le 23 octobre, dame P... et dame C... avaient fait constater par B... et N..., aussi notaires à Paris, leur volonté commune de vendre et d'acheter, le même appartement; qu'un acte réitérant cette vente fut dressé par les mêmes officiers publics, le 26 octobre; que ledit acte aurait et transcrit le 31 octobre 1956.

Attendu que, en cet état des faits, ce Tribunal a été saisi de trois actions, savoir :

1° Le 24 octobre 1956, par dame C..., contre Henri C..., pour demander notamment le versement de 3.000.000 de francs, à titre de dommages-intérêts (affaire enrôlée sous le n° 17950, de 1956);

2° Le 13 novembre 1956, dame P..., contre le même C.,. et contre demoiselle B..., pour demander la nullité de la vente P...-Agence C...; résultant de l'engagement du 7 juillet, combiné avec la levée d'option du 23 octobre 1956, la radiation de la transcription, et 2.000.000 de francs à titre de dommages-intérêts pour abus de droit (affaire enrôlée sous le n° 17490 de 1956);

3° Le 1er décembre 1956, par demoiselle B..., contre dame P... et contre dame C..., pour demander la nullité de la vente directe des 23-26 octobre 1956 P...-C..., l'expulsion de dame C..., 500.000 francs à titre de dommages-intérêts, et enfin, pour obtenir qu'un dédit de 2.000.000 de francs, stipulé par dame C... au profit de l'Agence, lui soit déclaré acquis (affaire enrôlée sous le n° 18577 de 1956).

Attendu qu'il résulte des circonstances de l'affaire, que ces diverses instances sont connexes; qu'il y a donc lieu de les joindre pour y statuer par un seul et même jugement; que ces diverses instances se trouvent, d'autre part, en état, même la dernière, bien que les défenderesses n'aient pas conclu; que, en effet, un avenir sur l'assignation dont s'agit, leur a été délivré le 25 janvier 1957, dans les formes prescrites par l'article 154 bis du Code de Procédure Civile; que le présent jugement doit donc être réputé contradictoire;

Attendu que, par acte du Palais du 8 mars 1957; dame C... a demandé enfin, contre C... et contre demoiselle B..., à titre soit de demande reconventionnelle, soit additionnelle, la condamnation de demoiselle B... et de Ch... à lui payer une somme de 2.000.000 de francs, à titre de dommages-intérêts supplémentaires et, en outre, la radiation de la transcription opérée à la requête de demoiselle B...

Attendu que, comme il vient d'être indiqué, les instances ci-dessus visées au 2° et 3° tendent essentiellement à obtenir la nullité de la vente dont la validité est soutenue par la partie adverse; que, aux termes de l'article 28 du décret ayant valeur législative, du 4 janvier 1955 « sont obligatoirement publiés...; 4° ...les demandes en justice tendant à obtenir... l'annulation... d'une convention » constatant mutation d'un droit de propriété immobilière; que, en vertu de l'article 30, paragraphe 5 du même décret, la méconnaissance de cette prescription a pour sanction l'irrecevabilité de la demande;

Attendu qu'en raison du caractère impératif de la prescription légale (sont obligatoirement publiées) comme de l'objet même de la publicité prescrite, qui est l'exacte et complète information des tiers, c'est-à-dire la sécurité de toutes transactions immobilières, ces prescriptions doivent être considérées comme d'ordre public; qu'il appartient donc au Tribunal de relever d'office la fin de non-recevoir qu'elles édictent,

Attendu que les autres chefs de demandes dans les instances, numéros 2 et 3 (radiation de transcription, expulsion, paiement de dommages-intérêts, acquisition d'un dédit), constituent de simples conséquences des annulations auxquelles tendent essentiellement ces deux actions; que ces instances sont donc également irrecevables de ces autres chefs; qu'il en est de même enfin, de la demande de dame C..., introduite le 8 mars 1957, tendant à la radiation de là transcription B...

Attend enfin, que la demande en dommages-intérêts formée par dame C... est connexe, comme il est dit ci-dessus, aux autres chefs de demandes formulés en la cause; que, dans le souci d'une bonne administration de la justice et pour éviter tout risque de contrariété de jugements, il convient de la déclarer, dès lors, également irrecevable en l'état.

Par ces motifs :

Ordonne la jonction des instances introduites par dame Jacqueline-Georgette C..., contre Henri Ch..., le 24 octobre 1956 (n° 17950 de 1956 du rôle général). par dame Jacqueline-Elisabeth-Fernande P..., contre ledit Ch... et contre demoiselle Jacqueline-Eugénie B..., le 13 novembre 1956 (n° 17490 de 1956), enfin par demoiselle B..., contre dame P... et dame C..., le 1er décembre 1956 (n° 18577 de 1956);

Statuant sur le tout, par un seul et même jugement, dit irrecevable, en l'état, toutes les demandes des parties, et notamment celles tendant à l'annulation des ventes d'un appartement situé 22, rue Jean-Mermoz, à Paris, qui résulteraient, en premier lieu, d'une option accordée à l'Agence C.h.., le 7 juillet 1956, par dame P..., et levée le 23 octobre suivant par Ch... et demoiselle B..., et en second lieu d'un accord entre dame P... et C..., constaté par actes reçus les 23 et 26 octobre 1956 par B... et N..., notaires à Paris.

Observations. - L'art. 28-4° c, du décret du 4 janvier 1955, assujettit à la publication obligatoire à la Conservation des Hypothèques, lorsqu'elles portent sur des immeubles, « les demandes en justice tendant à obtenir la résolution, la révocation, l'annulation ou la rescision d'une convention ou d'une disposition à cause de mort ».

On a quelquefois tenté de soutenir que cette disposition ne visait que les demandes de résolution, de révocation, d'annulation ou de rescision émanant de l'une des parties à la convention, à l'exclusion de celles dont l'auteur était un tiers.

Mais le texte ne fait pas une telle distinction. Celle-ci serait au surplus, en contradiction avec l'esprit de la disposition en cause, dont l'objet est de révéler aux tiers les risques d'éviction que peut faire peser sur le droit de propriété d'un immeuble, une demande en résolution, révocation, annulation ou rescision.

Le jugement rapporté, se prononce d'ailleurs nettement contre la distinction proposée, puisqu'il reconnaît l'art 28, 4° c applicable à la demande d'annulation d'une vente formée par un tiers étranger à la convention.

Par ailleurs, quelle que soit l'interprétation que recevra finalement le texte en cause, nous estimons que le Conservateur n'a pas à examiner si l'acte dont la publication est demandée, entre ou non dans les prévisions; cet examen l'obligerait, en effet, à se livrer à des appréciations de fait et de droit, qui sont du domaine du juge et non du sien propre. Dès lors que le requérant estime que sa demande entre dans le champ d'application du texte dont il s'agit et en requiert en conséquence, la publication, le Conservateur doit satisfaire à la réquisition.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 787 bis A, I et II (feuilles vertes).