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ARTICLE 401

RADIATION.

Faillite. - Inscription de masse. - Mainlevée dégrevant un immeuble non aliéné consentie par le syndic, soit avant, soit après l'homologation du concordat, sans qu'il soit justifié du payement intégral du passif. - Refus de radier justifié.

JUGEMENT DU TRIBUNAL CIVIL DE SAINT-DIE DU 27 FEVRIER 1959.

Le Tribunal...

Attendu que le 6 octobre 1959, Paul Durull, liquidateur syndic, demeurant à Saint-Dié, agissant en qualité de syndic de la faillite de la S.A.R.L. dite « Tissage Mécanique Paul Curin » et de son gérant, Paul Curin, après avoir, dans un acte, passé par devant M° Pierre R..., notaire à F..., en date du 30 septembre 1958, enregistré à F..., donné mainlevée de tous droits d'hypothèque légale, prise par lui au profit de la masse des créanciers de ladite faillite le 21 janvier 1955, vol. 19, n° 230, en ce qu'elle porte sur la propriété industrielle de Ste-Marguerite, appartenant à Paul Curin a requis de M. le Conservateur des Hypothèques de S... au bureau duquel il faisait déposer une expédition de l'acte susrelaté, la radiation de l'inscription syndicale.

Attendu qu'il était spécifié dans l'acte de mainlevée, que pour l'application de l'article 2158 du Code Civil, le notaire, M° Pierre, R..., certifiait exactes, les énonciations contenues dans l'acte, relatives à l'état, à la capacité et à la qualité de M. Durull.

Attendu que M R... a fait aussi connaître, à M. le Conservateur, que, selon concordat en date du 19 novembre 1956, homologué par arrêt de la Cour d'Appel de Nancy, du 10 janvier 1958, Paul Curin avait retrouvé la libre disposition de ses biens, dont celui frappé par l'inscription syndicale.

Que M. le Conservateur des Hypothèques a refusé alors de faire droit à la réquisition de Paul Durull pour les motifs suivants :

Le notaire certifiait bien l'exactitude de la qualité de M. Durull comme syndic de la faillite, de sa capacité à consentir la mainlevée de l'inscription syndicale, mais ne communiquait à M. le Conservateur aucune pièce justifiant ces énonciations, conformément au paragraphe 2 de l'article 2158 du Code Civil.

Attendu que, par exploit du 11 décembre 1958, Paul Curin et le sieur Durull, agissant en qualité de syndic de la faillite de la S.A.R.L. « Tissages Curin » et aux noms et comme mandataires de 22 créanciers, a alors assigné par devant le Tribunal Civil du siège M. le Conservateur des Hypothèques de S..., aux fins de voir dire et juger que celui-ci sera tenu de délivrer le certificat de radiation de l'hypothèque;

Que le défendeur a conclu en justifiant son attitude, et s'en rapporte à prudence de Justice.

Attendu que c'est à bon droit que M. le Conservateur s'est opposé à la radiation demandée précédemment par M. Durull.

Attendu en effet qu'il est constant que M. le Conservateur répond des radiations qu'il exerce ; que par suite, il a le droit et le devoir d'examiner la réquisition qui lui est déposée, s'il l'estime irrégulière, et pour ce motif susceptible d'aggraver sa responsabilité,

Attendu que M. le Conservateur est responsable de sa radiation, lorsqu'en raison de ce qu'elle a anéanti la garantie hypothécaire du créancier, elle lui cause ou peut lui causer un préjudice,

Que tel est le cas lorsque M. le Conservateur radie une inscription en vertu une mainlevée inopérante par suite d'incapacité certaine. (Civ. 2- 11924 - D. 24-1-14).

Qu'il a été jugé que le conservateur est responsable de la radiation indûment opérée, alors qu'il peut se rendre compte de l'erreur de droit certaine, en vertu de laquelle, la radiation a été requise,

Que tel était le cas de la radiation requise par M. Durull dans les circonstances sus-rappelées.

Attendu qu'en effet, ultérieurement, a été révélée à M. le Conservateur l'existence d'un concordat succédant à l'état de faillite, et dont il n'était pas fait mention dans l'acte authentique, portant consentement à la mainlevée de l'inscription syndicale, concordat dont la conséquence principale est de mettre fin aux fonctions du syndic (article 572 nouveau Code de Commerce, ex-article 134 décret 20 mai 1955 et ex-article 517 du Code de Commerce) et notamment d'ôter au précédent syndic de la faillite tout pouvoir pour consentir à ladite mainlevée, à moins que celui-ci ait été conféré expressément, ce qui n'est pas, ainsi qu'il résulte de l'assignation, laquelle en outre, ne fait état que de 27 mandats, alors que le nombre de créanciers est de 50 ; qu'il n'était pas et n'est pas davantage justifié du paiement des créances concordataires et que d'ailleurs cette justification ne conférerait pas à l'ex-syndic, le pouvoir aux fins de mainlevée de l'inscription syndicale ; qu'il était du devoir de M. le Conservateur de refuser la réquisition pour défaut de capacité du requérant, étant donné que sa responsabilité demeure engagée vis-à-vis des créanciers.

Attendu que, par application de l'article 2157 du Code Civil, l'inscription est rayée du consentement des parties ayant capacité à cet effet,

Attendu que M. le Conservateur était, dans ces conditions, en droit et il en avait au surplus le devoir de refuser de faire droit à la réquisition de M. Durull, pour défaut de capacité et de qualité de ce dernier.

Attendu qu'à défaut de mainlevée amiable régulière, la radiation ne peut être opérée qu'en vertu d'un jugement passé en force de chose jugée (article 2157 du Code Civil).

Attendu que dans le cas où le concordat ne comporte, comme il est reconnu, aucune clause prévoyant un commissaire au concordat, chargé expressément de consentir la mainlevée, la mainlevée de l'inscription syndicale doit être consentie par tous les créanciers, en sorte que le débiteur doit obtenir un jugement ordonnant la radiation et rendu, non pas contre M. le Conservateur, mais contre tous les créanciers ayant participé aux distributions et sur leur mise en cause régulière (Seine 28-2-1933 - J.C. 11225), ce qui n'est pas puisque l'ex-syndic ne fait état que de 27 mandats.

Attendu que c'est donc à juste titre que le défendeur fait observer que n'ayant pas qualité pour prendre parti pour ou contre la demande, son rôle consiste exclusivement une fois le jugement rendu et devenu définitif, à opérer ou non la radiation.

Attendu qu'il apparaît par conséquent nécessaire par le Tribunal avant de faire droit à la demande, de rechercher si tous les créanciers ont été désintéressés et acceptent la mainlevée de l'hypothèque,

Attendu que faute d'éléments actuellement suffisants, il échet avant dire droit, d'ordonner une expertise,

Attendu que les dépens doivent être mis à la charge de Paul Curin qui les a d'ailleurs offerts, la procédure étant faite dans son propre intérêt.

Par ces motifs,

Le Tribunal, statuant contradictoirement, en matière ordinaire et en premier ressort,

Recevant en la forme la demande de mainlevée d'hypothèque,

Dit et juge que M. le Conservateur des Hypothèques de S..., n'était pas tenu de délivrer sur la réquisition de M. Durull pris comme syndic de la faillite de la S.A.R.L. « Tissage Mécanique de Couleurs P. Curin » et du sieur P. Curin, le certificat de radiation de l'hypothèque de la masse, M. Durull n'ayant pas capacité de donner son consentement à la mainlevée.

Donne acte à M. le Conservateur de ce qu'il déclare consentir à opérer la radiation de l'inscription prise le 21 janvier 1955; volume 19, n° 230, en ce qu'elle porte sur la propriété industrielle de Paul Curin dans la mesure où le Tribunal l'ordonnera.

Avant dire droit :

Ordonne une expertise,

Désigne comme expert M° P..., avoué honoraire, lequel serment préalablement prêté dans les formes et délais prescrits par l'article 308 du Code de Procédure Civile, à moins qu'il n'en soit expressément dispensé par les parties, aura pour mission de :

- Rechercher si tous les créanciers de la faillite dé la S.A.R.L. « Tissage Mécanique de Couleurs P. Curin » et tous les créanciers concordataires ont été désintéressés et s'ils ne font aucune opposition à la mainlevée de l'hypothèque.

- S'il y a lieu, indiquer les difficultés qui se posent encore et donner son avis sur chacune d'elles.

Dit que l'expert pour l'accomplissement de sa mission s'entourera de tous renseignements utiles, entendra tous sachants à même de l'éclairer, consultera tous documents, entendra les parties en leurs dires et explications, et dressera rapport de ses opérations qu'il déposera au greffe du siège dans le délai de deux mois du jour où il aura été saisi.

Dit qu'en cas d'empêchement, il sera pourvu à son remplacement par ordonnance de M. le Président du siège, rendue sur simple requête de la partie la plus diligente,

Condamne Paul Curin en tous les dépens...

Observations. - Dans l'espèce qui fait l'objet du jugement reproduit ci-dessus, notre collègue avait été requis d'opérer la radiation totale d'une inscription de masse au vu d'une mainlevée consentie par le syndic après l'homologation sur concordat. Ainsi que le reconnaît le tribunal, c'est à juste titre qu'il avait refusé de déférer à cette réquisition.

L'homologation du concordat intervenue définitivement le 10 janvier 1958 avait en effet mis fin aux pouvoirs du syndic (Jacquet et Vétillard, V. faillite et liquidation judiciaire, n° 34, page 160; Chambaz et Masounabe-Puyanne, précis 2 éd., n° 1050 b) et celui-ci n'avait plus aucune qualité pour agir à ce titre le 8 octobre 1958, date à laquelle il a consenti la mainlevée.

Au surplus, même si le concordat n'était pas encore intervenu, le 8 octobre 1958, la mainlevée donnée à cette date par le syndic n'aurait pas permis la radiation demandée.

Si, en effet, tant que la faillite est encore dans la période préparatoire, le syndic a qualité pour représenter la masse, ses pouvoirs sont (en dehors de quelques rares exceptions qui ne concernent pas la mainlevée des inscriptions hypothécaires et pour lesquelles au surplus l'autorisation du tribunal ou du juge commissaire est nécessaire) limités aux actes ordinaires de gestion et ne lui permettent pas de donner mainlevée pure et simple de l'inscription syndicale : Lorsqu'il s'agit d'une mainlevée totale, celle-ci ne peut être consentie que moyennant le payement intégral des créances de la masse, c'est-à-dire que sur justification de l'entière libération du failli (Jacquet et Vétillard, eod. V°, n° 33-1, page 159; Chambaz et Masounabe-Puyanne, Précis, 2° éd., n° 1050-a-1°). Quant à la mainlevée partielle, qui peut intervenir dans las cas exceptionnels où le syndic est habilité, pendant la période préparatoire, à aliéner les immeubles du failli, elle doit être limitée aux immeubles régulièrement aliénés et subordonnée au payement du prix de l'aliénation (Jacquet et Vétillard, eod. V°, n° 42, page 166 ; Chambaz et Masounabe-Puyanne, n° 1050, a 1°). En aucun cas, pendant la période préparatoire, le syndic ne peut donner mainlevée, totale ou partielle de l'inscription de masse en tant qu'elle grève des immeubles non aliénés lorsque le passif de la faillite n'est pas entièrement éteint.

Or, dans, l'espèce actuelle, la propriété industrielle dégrevée n'avait pas été aliénée et il n'était pas justifié du payement intégral du passif de la faillite. La mainlevée, même partielle, consentie par le syndic, aurait donc été inopérante, même si elle était intervenue avant l'homologation du concordat.

De ce qui précède, il résulte qu'au cas particulier, l'inscription de masse grevant l'immeuble resté dans le patrimoine du failli ne pouvait être radiée du consentement du syndic, ni avant, ni depuis l'homologation du concordat. La radiation ne pouvait être opérée qu'au vu d'une mainlevée consentie par l'unanimité des créanciers ou, à défaut, en vertu d'une décision de justice.

Dans la rigueur des principes, la demande en justice aurait dû être dirigée par l'ancien failli contre tous les créanciers de la faillite, de manière que la décision soit opposable à ces derniers, bénéficiaires de l'inscription, et tienne lieu de leur consentement. En raison toutefois des difficultés et des frais qu'aurait entraînés la mise en cause de tous les créanciers, au nombre d'une cinquantaine, le tribunal s'était orienté vers une autre procédure consistant à s'assurer lui-même, avec le concours d'un expert, que tous les créanciers concordataires avaient été désintéressés. Si l'expertise (laquelle pour les motifs indiqués ci-dessous n'a pas été conduite jusqu'à son terme) lui avait donné cette assurance, il aurait pu alors, après avoir constaté que l'extinction des créances garanties par l'inscription de masse avait rendu, cette dernière caduque, ordonner la mainlevée de cette inscription. Bien que cette procédure ne soit pas strictement régulière du fait qu'elle ne met pas, en droit, le conservateur à l'abri d'un recours des créanciers, la constatation par le tribunal de la libération du failli aurait rendu pratiquement sans risque la radiation, opérée; en vertu d'un jugement rendu dans de telles conditions (Rapp. : Jacquet et Vétillard, loc. cit. n° 37, page 162 ; Chambaz et Masounabe-Puyanne, Précis, 2° éd., n° 10S7.)

En fait, au cours, de ses opération, l'expert a constaté que le concordat qui lui a été alors communiqué renfermait une clause dont l'existence n'avait pas été révélée jusque là, bien que le conservateur en eut signalé l'intérêt, et qui donnait mandat à l'ancien syndic de donner mainlevée de l'inscription de masse.

En présence de cette clause, l'ancien syndic a pu, en se prévalant cette fois du mandat reçu des créanciers, valablement réitérer la mainlevée du 8 octobre 1958 (Jacquet et Vétillard, eod. loc., n° 35, page 162 ; Chambaz et Masounabe-Puyanne, Précis, 2° éd., n° 1150, b II).

L'instance est ainsi devenue sans objet.

Cependant, elle illustre une fois de plus la pratique trop courante consistant à faire grief au conservateur de refus parfaitement justifiés et de le mettre en cause alors que sa présence dans l'instance n'a d'autre résultat que de le distraire de ses occupations professionnelles et d'augmenter les frais.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Faillite et liquidation judiciaire, n° 33-1, 34, 35 et 42, C.M.L. 2° éd. n° 1050, a et b.