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ARTICLE 416

PUBLICITE DES TRANSMISSIONS PAR DECES.

Réversions d'usufruit consécutives à un décès.

(Rép. Min. Finances, 8 avril 1959).

Question. - M. Deliaune, expose à M. le Ministre des Finances et des Affaires Economiques, qu'une circulaire du Service des Enquêtes et Etudes de la Direction Générale des Impôts (§ LXX-2), relative à l'application de la réforme hypothécaire, décide qu'il n'y a pas lieu de publier une attestation notariée pour constater la transmission par décès de droits réels immobiliers résultant d'une clause d'accroissement contenue ans un acte régulièrement publié. Il demande si cette dispense de publicité s'applique dans le cas où deux personnes s'étant réservé un droit d'usufruit jusqu'au décès du survivant sur des immeubles aliénés, l'un des usufruitiers vient à décéder (question n° 172 du 17 février 1959).

Réponse. - En vertu d'une jurisprudence constante, le contrat par lequel deux personnes aliènent un immeuble qui leur appartient en se réservant l'usufruit jusqu'au décès du survivant contient, indépendamment de la vente (ou de la donation) en nue-propriété, une libéralité mutuelle et éventuelle par les covendeurs (ou co-donateurs), au profit du survivant d'entre eux. Dès lors, sous réserve de l'interprétation souveraine des tribunaux, il semble que la réversion d'usufruit opérée, en vertu d'un tel contrat, constitue une transmission par décès, à publier par voie d'attestation notariée en application des art. 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955. (Journal Officiel du 8 avril 1959, Débats parl., Ass. nat., page 269).

Observations. - La réponse qui précède, vise exclusivement les réversions d'usufruit résultant d'un contrat de vente.

Mais la question de savoir si une réversion d'usufruit doit donner lieu à publication d'une attestation notariée est plus complexe et doit, si on applique à la lettre les art. 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955, recevoir une solution différente selon le caractère juridique que revêt la réversion.

I. - Réversion résultant d'un contrat d'acquisition. - Au cas où deux personnes ont acquis conjointement un usufruit avec clause de réversion sur la tête du survivant, la réversion qui s'opère au décès du prémourant a, selon la jurisprudence, le caractère d'une mutation à titre onéreux ayant son titre dans l'acte qui stipule la réversion (traité alphabétique des droits d'enregistrement, 3° éd., V° Réversion, n° 23). Il en est ainsi en particulier au cas où les deux acquéreurs conjoints sont deux époux mariés sous un régime exclusif de communauté (T.A., 3° éd., eod. V° n° 26).

Par contre, lorsqu'il s'agit d'époux communs en biens, il a été jugé que l'époux survivant est réputé être seul propriétaire ab initio de l'usufruit acquis en commun, sauf à indemniser la communauté qui a fourni les fonds nécessaires à l'acquisition (T.A. 3° éd., eod. V° n° 27).

Mais, en aucun cas, la réversion résultant de l'exécution d'une clause insérée dans un acte d'acquisition ne peut être considérée comme une transmission par décès et n'a pas par conséquent à faire l'objet d'une attestation notariée en exécution des articles 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955.

II. - Réversion résultant d'un contrat d'aliénation. - La situation est différente lorsque, comme dans l'hypothèse qui fait l'objet de la question écrite ci-dessus, la clause de réversion est stipulée dans un acte de vente ou de donation dans lequel deux vendeurs ou deux donateurs se sont réservé l'usufruit des biens vendus en convenant qu'au décès du prémourant, le survivant continuerait à jouir pendant sa vie de l'usufruit réservé. Dans une telle hypothèse, lorsque la réversion s'opère elle a le caractère d'une transmission par décès (T.A. 3° éd., eod. V°, n° 30).

Cette règle est applicable en particulier au cas où les deux vendeurs sont deux époux, soit que la convention porte sur des bien propres, soit qu'elle ait pour objet des biens de communauté, auquel cas la transmission par décès est limitée à la moitié de l'usufruit réservé (T.A. 3° éd., eod. V°, n° 32, 34, 36, 37 et 39).

Il en résulte que la réversion qui s'opère en vertu d'une clause insérée dans un contrat de vente ou de donation avec réserve d'usufruit, doit selon la lettre des art. 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955, donner lieu à la publication d'une attestation notariée. Le cas est d'ailleurs expressément prévu par l'art. 69, § 6, 3° al. du décret du 14 octobre 1955.

III. - Réversion résultant d'une dévolution héréditaire ou testamentaire. - Une réversion d'usufruit peut également s'opérer en cas d'usufruit successif résultant d'une dévolution héréditaire. C'est ainsi que, dans le cas où un testateur a légué l'usufruit de tout ou partie de ses biens à deux personnes qui doivent en jouir successivement, chacun des usufruitiers tient directement son droit du testateur; le droit du second de ces usufruitiers est subordonné à la condition qu'il survive au premier et, lorsque la condition se réalise, il s'opère alors rétroactivement entre le second appelé et le testateur, une mutation qui a son titre dans le décès de ce dernier (traité alphabétique des droits d'enregistrement, 3° éd., V° Usufruit et nue-propriété, n° 3-B). Il en est de, même lorsqu'un héritier ou, plus spécialement, le conjoint survivant recueille en usufruit dans une succession, un immeuble déjà grevé d'un usufruit; l'usufruit ainsi recueilli est alors conditionnel et lorsqu'il devient actuel, du fait du prédécès du premier usufruitier, c'est du défunt originaire que le second usufruitier tient rétroactivement son droit.

La réversion entre par conséquent, si on prend ces textes à la lettre, dans les prévisions des art. 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955. L'attestation dans laquelle elle doit être constatée est d'ailleurs, non pas celle qui concerne la succession du premier usufruitier, mais une attestation complémentaire de celle qui a été publiée à la suite du décès du défunt dont le second usufruitier était l'héritier ou le légataire.

La situation ne paraît pas différente au cas où les deux usufruitiers sont appelés à jouir de leur usufruit, non plus successivement, mais conjointement et où le testament (l'hypothèse ne semble pouvoir se rencontrer qu'en cas de legs), stipule qu'après le décès du prémourant l'usufruit restera en entier au survivant.

Sans doute, pour la perception du droit de mutation par décès, l'Administration de l'Enregistrement admet-elle que, dans une telle hypothèse, à la différence de l'interprétation qui a prévalu au cas d'usufruits successifs. La réversion résultant du décès du premier mourant des usufruitiers, n'a pas le caractère d'une mutation (T.A., 3° éd., V° Usufruit et nue-propriété, n° 24).

Mais cette opinion, qui n'est d'ailleurs pas unanimement admise (v. T.A., 2° éd., V° Accroissement entre colégataires, n° 17), n'est pas déterminante pour l'application de l'art. 29 du décret du 4 janvier 1955.

En effet, si la Direction Générale décide que, dans l'hypothèse envisagée, la réversion n'emporte pas mutation, elle considère cependant qu'elle modifie la dévolution héréditaire, du fait que le survivant est censé tenir directement du testateur et ab initio son droit à l'usufruit entier, et elle révise en conséquence la perception déjà effectuée (T.A. 3° éd., V° Usufruit et nue propriété, n° 24).

Par suite, il semble bien que la réversion entre usufruitiers conjoints, doit, dans une interprétation littérale du texte, donner lieu à la publication de l'attestation rectificative prévue par le 2° alinéa de l'art. 29, du décret du 4 janvier 1955, en particulier pour le cas de modification dans la dévolution de la succession.

IV. - Les règles qui viennent d'être exposées, procèdent d'une interprétation littérale des art. 28-3° et 29 du décret du 4 janvier 1955. Les distinctions qu'elles comportent ne sont cependant nullement justifiées du point de vue des nécessités de la publicité foncière et ne correspondent certainement pas aux intentions des auteurs de la réforme.

Lors de l'élaboration de cette dernière, la question s'est posée de savoir si la publication d'une attestation était nécessaire pour constater a consolidation du droit de propriété sur la tête du nu-propriétaire par le décès de l'usufruitier. Elle a été résolue par la négative (V. art. 35-I-1° du décret du 14 octobre 1955). On a estimé que la publication de l'acte ou de l'attestation révélant l'ouverture de l'usufruit et l'identité de l'usufruitier était suffisante pour informer les tiers de la situation juridique de l'immeuble grevé de l'usufruit. De toute évidence, la situation est la même en cas d'usufruit susceptible de réversion et il n'y a pas plus de raison de publier la transmission qui s'opère lors du décès du premier usufruitier que l'extinction qu'entraîne le décès du second.

On peut raisonnablement penser que c'est en ce sens que se prononceraient les tribunaux si la question leur était soumise.

On conseille dès lors aux collègues, de ne pas insister pour la publication des attestations concernant les réversions d'usufruit.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 762 A (feuilles vertes).