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ARTICLE 432

INSCRIPTION

Titre. - Hypothèques légales.
Dispense de communication du titre limitée aux hypothèques légales de la femme mariée, des mineurs et interdits et les collectivités publiques sur les biens de leurs comptables.

Ordonnance du Président du Tribunal de Grande Instance de la Seine du 4 juin 1959.

Nous, Président, ouï, Y... B..., avoué de l'Union pour le Recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'Allocations familiales dite : U.R.S.S.A.F.; M. le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine, en personne;

Attendu que l'Union pour le Recouvrement des cotisations de Sécurité sociale et d'Allocations familiales (U.R.S.S.A.F.) nous demande de la recevoir en son recours contre une décision de rejet d'inscription prise par le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine et de dire que la formalité devra être accomplie; que le Conservateur nous demande de dire que le rejet de formalité par lui signifié était entièrement fondé et de débouter l'U.R.S.S.A.F. de son instance;

Attendu en fait que l'U.R.S.S.A.F. a déposé, le 6 mars 1959, au ... bureau des Hypothèques de la Seine, sous le n° 1798, vol. 1219 n° 57, deux bordereaux exactement collationnés par son avoué, Y... B..., aux termes desquels elle requérait inscription d'hypothèque légale à l'encontre de la Société à responsabilité limitée Entreprise S..., sur un immeuble sis à P..., dont ladite société est propriétaire, pour sûreté d'une somme de 21.337.651 francs, montant de cotisations de Sécurité sociale, d'allocations familiales et d'accidents du travail, qu'elle dit lui être dues pour la période du 1er avril au 1er octobre 1958;

Attendu que par lettre recommandée du 3 avril 1959, le Conservateur a avisé l'avoué requérant qu'il avait constaté, après acceptation du dépôt, l'irrégularité constitué par le défaut de présentation du titre et l'a invité à compléter le dossier déposé dans le délai d'un mois de la notification, à défaut de quoi la formalité serait définitivement rejeté;

Attendu qu'aucun titre n'ayant, été produit dans le délai imparti, le Conservateur des Hypothèques a notifié, en la même forme, le rejet définitif de la formalité, par lettre recommandée du 5 mai 1959 distribuée le 6 du même mois;

Attendu que l'U.R.S.S.A.F. nous a alors saisi, par exploit en date du 12 mai, c'est-à-dire dans le délai légal de huitaine, du présent recours, sur lequel il nous appartient de statuer par décision au fond, prise comme en matière de référé, mais non susceptible d'exécution provisoire, en vertu de l'article 26 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955 et de l'article 74 du, décret 55-1350 du 14 octobre 1955;

Attendu en droit que les cotisations dues aux Caisses de Sécurité sociale et l'Allocations familiales ont été garanties à l'origine par un privilège général de l'article 2101 du Code Civil, en vertu de l'article 36 de l'ordonnance législative du 4 octobre 1945; qu'il résultait de ce texte que les Caisses devaient être colloquées par privilège sur les immeubles, sans avoir besoin de prendre inscription, aux termes de l'article 2107 du Code Civil, tel qu'il était alors rédigé;

Attendu que le principe du privilège a été maintenu par l'article 138 du décret du 10 décembre 1956, mais qu'en vertu du dernier alinéa de l'article 139 du même décret, le dit privilège est, en ce qui concerne les immeubles, transformé en hypothèque légale à compter du 1er janvier 1956, en exécution des prescriptions de l'article 15 du décret 52-22 du 4 janvier 1955;

Attendu que, de ce dernier texte, il résulte que les Caisses ont actuellement sur les immeubles de leur débiteur, non plus un privilège mais une hypothèque légale, que, d'autre part, l'article 2134 du Code Civil, tel que modifié par l'article 20 du décret du 4 janvier 1955, dispose que l'hypothèque soit légale, soit judiciaire, soit conventionnelle n'a de rang que du jour de son inscription; que par la combinaison de ces divers textes, l'U.R.S.S.A.F. est ainsi soumise à la formalité de l'inscription de son hypothèque qui prend rang au jour de ladite inscription;

Attendu que l'inscription doit être requise de la manière prévue à l'article 2148 du Code Civil, que si ce texte, en sa rédaction primitive exigeait, en tous les cas, la production du titre dont se prévalait le créancier requérant, il avait été modifié par la loi du 1er mars 1918, en ce sens notamment que les inscriptions d'hypothèques légales pouvaient être requises sans présentation de titre, que cette dispense de production du titre avait été maintenue lors de la modification apportée au texte par le décret du 4 janvier 1955 ;

Attendu que l'article 2148 a été à nouveau modifié par l'article 13 du décret 59-89 du 7 janvier 1959; qu'en son libellé actuel, après avoir posé en principe général l'exigence de la production de l'original, d'une expédition authentique ou d'un extrait littéral du jugement ou de l'acte qui donne naissance au privilège ou à l'hypothèque, il est ainsi conçu : « Peuvent être requises toutefois, sans communication de titres, les inscriptions de séparations de patrimoine établies par l'article 2111 et les inscriptions d'hypothèques légales visées à l'article 2121 1°, 2° et 3° ;

Attendu que l'article 2121, tel que modifié par le même décret, contient en sa disposition liminaire une référence aux hypothèques légales résultant d'autres codes et de lois particulières, puis institue des hypothèques légales dans cinq paragraphes numérotés; que la question posée par la présente demande est celle de l'étendue de la dispense de production de titre, l'U.R.S.S.A.F. soutenait que ladite dispense s'appliquerait non seulement aux hypothèques légales prévues par les trois alinéas numérotés de l'article 2121 énumérés dans l'article 2148 (lesquels visent les trois hypothèques légales classiques et traditionnelles sur les biens des maris, des tuteurs et des comptables publics), mais aussi aux hypothèques légales résultant d'autres codes ou de lois particulières auxquelles renvoie le début de l'article 2121;

Mais, attendu que la disposition par laquelle il est dérogé à une règle générale doit être interprétée restrictivement et que le juge ne saurait, sans arbitraire, en étendre l'application en dehors de ses termes; que notamment lorsqu'une disposition renvoie, pour fixer l'étendue d'une déclaration, à un autre article de loi, dont elle énumère certains paragraphes numérotés dans le texte, la dérogation ne peut être interprétée ni comme s'appliquant aux autres paragraphes numérotés, ni comme visant également les cas auxquels il est fait allusion, par un préambule dont le seul sens est de préciser que le législateur n'a pu entendu abroger d'autres textes; qu'ainsi la dispense de production de titre ne s'applique strictement qu'aux hypothèques légales inscrites sur les biens des maris, tuteurs et comptables publics et que toutes autres hypothèques légales ne peuvent être inscrites que sur production d'un titre, sauf autre dérogation résultant des lois spéciales qui les ont instituées;

Attendu que les arguments proposés par l'U.R.S.S.A.F., tirés de l'intérêt du service qu'elle gère, des difficultés de mise en oeuvre de l'hypothèque judiciaire qu'elle peut prendre en vertu de contraintes, de l'impossibilité pratique où elle se trouve de se procurer un titre dans la plupart des cas et du risque de fraude de la part de ses débiteurs défaillants, peuvent avoir de lege ferenda une valeur qu'il ne nous appartient les d'apprécier ici, mai ne permettent pas d'étendre la dispense au-delà de ses termes; qu'il est donc nécessaire et suffisant, pour justifier le rejet de la demande actuelle dans le cadre et par application de la législation en vigueur, de constater en droit que la loi exige la production d'un titre et en fait que l'U.R.S.S.A.F. n'a produit aucun titre au Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine à l'appui de sa réquisition d'inscription sus analysée.

Par ces motifs :

Disons qu'à bon droit le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine a prononcé le rejet de la réquisition d'inscription d'hypothèque légale déposée au non de l'U.R.S.S.A.F. le six mars 1959;

Disons en conséquence l'U.R.S.S.A.F. mal fondée en ses demandes, fins et conclusions; l'en déboutons et la condamnons aux dépens.

Observations. - I) Le premier alinéa de l'article 2148 du Code Civil a pour objet d'éviter les inscriptions abusives. Il a subi deux modifications depuis 1804.

A l'origine, il était ainsi libellé : « Pour opérer l'inscription le créancier représente, soit par lui-même, soit par un tiers, au Conservateur, l'original en brevet ou une expédition authentique du jugement ou de l'acte qui donne naissance au privilège ou à l'hypothèque »

Sous ce régime, la formalité de la représentation du titre était obligatoire quelle que soit la nature de privilèges ou des hypothèques à inscrire.

Le Conservateur devait, dans tous les cas, s'assurer de l'existence apparente du droit de ceux aux noms desquels les inscriptions étaient requises, étant donné qu'il peut être déclaré responsable s'il accepte une inscription non fondée sur un titre générateur de l'hypothèque inscrite. (Rapp. Reg. 3 janvier 1853; J. Conserv. 944).

Le texte a été modifié une première fois par l'article 1er de la loi du 1er mars 1918. La nouvelle rédaction que lui a donnée cette disposition et qui a été maintenue par l'art. 22 du décret du 4 janvier 1955 était la suivante :

« Pour opérer l'inscription, le créancier représente, soit par lui-même, soit par un tiers, au Conservateur des Hypothèques, l'original ou une expédition authentique du jugement ou de l'acte qui donne naissance au privilège ou à l'hypothèque. Peuvent être requises toutefois, sans communication du titre, les inscriptions de séparation de patrimoines établies par l'article 2111 et les inscriptions d'hypothèques légales ».

Ainsi complété, le premier alinéa de l'article 2148 maintenait l'obligation de la production du titre sauf pour deux catégories d'inscriptions, savoir :

1° les inscriptions de séparation de patrimoines établies par l'article 2111;

2° les inscriptions d'hypothèques légales. En ce qui concerne les inscriptions d'hypothèques légales, la dispense de représentation du titre était générale et s'appliquait, sauf pour quelques-unes d'entre elles régies par des textes spéciaux, à toutes les hypothèques légales sans aucune distinction.

Le 1er alinéa de l'art. 2148 a été modifié à nouveau par l'art. 13 du décret n° 59-89 du 7 janvier 1959. Il est actuellement ainsi conçu :

« Pour que l'inscription soit opérée, le créancier représente, soit par lui-même, soit par un tiers, au Conservateur des Hypothèques, l'original, une expédition authentique ou un extrait littéral du jugement ou de l'acte qui donne naissance au privilège ou à l'hypothèque. Peuvent être requises toutefois, sans communication du titre, les inscriptions de séparation de patrimoines établies par l'article 2111 et les inscriptions d'hypothèques légales visées à l'article 2121, 1°, 2° et 3° ».

De l'addition apportée, in fine, au texte en vigueur depuis le 1er mars 1918, il résulte que la dispense de production du titre cesse de s'appliquer à la généralité des hypothèques légales et ne bénéficie plus qu'à celles visées à l'article 2121, 1°, 2° et 3°.

Cet article, auquel se réfère le nouvel article 2148, est lui-même ainsi libellé, (art. 1er de l'ordonnance n° 59-71 du 7 janvier 1959. Bull. A.M.C., art. 366) :

« ART. 2121. - Indépendamment des hypothèques légales résultant d'autres codes ou de lois particulières, les droits de créances auxquels l'hypothèque légale est attribuée sont ;

« 1° ceux des femmes mariés, sur les biens de leur mari;

« 2° ceux des mineurs et interdits, sur les biens de leur tuteur;

« 3° ceux de l'Etat, des départements, des communes et des établissements publics, sur les biens des receveurs et administrateurs comptables;

« 4° ceux du légataire, sur les biens de la succession, en vertu de l'article 1017;

« 5° ceux énoncés en l'article 2101, 2°. 3°, 5°, 6°, 7° et 8°. »

II) En l'état, la question posée au Président du tribunal était de savoir comment devait être interprétée la référence de l'art. 2148 à l'art. 2121.

L'U.R.S.S.A.F. soutenait que l'expression employée par le législateur dans l'article 2148 englobait, avec les trois catégories d'hypothèques énumérées aux n° 1, 2 et 3, toutes les hypothèques légales dont il était question au début dudit article, c'est-à-dire « toutes les hypothèques légales résultant d'autres codes ou de lois particulières ».

Une telle interprétation avait peu de chances de prévaloir. Elle est en effet contraire à la lettre du texte aux termes duquel les seules hypothèques légales qui peuvent être prises sans communication du titre sont celles « visées à l'art. 2121, 1°, 2° et 3° », c'est-à-dire, celles qui sont instituées sous ces trois numéros, savoir :

1° celles des femmes mariées;

2° celles des mineurs et des interdits;

3° celles des collectivités publiques sur les biens de leurs comptables.

Les autres hypothèques légales que l'U.R.S.S.A.F. voudrait englober dans le champ de la dispense sont visées, non pas dans les trois paragraphes précités de l'art. 2121, mais dans la partie de cet article qui précède les paragraphes dont il s'agit. Prétendre que ces hypothèques légales sont également comprises dans la référence que fait à l'art. 2121 le premier alinéa de l'art. 2.148, c'est par conséquent ajouter à ce dernier texte.

Par ailleurs, si le point de vue défendu par l'U.R.S.S.A.F. était exact, il faudrait admettre, par voie de conséquence, que la modification apportée à l'article 2148 par le décret du 7 janvier 1959 a eu exclusivement pour objet de rétablir l'obligation de production du titre en ce qui concerne les seules hypothèques légales citées aux 4° et 5° de l'article 2121.

Or, si telle avait été l'intention des auteurs du nouvel article 2148, on ne comprendrait pas qu'ils l'aient exprimée avec si peu de netteté alors qu'il était si simple d'écrire clairement que pouvaient être prises sans communication du titre les hypothèques légales autres que celles visées à l'article 2121, 4° et 5°.

Enfin, il importe de remarquer que les inscriptions d'hypothèques légales visées aux n° 4 et 5 de l'article 2121 sont fort peu courantes, de telle sorte qu'il est difficile d'admettre que la modification apportée à l'article 2148 du Code Civil n'ait eu d'autre but que la réalisation d'une réforme aussi dénuée d'intérêt pratique.

En définitive, tout concours à démontrer que, comme l'a jugé le Président du Tribunal de Grande Instance de la Seine, les seules hypothèques légales qui peuvent être inscrites sans communication du titre sont, depuis l'entrée en vigueur du décret du 7 janvier 1959, celles des femmes mariées, celles des mineurs et interdits et celles des collectivités publiques sur les biens de leurs comptables.

III. - On peut dès lors tenir pour certain que, sous l'empire du nouvel article 2148 du Code Civil, les autres hypothèques, légales ne peuvent plus être inscrites sans que le requérant présente au conservateur le titre de sa créance.

Il ne sera pas toujours facile aux bénéficiaires de ces hypothèques légales de satisfaire à cette obligation. Assez souvent, en effet, ils n'auront pas de titre à présenter, leur créance étant constatée exclusivement dans leur comptabilité ou dans un autre document insuffisant pour faire preuve contre le débiteur. Ce sera le cas, par exemple, comme dans l'espèce qui a donné lieu à l'ordonnance reproduite ci-dessus, des organismes de Sécurité sociale, lorsqu'ils n'auront pas obtenu du redevable des cotisations impayées une reconnaissance écrite de sa dette. Il arrivera de ce fait que des créanciers ne pourront inscrire l'hypothèque légale garantissant leur créance.

Ainsi, pour les inscriptions des hypothèques légales autres que celles des femmes mariées, des mineurs et interdits. et des collectivités publiques, le décret du 7 janvier 1959 aura fait renaître les difficultés que soulevait l'application de l'article 2148 sous le régime antérieur à la loi du 1er mars 1918 et auxquelles cette loi avait eu précisément pour but de mettre fin.

Sans doute les conservateurs s'emploieront-ils à atténuer ces difficultés en examinant dans l'esprit le plus libéral, les justifications qui leur seront produites. Mais lorsqu'aucune pièce justificative ne pourra être produite, ils pourront difficilement faire abstraction des prescriptions légales.

On ignore quelles considérations ont animé les auteurs du décret du 7 janvier 1959. La restriction apportée par ce texte à la possibilité d'inscrire une hypothèque légale sans communication du titre ne s'expliquerait que si la dispense générale du régime antérieur avait provoqué des abus. Or, à supposer que des inscriptions abusives aient été prises, sous l'empire de l'ancien article 2148, et n'a pu être que dans des cas exceptionnels, puisqu'on n'en trouve pas trace dans les recueils de jurisprudence.

On est dès lors fondé à conclure que la modification apportée par le décret du 7 janvier 1959 au premier alinéa de l'article 2148 du Code Civil présente, en regard d'inconvénients certains, des avantages purement hypothétiques. Le retour du régime, antérieur serait éminemment souhaitable.

Annoter : C.M.L. 2° édition, n° 587.