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ARTICLE 433

RADIATION.

Faillite. - Inscription syndicale.
Jugement rapportant la faillite et ordonnant la radiation totale.
Acte notarié contenant mainlevée partielle.
Acte de mainlevée partielle seul visé dans la mention de radiation à l'exclusion du jugement.
Radiation totale justifiée.

Arrêt de la Cour d'Appel d'Angers du 25 février 1959.

La Cour,

Attendu que, par jugement du 4 avril 1950, le Tribunal de Commerce du Mans a déclaré en état de faillite Bardoulat et Moreau, négociants en voitures automobiles au Mans; qu'ils étaient associés de fait; que la faillite est celle de ladite société; que le jugement ne l'étend pas à chacun des deux associés personnellement; que Bardoulat et Moreau ont fait opposition à ce jugement le 18 avril 1950; que Moreau, payant seul de ses deniers personnels, a entièrement éteint le passif; et, qu'en l'état de ce paiement, il est intervenu le 24 juin 1952, un nouveau jugement qui, statuant sur l'opposition du 18 avril 1950, et constatant le défaut d'intérêt de la masse, a rapporté la faillite et donné mainlevée de l'hypothèque inscrite en vertu de l'article 490 du Code de commerce;

Attendu que cependant Moreau avait écrit le 17 mars 1952 au syndic X... : « Comme je paie la part de Bardoulat, il est normal que je sois subrogé dans tous les droits de ses créanciers. Je vous serais donc obligé de me faire savoir que vous prendrez toutes les dispositions pour que la subrogation dont s'agit ait lieu à mon profit »; qu'il fait grief à X... d'avoir provoqué un jugement qui ne réservait pas ses droits, et au Conservateur des hypothèques d'avoir radié l'inscription qui grevait les immeubles de Bardoulat, alors que X... avait par acte A..., notaire, du 4 juillet 1952, donné seulement mainlevée de l'hypothèque qui portait sur les immeubles de Moreau;

Mais attendu qu'en l'état du seul jugement qui, faisant droit à l'opposition des faillis, les rétablissait dans leur droit et enjoignait au Conservateur d'opérer radiation de toutes inscriptions prises par le syndic au profit de la masse, ledit Conservateur avait, non seulement le droit, mais le devoir d'opérer cette radiation sans égard au contenu de l'acte A... superflu qui ne pouvait lui apparaître qu'incomplet, alors que la rétractation de la faillite de la société de fait entraînait nécessairement, avec la remise in bonis associés, la disparition de la masse, et par voie de conséquence celle des garanties constituée à son profit et qu'ainsi Moreau ne pouvait être subrogé dans les droits qui avaient cessé d'exister; qu'ainsi X... pris en qualité de syndic n'a pas commis de faute;

Mais attendu que, par sa lettre du 17 mars 1952, Moreau lui avait donné mandat de préserver ses droits; que s'il n'a pas explicitement accepté ce mandat, la preuve de son acceptation tacite résulte suffisamment de l'exécution qu'il en a faite en faisant établir l'acte A... qui lui paraissait suffisant pour faire obstacle à la radiation de l'hypothèque Bardoulat; que cette méprise de la part d'un homme d'affaires averti, au surplus mandataire salarié, constitue une faute dont il doit réparer les conséquences; que s'agissant d'un acte étranger aux devoirs et obligations d'un syndic, X... est mal fondé à revendiquer la compétence du Tribunal de commerce;

Attendu qu'il résulte des documents mis à la cause, que Bardoulat a vendu, le 22 octobre 1955 un immeuble pour le prix de ... ; - que ledit immeuble était grevé d'une hypothèque antérieure à la faillite de ...., et que Moreau avait consenti à ce que, sur le prix de vente de cet immeuble, une créance chirographaire de ... francs soit remboursée par préférence à une tierce personne; qu'en l'absence d'hypothèque prise en faveur de Moreau, d'autres créanciers ont absorbé le surplus du prix qui eut dû revenir à Moreau; qu'ainsi le préjudice que lui a occasionné la faute de X... doit être évalué à ... :

Par ces motifs :

Infirmant le jugement entrepris; - Met le Conservateur des hypothèques du Mans hors de cause, sans dépens;

Dit que le Tribunal civil était compétent sur la demande dirigée contre X...;

Condamne celui-ci à payer à Moreau la somme de ... francs avec intérêts de droit...

Observations. - Dans l'espèce qui fait l'objet de l'arrêté ci-dessus, l'inscription prise au profit de la masse d'une faillite avait fait l'objet d'une radiation totale. La mention de la radiation visait exclusivement un acte notarié de mainlevée qui, selon le demandeur, n'autorisait qu'une radiation partielle; mais en même temps que l'expédition de l'acte notarié avait été présenté à notre collègue l'expédition d'un jugement rapportant la déclaration de faillite et ordonnant la radiation totale de l'inscription syndicale.

En l'état, la question posée à la Cour était celle de savoir si la régularité d'une radiation doit être apprécié exclusivement d'après le document énoncé dans la mention de radiation dont a été émargée l'inscription, comme l'ont décidé les premiers juges, ou, si au contraire, elle peut être établie au moyen de tout autre document.

C'est en faveur de cette seconde opinion que s'est prononcée la Cour d'Appel et sa décision doit, à notre avis, être approuvée.

Avant l'entrée en vigueur du décret du 4 janvier 1955, la forme des radiations n'était déterminée par aucun texte (V. les observations de M. Masounabe-Puyanne, président d'honneur de l'A.M.C., sous J.C.P. 1959-II-11265). En fait, l'usage s'était établi d'émarger l'inscription à radier d'une mention datée et signée et contenant une référence à l'acte ou à la décision de justice, en vertu de laquelle la radiation était opérée. Mais, du moins pour les radiations total es, cette mention dont les termes n'avaient pas à être nécessairement portés à la connaissance des tiers, n'avait que le caractère d'une annotation d'ordre intérieur dont le libellé ne pouvait servir de fondement à une action en responsabilité.

Ce dont on pouvait faire grief au Conservateur, c'était de n'avoir pas révélé dans un état l'inscription dont on contestait la radiation. Il appartenait alors au Conservateur de faire la preuve que l'inscription en cause avait bien été régulièrement radiée. S'il était en mesure d'apporter cette preuve, non pas seulement en se fondant sur l'acte ou le jugement visé dans la mention de radiation, mais par tout moyen en son pouvoir, sa responsabilité devait être dégagée. (Rappr. Cass. req. 9 janvier 1945, J.C.P. 2908; S 46-1-193, qui a jugé que, lorsque le créancier a, par sa faute, rendu inopérant le privilège, « c'est cette faute qui a été la cause du préjudice et non la radiation », bien que celle-ci ait eu lieu à tort en l'espèce en vertu d'un jugement qui n'était point passé en force de chose jugée et qui avait été infirmé en appel.)

La Cour d'Appel a certainement adopté ce point de vue, puisqu'elle ne fait aucune allusion au libellé de la mention de radiation que les premiers juges avaient pris en considération pour retenir la responsabilité de notre collègue et que, par ailleurs, elle approuve le Conservateur d'avoir opéré la radiation totale au vu de l'expédition du jugement qui lui avait été présentée, sans s'arrêter à cette circonstance que ce jugement n'était pas visé dans la mention de radiation.

Cela étant, on peut se demander si la même solution prévaudrait sous l'empire des décrets des 4 janvier et 14 octobre 1955.

D'une part, en effet, la radiation des inscriptions sous la forme de mention marginale est explicitement prévue par le nouvel article 2149 du Code Civil (art. 23 du décret du 4 janvier 1955). D'autre part, l'article 58 du décret du 14 octobre 1955 réglemente le libellé de la mention, laquelle doit comporter « une analyse sommaire de l'acte à publier ».

De ce que la mention de la radiation a une existence légale et que son contenu est déterminé par la loi, faut-il conclure que les usagers sont fondés à critiquer le libellé de cette mention ?

La question paraît devoir être résolue par la négative.

Pour l'application de l'article 2149 nouveau du Code Civil, il faut distinguer, parmi les actes qui peuvent être mentionnés en marge d'une inscription, d'une part, les mainlevées totales et, d'autre part, les autres actes.

L'analyse de ces derniers, faite en marge de l'inscription, est destinée à être reproduite dans les états à la suite de la copie ou de l'extrait de l'inscription qui en est émargée et opère ainsi une véritable publication des actes analysés.

Au contraire, la mainlevée totale mentionnée en marge d'une inscription n'est pas véritablement publiée. La mention qui en est inscrite en marge n'est pas destinée à être portée à la connaissance des usagers; elle a seulement pour effet de faire obstacle à ce que l'inscription qui en est émargée soit désormais révélée dans les états, lesquels ne doivent comprendre que les inscriptions subsistantes (art. 39 du décret du 14 octobre 1955), c'est-à-dire les inscriptions non radiées ni périmées. (Jacquet, Traité des Etats Hypothécaires n 218 )

Sous le nouveau régime, comme sous l'ancien, la mention de radiation totale demeure par conséquent une annotation de caractère interne dont le libellé ne peut, à lui seul, servir de base à une action en justice contre le Conservateur.

Annoter : C.M.L. 2° éd. n° 969 et 1055; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 61, page 46, et V. faillite et liquidation judiciaire, n° 40, page 165.