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ARTICLE 434

PROCEDURE. - RADIATION .

I. - Demande en radiation. Juge des référés. Incompétence.

II. - Litige entre parties. - Mise en cause du Conservateur. - Absence de grief contre lui. - Irrecevabilité.

Jugement de référé du Tribunal de Narbonne du 18 décembre 1958.

Attendu que sur ordonnance du 25 septembre 1958, le Tribunal se trouve saisi d'une demande formée par Maraval aux fins de radiation de deux hypothèques inscrites, le 27 mai 1958, en vertu d'un exécutoire de dépens, signifié le 19 mai 1958, à la requête des sieurs Andrieu et Cambriels, séquestres judiciaires;

Attendu que ces derniers soutiennent que le Juge des référés est incompétent;

Attendu que le Conservateur des, Hypothèques de N..., appelé à l'instance par Maraval, conclut à sa mise hors de cause et reconventionnellement demande la condamnation de Maraval à lui payer la somme de 10.000 francs à titre de dommages-intérêts;

Attendu que si les difficultés relatives à la taxe des frais et dépens engagés par les auxiliaires de justice ne relèvent pas du juge des référés, celles qui découlent de l'exécution des titres exécutoires sont néanmoins de sa compétence; que le litige actuel est dès lors susceptible d'être soumis à l'appréciation du juge des référés, la radiation sollicitée constituant en effet une difficulté d'exécution découlant du titre exécutoire que constitue l'exécutoire des dépens en vertu duquel les hypothèques ont été inscrits;

Attendu qu'il est constant que l'exécutoire signifié le 19 mai 1958 n'a pas été frappé d'opposition dans le délai légal de trois jours fixé par l'article 6 du deuxième décret du 16 février 1807, texte applicable en matière de taxe des actes des auxiliaires occasionnels de justice tels que les séquestres judiciaires;

Qu'en l'état, l'opposition formée par Maraval se heurte au caractère définitif du titre en vertu duquel les inscriptions ont été prises ;

Attendu que le Conservateur des Hypothèques ne justifiant d'aucun préjudice certain découlant de la présente instance, sa demande en dommages-intérêts doit être rejetée,

Par ces motifs, le Tribunal, vu le rapport écrit de M. Ibos, juge, qui en a donné lecture, à l'audience, le Ministère public entendu, après en avoir délibéré en secret, jugeant publiquement, contradictoirement, en matière de référé;

Déclare irrecevable l'opposition de Maraval.

Déboute le Conservateur des Hypothèques de sa demande en dommages-intérêts;

Condamne Maraval aux entiers dépens dont distraction au profit de M Maurel, avoué, sur son affirmation de droit.

Ainsi jugé et prononcé les jour, mois et an que dessus et M. le Président a signé avec le greffier.

Observations. - I) Le juge des référés ne peut rendre que des décisions provisoires et ses ordonnances ne peuvent préjudicier au principal (art. 809 C. Procédure civile). Il en résulte que, s'il est compétent pour statuer provisoirement sur les difficultés relatives à l'exécution d'un titre exécutoire, (cf. art. 806 C. Procédure civile), il n'a pas qualité pour ordonner la radiation d'une inscription hypothécaire, Garsonnet et Cezar, Bru, 3° éd., t. 8, n° 193 (Lyon, 21 avril 1882, D.P. 83.272; S. 83-2-158). Cette mesure a, en effet, un caractère définitif, au moins à l'égard des créanciers qui s'inscriraient postérieurement à la radiation, étant donné que, ceux-ci ne pourraient en aucun cas se voir opposer la créance conservée par l'inscription indûment radiée si elle venait à être rétablie après qu'ils se seraient inscrits. (Aubry et Rau, 6 éd., t. III, § 281 in fine; Planiol, Ripert et Becqué, t. XIII n° 863; Beudant, t. n° 1055; Garsonnet et Cezar-Bru, 3° éd., t. 6, n° 162; Dalloz, Rép. prat. V° Privilèges et Hypothèques n° 1530; Cass. req. 9 décembre 1846, D.P. 47-1-298, S. 96-1-481, R.H. 1556; Cass. civ. 31 décembre 1895, D.P. 96-1-257, S. 98-1-211, R.H. 1735, V. ég. Bull. A.M.C., art. 27.)

Les pouvoirs du tribunal sont soumis aux mêmes limitations lorsque, à la suite du renvoi de, l'affaire à l'audience (décret du 30 mars 1808, art. 60), il statue comme juge des référés, (Rousseau et Laisney. V° Référés, n° 16, 214 et 215; Garsonnet et Cézar-Bru, 3° éd., t. 8, n° 214 et 219).

Au cas particulier, le tribunal statuant en matière de référé, était peut-être compétent pour apprécier si le demandeur avait ou non formé en temps utile son opposition à l'exécutoire de dépens qui lui avait été signifié. Mais il n'avait pas éventuellement le pouvoir d'ordonner la radiation de l'inscription qui avait été prise en vertu de cet exécutoire.

En fait, ayant déclaré irrecevable l'opposition à l'exécutoire, il n'a pas eu à ordonner cette radiation. Mais l'eût-il fait que le conservateur n'aurait pu opérer cette formalité.

Sans doute, en règle générale, le conservateur des hypothèques requis d'opérer une radiation ordonnée par un jugement n'a-t-il pas à rechercher si cette décision a été rendue par un juge compétent. La raison en est que l'autorité de la chose jugée attache aux décisions de justice une présomption de régularité qui ne peut être détruite que par la rétractation de la décision sur opposition ou sa réformation sur appel, de telle sorte que lorsque le jugement n'est plus susceptible d'opposition ou d'appel, il doit être réputé régulier et exécuté comme tel.

La situation est différente lorsqu'il s'agit d'une ordonnance ou d'un jugement de référé. Une telle décision, qui statue à titre provisoire et peut être modifiée par le juge du fond ou même, dans certains cas, par le juge qui l'a rendue, n'a pas l'autorité de la chose jugée. (Cass. 28 juin 1892, Sir. 93-1-415; Cass. 7 novembre 1899, Sir. I-1900-1-327; Garsonnet et Cézar-Bru, tome 8, n° 191, note 41, et n° 215, 3°.) Dès lors, sa régularité ne se présume plus que celle de toute autre pièce justificative et le conservateur auquel elle est présentée en vue d'une radiation a le devoir de s'assurer qu'elle est régulière et est par suite fondé à opposer la nullité dont elle est affectée du fait que le juge des référés a statué sur une demande échappant à sa compétence.

Les observations qui précèdent ne s'appliquent pas aux ordonnances rendues en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure civile (loi n° 55-1475 du 12 novembre 1955, modifiée par la loi n° 57-115 du 6 février 1957; Bull. A.M.C., art. 237 et 282) qui habilitent le président du tribunal de grande instance ou le juge d'instance dans certains cas limitativement déterminés, à ordonner la radiation d'une inscription hypothécaire. Ces ordonnances ont le caractère d'un véritable jugement et doivent être exécutées par le conservateur lorsqu'elles sont devenues définitives (V. Bull. A.M.C., art. 385).

Il en est de même en ce qui concerne les ordonnances rendues par le président du tribunal de grande instance, statuant " comme en matière de référé ", au cas de rejet par le conservateur d'une formalité de publicité. Aux termes de l'art. 26 (auquel se réfère par ailleurs l'art. 34-3) du décret du 4 janvier 1955, la formalité litigieuse ne peut être exécutée que lorsque l'ordonnance est passée en force de chose jugée.

II) Il a été jugé à plusieurs reprises que le conservateur ne peut être appelé à intervenir dans une instance en radiation entre parties que si celles-ci ont un grief à formuler contre lui; lorsqu'il est assigné exclusivement pour qu'il soit statué en sa présence sur le litige entre parties, lequel lui est alors étranger, il doit être mis en hors de cause (C. de Caen, 25 juillet 1938, J. Cons. 12252; C. d'Aix-en-Provence, 13 janvier 1949, J.P.C. 1949-II-4814, Jour. Not., art. 42811 ; Trib. de Bordeaux, 22 décembre 1949, Bull. A.M.C., art. 7; Trib. de Toulon, 20 juin 1951, Bull. A.M.C., art. 93; C. de Riom, 14 janvier 1952, Bull. A.M.C., art. 123; C. de Rennes, 24 mars 1958, Bull. A.M.C., art. 353).

Dans l'espèce actuelle, le juge n'a pas prononcé explicitement la mise hors de cause demandée par notre collègue; il a cependant admis implicitement le bien-fondé de la demande, puisqu'il a statué, d'ailleurs pour la rejeter, sur l'action en dommages-intérêts basée sur l'appel en cause injustifié, en fondant sa décision, non pas sur le caractère légitime de cet appel en cause, mais sur l'absence de préjudice.

Le tribunal a estimé en effet que la mise en cause non justifiée du conservateur n'était pas génératrice à elle seule d'un préjudice. Précédemment, d'autres juridictions avaient statué en sens contraire (C. de Caen, 25 juillet 1938, précité; C. d'Aix-en-Provence, 13 janvier 1949, précité; Trib. de Toulon, 20 juin 1951, précité; Sétif, 26 février 1957, Bull. A.M.C., art. 308).

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 26, page 400, et n° 57, page 434; C.M.L. 2° éd. n° 1361-4°, 2048 et 2052.