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ARTICLE 471

PROCEDURE.

I. - Litige entre parties. - Mise en cause du Conservateur. - Irrecevabilité

II. - Décision de justice ordonnant la radiation. Exécution provisoire impossible.

ORDONNANCE DU PRESIDENT
DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA SEINE
DU 4 AVRIL 1960.

Attendu que par notre ordonnance en date du 5 février 1959. Larroque, Morena et Trannoy ont été autorisés à prendre l'inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, en application des dispositions de l'article 54 du Code de Procédure Civile sur un terrain sis à Paris, rue..., appartenant à la Société Civile Immobilière du..., ainsi que sur les constructions pouvant être édifiées sur ledit terrain, et ce, pour sûreté et avoir paiement de la somme de..., à laquelle a été évaluée provisoirement leur créance contre ladite société. Attendu que cette hypothèque a été inscrite au huitième Bureau des Hypothèques de la Seine, le 17 février 1959, Vol. 1484, n° 15. Attendu que suivant exploit du 21 mars 1960, la Société Immobilière du... a fait assigner devant nous, Larroque, Morena et Trannoy, ainsi que le Conservateur du 8° Bureau des hypothèques de la Seine aux fins de cantonnement des effets de l'inscription d'hypothèque dont s'agit.

Attendu que le Conservateur des Hypothèques demande sa mise hors de cause au motif qu'il n'a aucun intérêt personnel dans le présent litige. Qu'il demande, d'autre part, acte de ses réserves pour le cas où l'exécution provisoire de la décision à intervenir serait ordonnée à son égard.

Attendu que le Conservateur des Hypothèques est un fonctionnaire ayant pour mission d'assurer, dans les conditions prévues par la loi, la publicité des droits réels immobiliers. Qu'à ce titre, il reste un tiers à l'égard des parties qui requièrent son intervention et ne peut donc, hors le cas où une faute lui serait imputée, être mis en cause dans les litiges nés à l'occasion de formalités accomplies par ses soins.

Attendu, au surplus, que s'agissant de la radiation d'inscription hypothécaire, il résulte de l'article 2157 du Code Civil et de l'article 548 du Code de Procédure Civile qu'une telle formalité ne peut être effectuée, comme toute opération incombant à un tiers, qu'en vertu d'une décision de Justice passée en force de chose jugée; que cette prescription s'applique même dans le cas où la décision judiciaire considérée est exécutoire par provision à l'égard des parties. Qu'il n'appartient donc pas au demandeur d'éluder cette prescription impérative en mettant en cause le conservateur des Hypothèques.

Attendu qu'il échet, en conséquence, de mettre hors de cause ledit conservateur ; qu'il ne saurait donc lui être donné l'acte par lui sollicité ; attendu, sur la demande de cantonnement, qu'il échet de faire application, en l'espèce, des dispositions de l'article 50 du Code de Procédure Civile, auquel se réfère l'article 55 du même Code. Qu'il y a urgence.

Par ces motifs : Mettons le Conservateur des Hypothèques hors de cause. Disons que moyennant la consignation entre les mains de... avoué, qui en est constitué séquestre, avec affectation spéciale à la garantie de la créance contestée de : Larroque, Morena et Trannoy, de la somme de..., la Société Civile Immobilière du.... sera autorisée à requérir du Conservateur du 8° Bureau des Hypothèques de la Seine, sur le vu de la signification de la présente ordonnance et de la quittance de consignation, la radiation de l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire prise audit bureau le 17 février 1959, vol. 1484, n° 15. Disons que le séquestre déposera la somme consignée à la Caisse des Dépôts et Consignations à un compte spécial à ouvrir au nom de la Société Civile Immobilière du..., et que seul il pourra en effectuer le retrait et encore avec notre autorisation. Ce qui sera exécutoire par provision nonobstant appel sur minute et avant enregistrement vu l'urgence.

Observations. - Rapp Bull. A.M.C., art. 244, 353, 385 et 434.

Dans les conclusions qu'il a présentées pour sa défense, notre collègue a rappelé, dans les termes suivants, les principes qui régissent la matière.

§ I. - Le Conservateur des Hypothèques est sans qualité pour défendre à une action en radiation et cette action doit être dirigée exclusivement contre le titulaire de l'inscription;

Ce fonctionnaire ne participe, en effet, à l'inscription. comme agent de la volonté des parties, que dans les conditions fixées par la loi et il demeure absolument étranger à l'intérêt que cette inscription révèle aux tiers.

N'ayant aucun intérêt à la radiation ou au maintien de l'inscription, il est sans qualité pour acquiescer à la demande ou y contredire.

(Cass. 6 décembre 1859. Journal des Conservateurs n° 1542. - Seine 23 avril 1885 et, sur appel, C. Paris 7 août 1885. Journal de l'Enregistrement n° 22-628 Seine 16 mars 1897. - Journal des Conservateurs n° 5145).

En tant qu'elle est dirigée contre le Conservateur. la demande est donc irrecevable et il y a lieu de prononcer sa mise hors de cause pure et simple.

§ II. - Le Conservateur fait par ailleurs les plus expresses réserves sur l'exécution provisoire de l'ordonnance à intervenir " nonobstant appel, sur minute " pour le cas où il serait fait droit à la demande de la Société Civile Immobilière du 72, rue Saint-Charles, à l'encontre de MM. Larroque. Morena et Trannoy.

En droit, cette exécution provisoire se heurterait à la loi hypothécaire qui exige pour la radiation non consentie un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée (C. Civ. art. 2157), ce qui est formellement exclusif de tout jugement provisoire (Cf. Bordeaux, 31 décembre 1895, D. 1897-I-97; Cass. civ. 9 mai 1922. D. 1925-1-158, et Seine, 18 juillet 1950, J.C.P. 50 2.5780; Journal des Notaires 43441), ainsi qu'aux prescriptions du Code de Procédure Civile qui subordonnent expressément l'exécution d'un jugement par les tiers - et spécialement " la radiation d'inscription hypothécaire " - à l'expiration des délais d'opposition et d'appel et au dépôt des certificats de signification et de non-opposition et appel (art. 548 et s.).

Dans la procédure spéciale prévue par l'article 54 de ce Code et qui s'apparente étroitement à celle du référé, ledit article précise sans ambiguïté que la mainlevée " de l'inscription provisoire sera donnée par le magistrat qui aura autorisé ladite inscription et (que) la radiation en sera opérée sur le dépôt de son ordonnance passé en force de chose jugée ".

L'exécution provisoire ne peut davantage être ordonnée dans le cadre de l'article 135 a du Code de Procédure Civile puisque celui-ci l'interdit lorsqu'elle est exclue par la nature de l'affaire (Cf. Cass. civ. 26 juillet 1948, D. 1948.566) et que, même avant la modification de ce texte par la loi du 23 mai 1942, il avait été reconnu que l'exécution provisoire des jugements ordonnant une radiation était incompatible avec le caractère définitif de la radiation en ce sens que, même rétablie, elle ne revit pas de plein droit et qu'une radiation prématurée peut avoir occasionné au créancier un préjudice irréparable (Cass. civ. 26 juin 1895: D. 1896-I-548; J. des Conservateurs 5850; 31 décembre 1895. D. 1896-I-257. Voir note sous Aix, 21 juillet 1953, J.C.P. 1954-II-7932).

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 1372 et 2048; - Jacquet et Vétillard, V° jugement de radiation, n° 43, page 421, et 57, page 434.