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ARTICLE 490

CAUTIONNEMENT DES CONSERVATEURS.

Actions des sociétés d'investissements.

ARRET DU CONSEIL D'ETAT DU 18 MAI 1960.

" Le Conseil d'Etat, statuant au contentieux (section du contentieux, 3° et 4° sous-sections réunies) ;

" Sur le rapport de la 4° sous-section de la section du contentieux :

" Vu la requête présentée par le sieur R..., conservateur au ...° Bureau des Hypothèques de la Seine, 35, rue du Plateau, à Paris (19°), et par l'Association Mutuelle des Conservateurs des Hypothèques de France et de l'Union Française, dont le siège est à Paris, 35, rue du Plateau, agissant poursuites et diligences de son président en exercice ; ladite requête enregistrée le 22 juin 1959 au secrétariat du contentieux du Conseil d'Etat et tenant à ce qu'il plaise au Conseil annuler le jugement en date du 20 janvier 1959, par lequel le Tribunal .administratif de Paris a rejeté leur demande d'annuler la décision du chef du contentieux agent judiciaire du Trésor public, en date du 15 février 1954, refusant d'accepter des actions de la Société Nationale d'Investissement en constitution du supplément de cautionnement du sieur R.... ensemble annuler ladite décision ;

" Vu les autres pièces produites et jointes au dossier ;

" Vu la loi du 3 février 1953 :

" Vu la loi du 25 février 1953 ;

" Vu le décret du 21 mai 1953 ;

" Vu l'ordonnance du 31 juillet 1945 ;

"Vu le décret du 30 septembre 1953 ;

" Ouï M. Legratte, maître des requêtes, en son ressort ;

" Ouï M. Fournier, maître des requêtes, commissaire du Gouvernement, en ses conclusions ;

" Considérant qu'en vertu de l'article 2 du décret du 21 mai 1953 pris en application de l'article 20 de la loi de finances du 3 février 1953, les cautionnements auxquels sont assujettis les conservateurs et receveurs-conservateurs des hypothèques doivent être constitués en immeubles, en rentes sur l'Etat en numéraire ;

" Considérant qu'au terme de l'article 15 de la loi du 25 février 1953, " les actions des sociétés d'investissement constituées en exécution de l'ordonnance du 2 novembre 1945 et des textes subséquents pourront servir d'emploi et de remploi des fonds des incapables, des femmes mariées quel que soit leur régime matrimonial et, en général, de tous particuliers autorisés ou obligés à convertir leurs capitaux en rentes sur l'Etat ou autres valeurs mobilières françaises ou étrangères, ou en achat d'immeubles, que cette obligation résulte de la loi, d'un jugement, d'un contrat ou d'une disposition à titre gratuit entre vifs ou testamentaire, à moins de clause contraire " ; que les requérants soutiennent que la disposition précitée, combinée avec celle de l'article 2 du décret du 21 mai 1953, autorise les conservateurs des hypothèques à constituer les cautionnements auxquels ils sont tenus en actions des sociétés d'investissement ;

" Considérant qu'il résulte des termes mêmes de l'article 15 sus-rappelé de la loi du 25 février 1953 que cette disposition ne concerne que les emplois et remplois de fonds des incapables, des femmes mariées, et en général de tous particuliers; qu'elle ne saurait recevoir application à l'égard de la constitution de cautionnements, qui n'a pas elle-même le caractère d'un emploi ou remploi de fonds, ni à l'égard d'agents publics comme les conservateurs des hypothèques ;

" Considérant dès lors que les requérants ne sont pas fondés à soutenir que l'agent judiciaire du Trésor, en refusant d'autoriser le sieur R..., conservateur des hypothèques, à constituer le cautionnement auquel il était tenu en actions de la Société Nationale d'Investissement, aurait méconnu la portée des dispositions précitées, ni, par voie de conséquence, à demander l'annulation du jugement du Tribunal administratif de Paris rejetant la demande qu'ils avaient introduite à l'encontre de cette décision de refus,

" DECIDE :

" ARTICLE PREMIER. - La requête susvisée du sieur R... et de l'Association Mutuelle des Conservateurs des Hypothèques de France et de l'Union Française est rejetée.

" ART. 2. - Expédition de la présente décision sera transmise au Ministre des Finances et des Affaires économiques.

" Délibéré dans la séance du 4 mai 1960 où siégeaient : MM. Laroque, président adjoint de la section du contentieux, président; Lefas, Bodard, présidents de sous-sections; Lavagne, Potier, Méjan, conseillers d'Etat, et Lagatte, maître des requêtes-rapporteur.

" Lu en séance publique le 18 mai 1960. "

Observations. - Le jugement du Tribunal administratif de Paris du 20 janvier 1959 (Bull. A.M.C., art. 406) avait refusé aux conservateurs le droit de se prévaloir des dispositions de l'art. 15 de la loi du 25 février 1953 (Bull. A.M.C., art. 146) pour constituer leur cautionnement en actions des sociétés d'investissement, pour ce motif que la constitution d'un cautionnement est une opération différente de la conversion de capitaux visée par le texte précité.

L'arrêt du Conseil d'Etat du 18 mai 1960 qui rejette le pourvoi formé contre le jugement reprend, en premier lieu, ce motif lorsqu'il constate que la constitution d'un cautionnement " n'a pas elle-même le caractère d'un emploi ou remploi de fonds ".

lors de la publication d'un jugement du Tribunal administratif de Lyon du 16 février 1955, statuant dans le même sens (Bull. A.M.C., art. 229), il a déjà été expliqué pourquoi ce motif ne paraissait pas justifié.

L'arrêt du Conseil d'Etat fait valoir un second motif : les " agents publics comme les conservateurs des hypothèques " n'entreraient pas dans la catégorie des " particuliers " auxquels s'applique l'art. 15 de la loi du 25 février 1953 "

Ce second motif ne parait pas mieux fondé.

Le conservateur des hypothèques est un " agent public " lorsqu'il accomplit les formalités hypothécaires, puisque l'exécution de ces formalités sort du cadre de l'activité d'un simple particulier et nécessite une délégation de la puissance publique. Mais il en est autrement lorsqu'il constitue son cautionnement : ce qui est alors en cause, c'est une fraction de son patrimoine personnel et en disposant pour l'affecter à la garantie des usagers du service hypothécaire, il agit dans la limite des pouvoirs d'un simple particulier.

Quoiqu'il en soit, en présence de l'arrêt du Conseil d'Etat du 18 mai 1960, les conservateurs sont, en l'état actuel de la législation, définitivement privés de la possibilité d'affecter leur cautionnement des actions de sociétés d'investissement.

On est d'autant plus fondé à le regretter que l'interprétation que l'A.M.C. a tenté de faire prévaloir était conforme, non seulement à la lettre du texte, comme nous persistons à le penser, mais aussi à l'intention de ses auteurs, puisque le but recherche était de donner une sécurité accrue aux capitaux dont l'emploi était réglementé et que, pour ce qui concerne spécialement les capitaux affectés aux cautionnements des conservateurs des hypothèques, le surcroît de sécurité que leur aurait procuré leur emploi en actions des sociétés d'investissement aurait servi l'intérêt commun des conservateurs et des usagers du service hypothécaire