Retour

ARTICLE 516

PROCEDURE.

I. - Assignation impersonnelle.
Conservateur identifié par l'indication précise de sa qualité.
Exploit effectivement reçu en copie par le destinataire.
Absence de préjudice. - Validité.

II. -Litige entre parties. - Mise en cause du conservateur.
Absence de grief contre lui. - Irrecevabilité.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BELFORT DU 3 AVRIL 1962.

Entre : M. Clément Michalland, agent immobilier, demeurant à Cannes (A.-M.) 73, avenue de Lérins. Défendeur au principal. Demandeur à l'incident comparant et concluant par M° Emile Gehant, avoué, plaidant M° René Gehant, avocat.

Et : les époux Bourgeat-Michalland, exploitants forestiers, demeurant à Sail-sous-Couzan (Loire). Demandeurs au principal. Défendeurs à l'incident comparant et concluant par M° Robert Jaccaz, avo, plaidant ledit M° Jaccaz, à la décharge de M° Gonin, avocat, à Montbrison.

Et encore entre : M. Clément Michalland, agent immobilier, demeurant à Cannes (A.-M.). Demandeur en déclaration de jugement commun comparant et concluant par Emile Gehant, avoué, plaidant M° René Gehant avocat.

Et : M. Jean Etienne Venries de Laguillaumie, conservateur des hypothèques, demeurant à Grasse, à la Conservation des Hypothèques, défendeur en déclaration de jugement commun comparant et concluant par M° Pierre Gspann, avoué.

Ouï à l'audience publique civile du vingt mars dernier les parties en leurs conclusions, Mme Rozet, juge, en la lecture de son rapport et les parties en leurs plaidoiries.

Ouï également M. le Procureur de la République en ses conclusions.

Attendu que par ordonnance rendue le 17 décembre 1959, sur requête de Denise Michalland, épouse Bourgeat, celle-ci a été autorisée à faire saisir conservatoirement entre les mains de M° R..., notaire à B..., les sommes détenues par celui-ci pour le compte de Clément Michalland, représentant partie du prix de vente d'un fonds de commerce " Grand Hôtel et Tonneau d'Or ", à Belfort.

Qu'une somme de 70.000 NF a ainsi été saisie conservatoirement.

Attendu que sur la demande en Validité de cette saisie le Tribunal de céans, par jugement du 3 juin 1960, faisant droit aux conclusions de Clément Michalland qui arguait du grave préjudice que lui causait le blocage de ces fonds et offrait pour en obtenir à Cannes (sic), a ordonné que la saisie conservatoire ordonnée en application de l'art. 48, C. Pr. civ., serait convertie purement et simplement en une inscription provisoire d'hypothèque judiciaire, dans les conditions et formes de l'art. 54, C. Pr. civ., sur les locaux et droits immobiliers du sieur Cément Michalland, sis à C...

Qu'il était précisé que, faute par les époux Bourgeat d'avoir procédé à l'inscription provisoire d'hypothèque dans le mois du prononcé du jugement, la saisie conservatoire serait levée de plein droit, sans autre formalité.

Attendu que cette saisie fut levée le 16 juillet 1960, et que les époux Bourgeat ne firent inscrire que le 17 novembre 1960, l'hypothèque provisoire sur les registres de la Conservation des Hypothèques de Grasse, volume 1297, 10.

Attendu que, par conclusions d'incident du 16 octobre 1961, Clément Michalland sollicite la radiation de ,cette inscription, qu'il soutient à cette fin, que celle-ci n'avait été autorisée que pur remplacer l saisie conservatoire antérieurement pratiquée ne pouvait être prise que dans le délai d'un mois imparti par jugement, passé le quel délai la saisie levée de plein droit ne pouvait et n'avait plus à être remplacée. Que l'inscription a donc été prise à tort.

Attendu que, par exploit du 21 octobre de M° C..., huissier à Grasse, Clément Michalland a donné assignation à M. le Conservateur des Hypothèques de Grasse, aux fins d'intervention de celui-ci et de déclaration de jugement commun.

Attendu que dans l'intérêt d'une meilleure administration de la justice, il y a lieu d'ordonner la jonction de l'appel en déclaration de jugement commun à l'instance principale, pour être statué par un seul et même jugement.

Attendu que les époux Bourgeat, défendeurs, concluant à l'irrecevabilité de la demande adverse, juridiquement non fondée et sollicite la condamnation du demandeur au paiement d'une somme de 1.000 NF de dommages-intérêts considérant que l'interprétation tendancieuse et abusive qu'il fit des termes du jugement, et qui les oblige à des frais inutiles leur cause un préjudice.

Attendu que M. Venries de Laguittaumie, conservateur des hypothèques, à Grasse, conclut à la nullité de l'assignation impersonnelle qui lui a été délivrée, et, subsidiairement à sa mise hors de cause.

Attendu au fond : que la demande de Clément Michalland ne saurait être accueillie.

Qu'il est essentiel, pour l'apprécier, de se reporter au jugement du 15 juin 1960, et singulièrement au motif ci-après, soutien nécessaire du dispositif " qu'il échet, en conséquence, considérant par ailleurs la gêne et le préjudice causé au défendeur par l'immobilisation des importants capitaux lui revenant de faire droit à son offre de garantie hypothécaire, qui constitue une protection suffisante des intérêts éventuels de la demanderesse. "

Attendu qu'indépendamment du jugement que permettrait de porter sur la bonne foi de Clément Michalland, le rappel du fait que c'est lui-même qui a offert la garantie hypothécaire dont il demande aujourd'hui la radiation, les termes ci-relevés énoncent clairement que le Tribunal a entendu accorder aux époux Bourgeat, une garantie aussi effective que celle donnée par la saisie à laquelle il la substituait expressément.

Qu'en scifiant que faute d'inscription dans un délai d'un mois la saisie serait levée de plein droit, le Tribunal n'a pu avoir et n'a eu d'autre but que de protéger Michalland contre une éventuelle négligence des époux Bourgeat qui auraient pu, en ne faisant pas diligence, retarder la mise à disposition de leur frère et beau-frère, des sommes dont il prétendait avoir grand et urgent besoin.

Qu'il est bien évident que le tribunal n'a pu dire et n'a pas dit que, faute d'y procéder dans le délai d'un mois, les époux Bourgeat ne seraient plus recevables à faire inscrire l'hypothèque qui leur était conférée, que le fait que celle-ci n'ait été inscrite à Grasse qu'en novembre 1960 n'est nullement contraire à l'esprit comme à la lettre du jugement non plus qu'aux principes généraux du droit.

Sur l'action en intervention et déclaration de jugement commun :

Attendu qu'aux termes de l'art. 173, C. P. civ., aucune nullité d'exploit ne pourra être admise que s'il est justifié qu'elle nuit aux intérêts de la partie adverse, qu'en l'espèce, il est constant que l'assignation signifiée à M. le Conservateur des Hypothèques, à Grasse, sans indication du patronyme de celui-ci, a été effectivement remise en copie par son employée, à M. Venries de Laguillaumie, qui ne saurait utilement prétendre que l'impersonnalité de cet exploit a vrai dire suffisamment personnalisé par la qualification précise du destinataire - nuit à ses intérêts.

Qu'en conséquence, il n'y a pas lieu d'en prononcer la nullité.

Que par contre, aucune faute ou négligence susceptible de justifier sa mise en cause n'étant alléguée, il échet de prononcer la mise hors de cause pure et simple du Conservateur appelé à tort dans un litige où il n'avait que faire. ,

Sur la demande en dommages-intérêts : attendu que la demande de Clément Michalland, procédant d'un raisonnement si tendancieux qu'il confine à la mauvaise foi, il est équitable d'allouer aux époux Bourgeat, en réparation du préjudice que leur cause l'obligation où il les a mis d'ester en justice, une somme de 250 NF à titre de dommages-intérêts.

Attendu que la partie qui succombe doit supporter les dépens.

Par ces motifs : Le Tribunal :

Rejetant toutes prétentions contraires ou plus amples des parties, ordonne la jonction de l'appel en déclaration de jugement enrôlé sous le n° 121 à l'instance principale elle-même enrôlé sous le n° 114.

Dit et juge que l'inscription d'hypothèque judiciaire conférée aux époux Bourgeat-Michalland sur l'immeuble sis à Cannes, appartenant à Clément Michalland, a été valablement prise le 17 novembre 1960, à la Conservation des Hypothèques de Grasse, dépôt 3911, volume 1297, 10.

Dit et juge irrecevable et mal fondée la demande de .Clément Michalland tendant à obtenir radiation, l'en déboute.

Condamne Clément Michalland à payer aux époux Bourgeat-Michalland, en réparation du préjudice que leur cause sa procédure abusive la somme de deux cent cinquante nouveaux francs.

Prononce la mise hors de cause de M. Venries de Laguillaumie, conservateur des hypothèques de Grasse.

Condamne Clément Michalland aux entiers dépens.

Observations. - En mettant hors de cause notre collègue parce qu'il était appelé à tort dans un litige où il n'avait que faire, puisqu'il n'avait commis aucune faute ou négligence susceptible de justifier son assignation, le jugement ci-dessus s'ajoute aux nombreuses décisions qui expressément ou implicitement ont jugé dans le même sens. (Voir les décisions citées sous Paris, 27 mars 1962. Bull. A.M.C., art. 515).

Par contre, le jugement ne peut être approuvé si, comme il semble, pour refuser au conservateur les dommages-intérêts qu'il demandait, il décide que l'assignation impersonnelle ne lui a porté aucun préjudice et que l'art. 173, C. P. civ., interdit, dans ce cas, de prononcer la nullité. Il est exact que cet article subordonne la nullité d'un exploit à la condition qu'il soit " justifié qu'elle nuit aux intérêts de la partie " qui l'invoque.

Mais, dans l'opinion qui prévaut, cet article n'est pas applicable lorsque la nullité est substantielle (Hébraud, s/Lyon, 12 oct.1961, D. 62-43; Nouv. Rép. Dalloz, v. Procédure, n° 16). Dans ce cas, la partie qui invoque l'exception de nullité n'a pas à justifier d'un préjudice et les juges n'ont pas à le rechercher (Cass. Req. 30 janv. 1939, D. 391-45; Cass. civ. 3 mars 1955, J.C.P. 8.654; Paris 25 avril 1 959, D. 59, somm. 99; Lyon, précité). Le caractère substantiel étant attaché dans un acte de procédure à ce qui tient à sa raison d'être et qui lui est indispensable pour remplir son objet (Cass. civ., 12 décembre 1956, J.C.P. 9.776, T.D. 57.389 et note Hébraud; Amiens, 2 décembre 1959, D. 60, somm., 32) l'assignation impersonnelle du conservateur des hypothèques à l'occasion d'un litige étranger à une question fiscale, remplit ces conditions.

Qu'elle soit fondée sur l'article 69, C. P. civ. (ce que justifierait la demande de visa) ou sur l'article 61, C. P. civ.; parce que l'indication de la qualité suffirait pour identifier un fonctionnaire, l'assignation impersonnelle ne permet point de connaître la personne qui a la qualité processuelle nécessaire pour que la décision puisse avoir à l'égard du conservateur qui devra l'exécuter, la force de chose jugée (V. étude Masounabe-Puyanne, J.C.P., 62-1-1.702, 9 et s). Dans le premier cas, elle n'a pas de raison d'être; dans les deux cas, elle ne remplit pas son objet.

Annoter : C.M.L. 2.042 et 2.048, Jacquet et Vétillard, p. 434, no 59.