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ARTICLE 528

PROCEDURE.

Litige entre parties. - Mise en cause du conservateur.
Absence de grief contre lui. - Irrecevabilité.

INSCRIPTIONS.

Hypothèque judiciaire provisoire.
Ordonnance autorisant une inscription contre une société civile.
Inscription prise contre une société anonyme ayant la même dénomination.
Activité des deux sociétés confondues. - Régularité.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (2° CHAMBRE) DU 26 JUIN 1962.

La Cour...:

Statuant sur l'appel, régulièrement interjeté par Lestani d'un jugement rendu le 5 juillet 1960 par le Tribunal de Grande Instance de la Seine sur assignation de Chauvet contre : 1° Lestani; 2° La Société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse; 3° La Société Civile de Construction Bienvenue Montparnasse; 4° Monsieur le Conservateur du 8° Bureau des Hypothèques de la Seine et ensemble sur l'appel incident de Chauvet;

Considérant que Chauvet, propriétaire de 37 actions de la Société Anonyme précitée composant le lot 16 de l'actif de cette société, s'est vu attribuer, après sa dissolution et annulation de ces actions, l'appartement sis à Paris, 12, rue de l'Arrivée, correspondant à ce lot, par acte notarié du 28 juin 1957;

Que lors de la publication faite le 11 octobre 1957, il constata qu'une inscription d'hypothèque: judiciaire avait été prise sur l'appartement le 7 septembre 1957, en vertu d une ordonnance du Président du Tribunal civil de la Seine en date du 3 septembre 1957, par Lestani, en tant que créancier de 1.771.966 francs et de 13.575.000 francs de la société Anonyme;

Que, par le jugement dont appel, le Tribunal a fait droit à sa demande en radiation de cette hypothèque, au motif que cette ordonnance avait visé la Société Civile de Construction Bienvenue Montparnasse au lieu de la Société Anonyme du même nom, seule propriétaire de l'appartement avant son attribution à Chauvet;

Qu'en cause d'appel, la société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse a appelé en intervention Barthélemy, syndic de la faillite de Lastani;

Que Lestani et Barthélemy font grief à la décision entreprise de s'en être tenue a la lettre de l'ordonnance au lieu d'admettre qu'elle avait visée en réalité la Société Anonyme;

Que la société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse demande la confirmation du jugement;

Que le Conservateur du 8° Bureau des Hypothèques de la Seine sollicite sa mise hors de cause;

Que, par son appel incident, Chauvet demande qu'en confirmant le jugement, la Cour lui donne acte de ce qu'il demande que le séquestre désigné par le Président du Tribunal de Grande Instance de la Seine sont autorisé à se libérer entre ses mains de la somme consignée sur sa seule quittance et hors la présence des demandeurs;

Que la Société Civile, bien que réassignée, n'a pas constitué avoué; Considérant que la Société Civile a été constituée par acte sous seing privés du 11 avril 1952; qu'il n'est pas contesté que c'est avec elle que Lestani a passé le 14 août 1952 le marché de travaux qui est à l'origine de la créance litigieuse en vue de la construction de l'immeuble en question, 12, rue de l'Arrivée;

Mais qu'à partir. de cette date, la Société Civile n'apparaît plus ni dans les tractations qui ont entouré la construction de cet immeuble ni dans celles qui l'on suivie;

Que l'acte de sa constitution mentionne l'apport de la propriété du terrain du 12, de la rue de l'Arrivée, par deux de ses sociétaires : dame Madeleine Maisonny et André Maisonny, agissant tant en son nom personnel que comme gérant statutaire de la société à responsabilité limitée Maisonny et Compagnie.

Mais que cet apport n'a pas été réalisé;

Qu'en effet, on retrouve le nom des sociétaires précitées auxquels s'ajoute celui de dame Borel, Vve Maisonny, agissant tant en son nom personnel que comme seule autre membre de la société à responsabilité limitée précitée dans l'acte du 2 mars 1953 par lequel ledit terrain a été vendu à' la Société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse;

Que cette Société Anonyme venait alors d'être constituée le 4 décembre 1952 en vue de la construction de l'immeuble 12, rue de l'Arrivée, avec comme Président-Directeur Général, le gérant statutaire de la Société Civile

Que les 4 sociétaires de celle-ci se sont retrouvés présents ou représenté au sein de la Société Anonyme, que c'est la Société Anonyme qui a fait procéder aux travaux;

Qu'il résulte de tous les documents afférents aux litiges survenus avec Lestani, qu'elle s'était substitue d'elle-même à la Société Civile pour l'exécution des travaux que celle-ci avait commandés;

Que, dès le 10 octobre 1953, elle l'assigna en référé sous prétexte de malfaçons, ne cessant de se prévaloir du marché du 14 août 1952 devant toutes les juridictions successivement saisies et se, reconnaissant à ce titre débitrice de diverses sommes au profit de Lestani dans ses conclusions devant le Tribunal de Commerce de la Seine où elle a expressément reconnu s'être substituée à la Société Civile;

Qu'en définitive par jugement du 12 avril 1961 actuellement en instance appel, ledit tribunal l'a condamnée à payer à ce dernier 83.367 nouveaux francs;

Que c'est elle qui était au regard des tiers propriétaires de l'appartement de Chauvet au moment de l'inscription litigieuse, laquelle a été prise " contre, la Société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse, en état de liquidation ";

Quelle est d'autant moins bienvenue à arguer de la confusion qui s'est produite avec la Société Civile dans l'ordonnance autorisant l'inscription; qu'elle a elle-même entretenu cette confusion à plusieurs reprises;

Que l'acte du 10 octobre 1953 par lequel elle assignait Lestani pour malfaçons, acte signifié à celui-ci à la requête de la Société de Construction Bienvenue Montparnasse dont le siège est à Paris, 12, rue de l'Arrivée, ladite Société agissant poursuites et diligences de ses Président, Directeur et Gérant, demeurant audit siège " ;

Que, dans plusieurs écrits, tels son dire du 21 octobre 1954 et diverses conclusions, elle a fait allusion au marché conclu le 14 août 1952, entre la société Bienvenue Montparnasse et Monsieur Lestani, comme s'il s'agissait d'elle-même et non de la Société Civile";

Que d'autre part, la décision préfectorale du 15 décembre 1954, octroyant la prime à la construction porte comme bénéficiaire " la Société Civile de Construction Bienvenue Montparnasse, 12, rue de l'Arrivée ", car c'est celle-ci qui l'avait à l'origine sollicitée; qu'en réalité la Société Civile n'y avait aucun droit mais que la Société Anonyme a pu aisément se substituer à elle pour la perception des fonds, en raison de l'identité entre les personnes intéressées aux deux Sociétés;

Que la Société Anonyme a si bien entretenu la confusion que le cahier des charges qu'elle a établi pourtant en 1957 a été transcrit au nom de la Société Civile;

Qu'il apparaît dans ces conditions que la mention de la Société Civile au lieu de la Société Anonyme dans l'ordonnance autorisant l'inscription constitue une erreur de fait, due à ce que dans sa requête Lestani avait nommé la Société Civile comme étant à l'origine du marché, sans préciser que lorsqu'il nommait à la fin " La Société Bienvenue Montparnasse " il s'agissait de la Société Anonyme qui s'y était substituée;

Que la Société Anonyme ne peut contester cette substitution dont témoignent tous les faits de la cause et qu'elle a elle-même reconnue;

Que, par les termes mêmes de sa requête Lestani avait manifesté sans ambiguïté son intention de faire inscrire le privilège immobilier qu'il tenait des travaux effectués sur l'immeuble de la Société Anonyme et pour le compte de celle-ci;

Que l'intention évidente du Président des référés était d'autoriser cette inscription sur l'immeuble appartenant à l'entité sociale dont Lestani était créancier en raison des travaux effectués sur son immeuble;

Qu'il s'ensuit que l'emploi du terme Société Civile au lieu de Société Anonyme n'a constitué qu'une erreur matérielle de l'ordonnance;

Que la Société Anonyme ne peut se plaindre de cette erreur matérielle qui n'a pu créer aucune confusion en ce qui la concerne; qu'en effet l'ordonnance n'avait de sens que si elle était rectifiée, que son contexte en imposait de lui-même la rectification à la société Anonyme qui n'ignorait point l'absence de droits de la société civile sur l'immeuble et les circonstances dans lesquelles elle s'était substituée à celle-ci, et qui savait que c'était elle-même qui y était en cause à la fois comme débitrice de Lestani dans les conditions de l'article 2103 du Code Civil et comme propriétaire de l'immeuble;

Qu'elle ne peut non plus et pour la même raison arguer de l'absence d'assignation de la société civile dans le délai imparti par l'ordonnance, puisque cette assignation lui avait été délivrée à elle-même dès le 20 avril 1957;

Que cette défense de la société n'est pas un moyen de bonne foi, et que c'est à tort que le Tribunal y a fait droit;

Qu'il convient au contraire d'admettre que l'inscription prise par Lestani le 7 septembre 1957 sur l'appartement a conservé toute sa valeur à son encontre, et qu'elle est par conséquent opposable à Chauvet en vertu des dispositions de l'article 30 du décret du 4 janvier 1955 ;

Par ces motifs,

Reçoit Lestani en son appel, Chauvet en son appel incident et la société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse en son appel en intervention de Barthélemy es qualité de syndic de la faillite de Lestani;

Donne acte à Barthélemy de ce qu'il reprend l'instance d'appel précédemment suivie par Lestani;

Confirme le jugement en toutes ses dispositions et statuant à nouveau par arrêt réputé contradictoire à l'égard de toutes les parties;

Dit que la Société Anonyme Bienvenue Montparnasse, s'étant substitué à la Société Civile Immobilière Bienvenue Montparnasse et ayant pris à sa charge toutes as obligations de cette dernière, c'est à juste titre que Lestani a fait inscrire sur l'immeuble sis 12, rue de l'Arrivée, appartenant alors à ladite Société Anonyme, l'hypothèque garantissant le règlement du solde de sa créance résultant de la construction dudit immeuble;

Déclare bonne et valable l'inscription d'hypothèque judiciaire prise au 8° Bureau des Hypothèques de la Seine, le 7 septembre 1957, volume 1397, n° 1;

Dit que cette inscription devra être maintenue;

Ordonne également le maintien du cantonnement de sommes effectuées par le docteur Chauvet;

Met hors de cause la Société Civile de Construction Bienvenue Montparnasse et le Conservateur du 8° Bureau des Hypothèques de la Seine;

Déclare le sieur Chauvet et la Société Anonyme de Construction Bienvenue Montparnasse mal fondés en leurs demandes fins et conclusions, les en déboute, et les condamne conjointement et solidairement en tous les dépens en première Instance et d'Appel.

Observations. - En bref, les faits de la cause sont les suivants :

Un créancier de la Société civile de construction Bienvenue-Montparnasse a obtenu, par ordonnance du président du Tribunal civil, dans les conditions prévues à l'art. 14 du Code de Procédure civile, l'autorisation de prendre une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire sur un immeuble sis à Paris, 12, rue de l'Arrivée.

En vertu de cette autorisation, une inscription a été prise sur l'immeuble désigné, mais, non pas contre la société civile de construction Bienvenue-Montparnasse, visée dans l'ordonnance, mais contre la société anonyme de construction Bienvenue-Montparnasse, véritable propriétaire de l'immeuble,

Estimant que cette inscription avait été prise sans titre, l'acquéreur d'un appartement faisant partie de l'immeuble grevé a alors engagé deux instances :

L'une contre l'inscrivant, contre les deux sociétés civile et anonyme susvisées et contre le conservateur des hypothèques actuellement en fonctions, pour obtenir la radiation de l'inscription ;

L'autre contre l'inscrivant, contre les deux sociétés susvisées et contre le conservateur des hypothèques en exercice, au moment où l'inscription a été prise en réparation du préjudice causé aux demandeurs par l'inscription litigieuse.

Le collègue mis en cause dans la première de ces deux instances n'y avait été appelé que pour le jugement à intervenir entre partie lui soit directement opposable. Arguant qu'aucun grief n'était formulé contre lui et qu'il était étranger aux intérêts en litige, il a demandé sa mise hors de cause. En première instance, le Tribunal avait accueilli sa demande (Jugement du 5 juillet 1960, Bull. A.M.C., art. 502). Par l'arrêt reproduit ci-dessus, la Cour d'Appel a confirmé cette décision (V. dans le même sens : Bull. A.M.C., art. 244, 353, 385, 434, 643 et 471).

Entre parties, le même arrêt, constatant que l'activité des deux sociétés a été constamment confondue, a jugé que l'inscription destinée à conserver un: créance contre la société civile avait pu à bon droit être prise contre la société anonyme et que par suite cette inscription devait être maintenue.

En présence de cette décision, l'action en dommages-intérêts motivant la seconde instance est devenue sans objet. Les demandeurs ne pourront qu'en être déboutés s'ils ne s'en désistent pas.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 629, 1364 et 2048.