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ARTICLE 552

PROCEDURE..

Litige entre parties. - Mise en cause du conservateur.
Absence de grief. - Irrecevabilité.
(Trib. de Lyon, ordon. de référé, 2 février 1963.)

La Société X... a porté devant le président du Tribunal de Grande Instance de Lyon, statuant en référé, une action en nullité d'une inscription d'hypothèque judiciaire fondée sur l'inexistence d'une condamnation contenue dans l'arrêt en vertu duquel l'inscription a été requise. La société a dirigé son action, non seulement contre la société qui avait requis l'inscription, mais encore contre le Conservateur des Hypothèques, sans cependant formuler aucun grief contre lui.

Par une ordonnance du 2 février 1963, le président du Tribunal de Grande Instance de Lyon, après s'être reconnu incompétent pour connaître de la demande entre parties, a mis le Conservateur des Hypothèques hors de cause.

Les observations présentées par notre collègue pour sa défense sont reproduites dans l'ordonnance dans les termes suivants :

" Ouï M. C..., conservateur..., qui expose :

" Que les Conservateurs des Hypothèques sont personnellement responsables (article 2197 du Code civil) :

" 1° de l'omission sur leurs registres des transcriptions d'actes de mutation et des inscriptions requises en leurs bureaux ;

" 2° du défaut de mention, dans leurs certificats, d'une ou de plusieurs des inscriptions existantes, à moins que, dans ce dernier cas, l'erreur ne provienne de désignations insuffisantes qui ne pourraient leur être imputées ;

" Qu'une action en responsabilité ne peut être valablement introduite contre eux que du chef de l'une des erreurs ou omissions susvisées ;

" Qu'en l'absence de tout grief puisé dans le texte ci-dessus, la mise en cause du Conservateur dans une instance entre parties est inutile et abusive ; qu'il en est spécialement ainsi lorsque l'acte engagé tend à faire prononcer la radiation d'une inscription hypothécaire ;

" Qu'en effet, la radiation est prononcée dans les formes prévues par les articles 2157 du Code Civil, et 548 du Code de procédure civile, c'est-à-dire par un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée, la décision judiciaire s'impose au Conservateur sans qu'il soit utile de l'appeler à l'instance ;

" Que, dans le cas contraire, et notamment dans le cas où la radiation serait prononcée par une décision de référé, en dehors des cas expressément prévus par l'article 54 du Code de procédure civile (inscriptions provisoires), le Conservateur ne pourrait différer au mandement de radiation, ainsi que l'a reconnu un arrêt de la Cour d'Appel de Lyon, du 11 juillet 1958 (Malpelli contre Société Belletti), lequel est ainsi motivé : " ...Attendu que si le refus du Conservateur des Hypothèques d'exécuter, en ce qui le concerne, l'ordonnance de référé du 6 juin 1957 est en tout point conforme aux dispositions de l'article 548 du Code de procédure civile et au-dessus toute critique... " ;

" Que l'inutilité et le caractère abusif de la mise en cause du Conservateur ont été consacrés par une jurisprudence constante qui n'a pas hésité, à maintes reprises, à sanctionner par l'allocation de dommages-intérêts symbolique cette mise en cause abusive (Cour de Rennes du 25 mars 1958, J.C.P. 1958, n° 10588 [1]; Cour de Bordeaux, 1er chambre, du 29 janvier 1962, Société Saunon contre B.N.C.I., J.C.P. 1962, n° 12722 [2]) ;

(1) Bull. A.M.C., art. 353.

(2) Bull. A.M.C., art. 514.

" Qu'en l'espèce, il n'est articulé contre le Conservateur, dans l'assignation, aucun grief tiré d'une prétendue faute personnelle qu'il aurait commise et qu'il ne saurait, d'ailleurs, en être relevé aucune à sa charge dans l'accomplissement des formalités relatives à l'inscription hypothécaire litigieuse ;

" Qu'aux termes de l'article 2199 du Code civil, le Conservateur ne peut refuser ni retarder la transcription des actes de mutation, l'inscription des droits hypothécaires ni la délivrance des certificats requis, sous peine de dommages-intérêts ;

" Que si les décrets des 4 janvier et 14 octobre 1955 ont prévu, pour la tenue rigoureuse du fichier immobilier, un certain nombre de cas dans lesquels la formalité doit être refusée ou rejetée, ces hypothèses ont été strictement définies et délimitées par les textes dont il s'agit :

" Qu'en ce qui concerne les inscriptions conventionnelles ou judiciaires selon l'article 2148 nouveau au Code Civil, la sanction du refus ou de rejet ne s'applique que dans le cas d'irrégularités matérielles ou de pure forme dans la rédaction des bordereaux dont la rédaction demeure l'oeuvre personnelle des parties, et à l'exclusion de tout motif tiré de l'interprétation du titre présenté à l'appui de la réquisition d'inscription, interprétation qui n'appartient qu'aux tribunaux :

" Qu'aux termes de l'article 2123 du Code civil, l'hypothèque judiciaire résulte des jugements, soit contradictoires, soit par défaut, définitifs ou provisoires, en faveur de celui qui les a obtenus ;

" Qu'il est admis, en doctrine aussi bien qu'en jurisprudence, que l'hypothèque judiciaire peut naître d'une décision contenant le germe d'une condamnation future, contenu dans la constatation, par le tribunal, d'une dette certaine dans son principe, mais dont le quantum n'est susceptible d'être déterminé que plus tard, notamment à la suite d'une expertise ;

" Qu'il en était exactement ainsi en l'espèce, le jugement du 5 novembre 1958, ayant déclaré parfaites les cessions intervenues en instituant une expertise pour la fixation des sommes dues de ce chef aux demandeurs, et l'arrêt du 9 mai 1960 ayant purement et simplement confirmé, sur le. principe de cette créance, la décision des premiers juges ;

" Qu'au surplus, et à supposer même qu'un litige puisse s'élever sur l'exacte portée de ces décisions en ce qui concerne la réalité de l'hypothèque judiciaire à elles attachée, le Conservateur, à qui les titres étaient représentés, ne pouvait en aucune façon s'instituer juge d'une telle interprétation qui n'appartient qu'à l'autorité judiciaire elle-même ; qu'en refusant ou en retardant l'inscription hypothécaire pour un tel motif, tiré du fond du droit, il aurait gravement enfreint les règles essentielles de sa fonction, telles qu'elles lui sont tracées par l'article 2189 du Code civil ci-dessus ;

" Qu'en résumé, d'une part, aucune faute ne peut être relevée et n'a d'ailleurs été articulée contre le Conservateur à l'occasion des formalités hypothécaires qui sont à l'origine du litige, et d'autre part, que sa mise en cause dans l'instance ne trouve sa justification dans l'existence d'aucun intérêt qui puisse être valablement allégué. "

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 2048 : Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 57, p. 434.