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ARTICLE 626

PUBLICATION D'ACTES. - DEMANDES EN JUSTICE.

Actes soumis à publication.
Demande en justice tendant à la réalisation d'une vente en la forma authentique.
Acte de vante sous seings privés non reproduit dans la demande ni annexé à celle-ci.
Publication régulière. - Opposabilité aux tiers.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE BORDEAUX DU 11 MARS 1965.

La Cour :

Attendu que la dame Hélène Bontemps, veuve Debost, était propriétaire d'un domaine agricole de 12 hectares 36 ares 94 centiares, sis au lieudit " Chez Jaille ", commune de Leguillac-de-Cercles (Dordogne), qu'elle avait donné à bail pour 9 ans à compter du 8 septembre 1955 aux sieurs Pierre Gabriel et Prévost Georges, avec stipulation d'un droit de préférence en cas de vente en bloc ou par parcelles ;

Attendu que selon acte sous seing privé du 26 mars 1962, la dame Debost a donné mandat à Auxire, agent immobilier à Auberre-sur-Dronne, de vendre cette propriété moyennant le prix minimum de 22.000 F payable comptant ;

Attendu qu'Auxire, agissant ès qualités en vertu de cette procuration, a vendu la propriété à Ducau le 29 mars 1962 par acte sous seings privés pour le prix de 22.000 F payable comptant le jour de la formalisation de l'acte authentique, avec paiement d'un acompte de 4.000 F et stipulation du maintien de la venderesse en jouissance de la maison d'habitation sise sur la propriété jusqu'à ce qu'elle ait acheté une autre maison ;

Attendu qu'Auxire a informé la dame Debost de cette vente par lettre recommandée du 2 avril 1962; qu'il lui a fait sommation par huissier le 11 avril 1962 de comparaître le 20 avril en l'étude de M° Rolland, notaire à Riberac, pour passer l'acte authentique ; qu'une seconde sommation a été faite le 17 avril ;

Attendu que le 16 avril, la dame Debost a vendu la propriété aux époux Pierre pour le prix de 22.000 F, converti pour partie en une rente viagère ;

Que l'acte de vente établi en la forme authentique, et enregistré le 4 mai 1962, a été publié à la Conservation des Hypothèques de Nontron, le 5 mai de la même année :


Attendu que le 20 avril, M° Rolland, notaire, a dressé un acte de défaut constatant la non-comparution de la dame Debost ;

Attendu que par exploit du 26 avril 1962, Ducau l'a assignée devant le Tribunal de Grande Instance de Périgueux pour dire et juger que la propriété a été valablement vendue à Ducau, par son mandataire Auxire, pour ordonner la formalisation de l'acte authentique dans le mois du jugement devenu définitif, sous astreinte comminatoire de 50 F par jour de retard pendant un mois et qu'Auxire a été appelé en cause par la dame Debost.

Attendu que cette assignation a été publiée à la Conservation des Hypothèques de Nontron le 28 avril 1962 (vol. 1907, n. 19), conformément à l'article 37 - 2 - 1er du décret du 4 janvier 1955 sur la publicité foncière ;

Attendu que par jugement du 18 décembre 1962, le Tribunal a fait droit à cette demande en déclarant que la propriété litigieuse avait été valablement vendue à Ducau par Auxire, mandataire de la dame Debost, le 29 mars 1962, que celle-ci serait tenue de passer l'acte authentique de vente dans le délai d'un mois du jugement devenu définitif et que passé ce délai le jugement en tiendrait lieu, et Auxire a été mis hors de cause ;

Attendu qu'il convient de souligner que les époux Pierre n'ont pas été appelés en cause et ne sont pas intervenus en première instance ;

Attendu que la dame Debost a relevé appel de ce jugement ;

Attendu que l'appel est régulier et recevable ;

Attendu qu'en cause d'appel, sont intervenus d'une part les époux Pierre et d'autre part Prévost ;

Attendu qu'aux termes de l'article 466 du Code de procédure civile, peuvent intervenir en cause d'appel ceux qui justifient d'un intérêt ;

Attendu que les époux Pierre, bénéficiaires de la vente du 16 avril 1962, publié le 5 mai de la même année, ont un intérêt évident à poursuivre la nullité ou a plaider la non opposabilité de la vente sous seings privés consentie à Ducau et ayant le même objet ;

Que leur intervention est donc recevable ;

Attendu au contraire que Prévost, qui n'a pas exercé son droit de préférence, ni manifesté l'intention de l'exercer, n'a aucun intérêt au litige même si sa qualité de fermier lui ouvre un droit de préemption légal qui ne peut s'exercer ni faire l'objet d'un litige devant la juridiction de droit commun ;

Attendu que son intervention est donc irrecevable ;

Attendu au fond que la dame Debost et les époux Pierre soutiennent principalement :

1) eu égard aux règles de la publicité foncière, que la vente authentique consentie aux époux Pierre et régulièrement publiée conformément à l'article 28 du décret du 4 janvier 1955 ne peut être primée par le compromis sous seings privés qui a fait l'objet le 28 avril 1962 d'une prénotation irrégulière; en effet, aux termes de l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955, pour que cette publication provisoire soit valable, il eût fallu qu'il y soit annexé ou qu'il y soit reproduit littéralement l'acte soumis à la publicité, quoique cet acte n'ait pas été dressé en la forme authentique. Or, la publication (volume 1907, n. 19) du 28 avril 1962 comporte seulement copie de l'assignation du 26 avril 1962 et description des parcelles qui en font l'objet avec référence au cadastre. Il en résulterait que cette publicité incomplète n'est pas opposable aux époux Pierre car elle ne les a pas informés de la date de la cession prétendue à Ducau, ni du prix stipulé, ni des clauses accessoires du contrat. (Il convient de noter que la dame Debost et les époux Pierre n'ont pas soutenu ce premier moyen dans leurs conclusions écrites, mais l'ont développé dans leurs explications orales à l'audience) ;

2) le mandat donné à Auxire par la dame Debost le 26 mars 1962 aurait dû être passé en la forme authentique, d'autre part, ce sous seing privé ne pourrait être considéré comme un mandat régulier qu'à condition de porter la suscription " Bon pour mandat " ;

3) Auxire et Ducau ne pouvaient ignorer le pacte de préférence dont bénéficiaient Pierre et Prévost. Ils ont donc contracté de mauvaise foi et la vente sous seings privés du 29 mars 1962 est le résultat d'un concert frauduleux ;

Sur la procédure en appel :

Attendu qu'il convient de noter que la procédure se trouve normalisée en cause d'appel par l'intervention des époux Pierre qui ont un intérêt au litige depuis la vente du 16 avril 1962 dont ils sont bénéficiaires et qui a été rendue publique le 5 mai 1962 ; qu'eux seuls ont intérêt à attaquer la prénotation de Ducau car eux seuls ont publié des droits concurrents ;

Attendu qu'il convient donc d'examiner ensemble les moyens de la dame Debost, défenderesse et appelante, et ceux des époux Pierre, intervenant ;

Sur la validité et sut l'effet de la prénotation prise par Ducau le 28 avril 1962 :

Attendu que la prénotation, ou publication provisoire a pour but de rendre publics les droits prétendus du prénotant, de les conserver, et, au cas où ces droits seraient par la suite reconnus en justice, de les rendre rétroactivement opposables aux tiers qui, entre temps, auraient acquis des droits concurrents sur le même immeuble et qui les auraient fait publier conformément aux lois ;

Attendu que pour que la prénotation produise ses effets, il importe que les droits prétendus soient nettement définis quant à leur objet et quant à leur nature.

Attendu qu'en l'espèce, il ressort sans équivoque de la publication faite par Ducau au bureau des hypothèques de Nontron le 28 avril 1962, que l'objet du droit prétendu par le prénotant est le fonds rural litigieux, décrit parcelle par parcelle avec les références au cadastre, indication des superficies et de l'origine de propriété et que la nature du droit est une acquisition de la pleine propriété par vente sous seings prives, consentie par la propriétaire, la dame Debost, et dont Ducau poursuit en justice la réalisation en la forme authentique ;

Attendu qu'il apparaît ainsi que l'objet et la nature du droit prétendu par Ducau étaient suffisamment précisés dans cette prénotation, encore que la date de l'acte sous seings privés par lequel Ducau a acquis ses droits, le prix de la cession et les clauses accessoires du contrat aient été omis, autant dans l'assignation que dans la prénotation ;

Attendu qu'il est donc sans intérêt que l'acte sous seings privés du 29 mars 1962 n'ait pas été annexé à la prénotation de Ducau ou n'y ait pas été littéralement reproduit, comme le prescrit l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955, sans toutefois que la nullité de la prénotation découle de cette omission, car ce qu'il importe d'annoncer aux tiers est l'objet et la nature du droit réel prétendu et non pas les autres clauses contractuelles qui n'ont d'intérêt qu'entre parties et qui sont sans portée sur la publicité foncière

Attendu qu'il convient donc de considérer que la prénotation de Ducau est régulière et qu'elle est opposable aux époux Pierre qui ont ait publier par la suite leur titre d'acquisition concernant le même immeuble et qui tiennent leur droit du même auteur ;

Attendu enfin que la prénotation de Ducau, inscrite le 28 avril 1962, ne sera périmée, sauf prorogation par une ordonnance présidentielle, que le 27 avril 1965, comme en dispose l'article 37-2; qu'elle a donc produit effet pendant toute la durée de l'instance et jusqu'au prononcé du présent arrêt :

2° -

Par ces motifs :

Reçoit en la forme l'appel de la dame Debost et l'intervention des époux Pierre ;

Déclare l'intervention de Prévost irrecevable ;

Valide la prénotation prise par Ducau au bureau des hypothèques de Nontron le 28 avril 1962 (volume 1907, n° 19) ;

Dit qu'elle est opposable aux époux Pierre dont le titre a été publié à une date ultérieure ;

Confirme le jugement déféré dans toutes ses autres dispositions ;

Déboute les parties de toutes autres demandes ou plus amples conclusions...

Observations. - Dans une espèce où il était fait grief au Conservateur d'avoir accepté de publier une demande en justice tendant à la reconnaissance d'une promesse de vente, alors qu'aucun acte constatant cette promesse n'était reproduit dans cette demande ou n'y était annexé, comme le stipule l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955, le Tribunal de Grande Instance de Versailles, par un jugement du 15 décembre 1964 (Bull. A.M.C., art. 625) a jugé que ce grief n'était pas fondé et que la publication opérée l'avait été régulièrement. Un des attendus de la décision conduisait toutefois à se demander si l'interprétation qu'elle consacre ne devait pas être limitée à l'hypothèse où la demande ne se réfère à aucun acte constatant la promesse dont la réalisation est poursuivie, ce qui était le cas de l'espèce, et si le Tribunal se serait prononcé dans le même sens si la promesse à réitérer ou à réaliser en la forme authentique avait été constatée par un écrit sous seings privés.

C'est la même question qui était posée à la Cour d'Appel de Bordeaux. Mais, dans cette instance, le Conservateur n'était pas en cause. Ce que les appelants demandaient à la Cour de reconnaître, c'est que la demande en justice, qu'ils estimaient irrégulièrement publiée parce qu'elle ne reproduisait pas littéralement l'acte constatant la vente à réaliser en la forme authentique ou que celle-ci n'y était pas annexée, ne pouvait produire l'effet d'opposabilité aux tiers prévu au dernier alinéa de l'article 37-2 précité du décret du 4 janvier 1955.

C'est en raison de cet effet d'opposabilité conditionnelle que l'arrêt qualifie la publication de la demande de " prénotation ", terme qui, comme l'observe justement notre collègue, M. Masounabe-Puyanne, en commentant la décision (J.C.P. 1965 - II. 14.340), ne figure dans aucun texte du droit français.

Le texte qui l'institue est ainsi conçu :

" Les dispositions de l'article 30 (relatives à l'opposabilité aux tiers) sont applicables à compter du jour de la formalité, lorsque celle-ci est suivie, dans un délai de trois ans, de la publication d'un acte authentique ou d'une décision judiciaire constatant la réitération ou la réalisation ".

Ce que cette disposition rend opposable aux tiers c'est, non pas la demande en justice elle-même, mais la convention ont la réitération ou la réalisation en la forme authentique est poursuivie. On pourrait dès lors être tenté de penser qu'elle ne peut s'appliquer lorsque cette convention n'est pas reproduite dans la demande ni annexée à celle-ci et que, dans cette hypothèse, la publication a pour seul effet l'information des tiers.

La Cour de Bordeaux s'est cependant prononcée en sens contraire. Elle a jugé que, bien que l'acte sous seing privé constatant la vente n'ait été ni littéralement reproduit dans la demande ni annexé à celle-ci, cette omission n'affectait pas la validité de la " prénotation ". " Ce qu'il importe d'annoncer aux tiers, observe l'arrêt, est l'objet et la nature du droit réel prétendu et non pas les autres clauses contractuelles qui n'ont d'intérêt qu'entre parties et qui sont sans portée sur la publicité foncière ". Dans le cas d'espèce qui lui était soumis, la Cour, ayant constaté que les énonciations de la demande révélaient d'une manière suffisamment précise l'objet et la nature du droit prétendu par le demandeur, en a conclu que la " prénotation " était opposable aux tiers qui avaient fait publier ultérieurement un titre d'acquisition concernant le même immeuble et tenaient leur droit du même auteur.

Cette décision n'intéresse pas directement les Conservateurs. Ce qui est cependant à retenir en ce qui les concerne est que la publication de la demande a été jugée régulière, bien que l'acte constatant la convention dont la réalisation en la forme authentique était poursuivie n'y ait été ni littéralement reproduite ni annexée, d'où il résulte qu'on n'aurait pu faire grief au Conservateur d'avoir accepté de procéder à cette publication.

Par ailleurs, le litige soumis à la Cour de Bordeaux souligne l'intérêt qu'il peut y avoir, pour les Tribunaux saisis de la même difficulté, à être exactement renseignés sur le point de savoir si l'acte publié reproduisait ou non, dans son corps même ou en annexe, la convention sous seings privés à réitérer ou à réaliser en la forme authentique. On croit en conséquence devoir conseiller aux collègues de bien préciser ce point dans les annotations au fichier et dans les états qu'ils délivrent.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 835 et 837 A II (feuilles vertes).