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ARTICLE 694

PUBLICATION D'ACTES.

Actes soumis à publication.
Demande en justice tendant à la réalisation authentique d'une vente.
Acte sous seings privés constatant la vente non reproduit dans la demande ni annexé à celle-ci.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (2° CHAMBRE) DU 29 JANVIER 1966.

La Cour,

Statuant sur l'appel régulièrement formé par les époux Lange d'un jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles en date du 15 décembre 1964 qui a débouté les époux Lange de leur demande en radiation de publication d'une assignation formée contre le conservateur du .... Bureau des Hypothèques de V..., en présence de Behard appelé en cause par ce dernier ;

Considérant que Behard prétendant avoir acquis par l'intermédiaire d'un agent immobilier la villa dont les époux Gueutin étaient propriétaires 59, rue de Montesson au Vésinet, a obtenu du Conservateur des Hypothèques de V... (... Bureau) la publication suivante : " Transcription volume 3348 n° 28 du 12 mars 1963, publié une assignation rendue (sic) par M H..., huissier de justice au Tribunal de S..., y demeurant, 14, place du Château, le 9 mars 1963. A la requête de M. Louis Vital Behard au préjudice de M. André Pierre Gueutin. Pour voir dire et juger que M. Gueutin sera tenu de se présenter en l'étude de M G..., notaire à P..., dans la quinzaine du jugement à intervenir pour y régulariser l'acte de vente au profit de M. Behard de l'immeuble dont il est propriétaire 59, route de Montesson au Vésinet, lieu dit " Villa la Bizette ", pour une contenance de 1.765 mètres carrés, cadastrée section D n° 88, 89, 89 p·. et 89 p. (sic) moyennant le prix de trois cent vingt mille francs (320.000 francs). Voir donner acte à Behard de ce qu'il offre de verser ladite somme de trois cent vingt mille francs lors de la régularisation des actes de vente. Voir dire qu'à défaut par M. Gueutin de régulariser l'acte de vente dans le délai précité, le jugement à intervenir vaudra vente et que M. Behard sera libéré en versant la somme de trois cent vingt mille francs précitée augmentée des frais légaux entre les mains de M G..., notaire à P... ou entre les mains de tel mandataire de justice qu'il plaira au Tribunal désigner. Et mention Néant. "

Considérant que les époux Gueutin ont par acte authentique reçu par D..., notaire à M... en date des 20 et 21 mars 1963 vendu leur propriété aux époux Lange et que c'est à l'occasion de la transcription de leur titre que le Conservateur des Hypothèques a délivré un état révélant la publication ci-dessus transcrite ;

Considérant que les époux Lange demandent qu'il soit jugé que la publication de l'assignation prise par Behard le 12 mars 1963 et qui ne comporte aucun acte annexé ni aucune reproduction littérale d'acte, n'est pas conforme aux textes en vigueur et que par conséquent le Conservateur des Hypothèques devra la radier au vu de l'arrêt à intervenir ;

Considérant que le Conservateur du ... Bureau des Hypothèques conclut à la confirmation du jugement ;

Considérant que tant les époux Lange que le Conservateur des Hypothèques invoquent à l'appui de leurs thèses les dispositions du décret du 4 janvier 1955 modifié par le décret du 7 janvier 1959 et plus particulièrement son article 37 qui indique que peuvent être publiées les demandes en justice tendant à obtenir la réalisation en la forme authentique " d'actes " qui n'ont pas été dressés en cette forme et précise qu'y sont annexés ou y sont littéralement reproduits " les actes " soumis ou admis à publicité ;

Considérant que la possibilité de publier de telles demandes en justice est donc subordonnée à la condition que les actes admis à publicité y soient reproduits littéralement ou y soient annexés; que cette exigence s'impose d'une manière évidente pour prévenir les abus qui sans elle se produiraient infailliblement ;

Considérant qu'en l'espèce l'assignation publiée ne comporte aucun acte annexé et ne reproduit littéralement aucun acte sous seing privé en vertu duquel Behard serait fondé à exiger de Gueutin qu'il régularise devant notaire la vente d'un immeuble dont ce dernier était propriétaire ;

Considérant que, conformément aux dispositions de l'article 37 du décret sus-visé, le Conservateur devait vérifier que l'assignation tendait à obtenir la réalisation en la forme authentique d'une promesse unilatérale de vente d'immeuble, mais aussi que cette promesse de vente était contenue dans " un acte " qu'il (sic) devait dès lors soit reproduire littéralement soit annexer, sous réserve au surplus que les formalités générales édictées par le décret sus-visé aient été exécutées et notamment celles prévues par les articles 4 à 7 et 34 ;

Considérant que la publication de l'assignation seule n'est pas conforme aux dispositions de l'article 37 sus-visé et que c'est donc à tort qu'elle a été effectuée ;

Par ces motifs :

Statuant publiquement et contradictoirement ;

En la forme reçoit l'appel,

Au fond le dit bien fondé et statuant à nouveau :

Ordonne la radiation de la publication de l'assignation prise par Behard le 12 mars 1963, volume 3348, numéro 28, au préjudice d'André Pierre Gueutin, pour un immeuble sis 59, route de Montesson au Vésinet et acquis par Lange les 20 et 21 mars 1963 ;

Condamne le Conservateur du... Bureau des Hypothèques de V.. aux dépens de première instance et d'appel...

Observations. -- La question posée était celle de savoir si le conservateur doit refuser de publier une assignation en réalisation une vente lorsque n'est ni annexé à l'assignation ni reproduit dans le corps de cette dernière un acte sous seing privé constatant la vente dont la réalisation est poursuivie.

Le jugement du Tribunal de Grande Instance de Versailles du 15 décembre 1964 (Bull. A.M.C., art. 625), contre lequel l'appel était dirigé, avait répondu à cette question par la négative. La Cour d'Appel s'est prononcée en sens contraire.

L'arrêt, sommairement motivé, se borne à faire une application littérale de l'art. 37 du décret du 4 janvier 1955 complété par l'art. 9 du décret n° 59-89 du 7 janvier 1959.

En première instance, le conservateur avait fait observer que l'art. 2199 du Code Civil lui interdit de refuser ou de retarder l'exécution d'une formalité en dehors des cas ou le refus ou le rejet est expressément prescrit par un texte et souligné que, dans le cas des assignations en réalisation d'une vente en la forme authentique, de même que dans celui des autres actes visés à l'art. 37-2 du décret du 4 janvier 1955, complété, aucune disposition ne prescrit d'en refuser le dépôt ou d'en rejeter la publication pour le motif qu'un acte sous seings privés constatant la réalisation de la vente n'est ni reproduit dans l'assignation ni annexé à celle-ci. Cet argument primordial avait été retenu par le Tribunal et formait le motif essentiel du jugement de première instance. La Cour ne l'a cependant pas examiné, bien que les conclusions de première instance aient été reprises devant elle.

A l'appui de l'interprétation qui a prévalu devant le Tribunal, on peut encore faire valoir plusieurs autres considérations :

Tout d abord, sur le plan pratique, la publication de la demande en justice (de même celle du procès-verbal ou de la déclaration visés aux n° 2 et 3 de l'art. 37-2), même non accompagnée d'un acte sous seings privés constatant la convention à réaliser, présente un intérêt certain. Elle répond à un des objectifs poursuivis par les auteurs de l'art. 37, à savoir l'information des usagers. Il est évident, en effet, que les tiers (acquéreurs ou prêteurs éventuels, par exemple) ont le même intérêt à être informés de l'existence d'une telle demande qu'un acte constatant la convention dont la réalisation est poursuivie y soit, ou non, reproduit ou annexé.

Par ailleurs, si le conservateur devait, comme l'estiment les juges d'Appel, vérifier que la convention à réaliser en la forme authentique est contenue dans un acte et que cet acte est reproduit dans l'assignation ou y est annexé, il lui faudrait non seulement s'assurer qu'un document est reproduit dans l'assignation ou y est annexé, mais encore que ce document constate effectivement la convention en cause.

Cette dernière vérification n'est pas une opération purement matérielle. En particulier, les actes sous seings privés où le demandeur prétend trouver la preuve de l'existence d'une vente et qui sont reproduits dans l'assignation ou y sont annexés ne sont pas toujours des actes en forme. Ils consistent parfois en de simples lettres missives ou en des quittances. Pour s'assurer que l'acte annexé ou reproduit constate bien la vente visée dans l'assignation, le conservateur devrait se livrer à une analyse juridique des documents reproduits et en déterminer les effets.

Or une telle interprétation relève des pouvoirs des Tribunaux et sort du cadre de la mission du conservateur.

Enfin, il faut observer, pour répondre à un des motifs de l'arrêt, que si des abus peuvent se produire en matière de réalisation authentique de vente, ils ne peuvent consister que dans la demande elle-même et non dans sa publication. Celle-ci ne fait que révéler une demande, justifiée ou non, dont l'existence n'est pas contestée. S'abstenir de publier la demande aurait pour effet, non de faire disparaître l'abus qu'elle peut représenter, mais seulement de laisser les tiers dans l'ignorance de cette demande avec les conséquences qui peuvent en résulter pour eux, si elle vient à se révéler justifiée.

En raison de l'importance que présente pour l'ensemble des conservateurs la solution à donner à la question, en litige, le Comité de l'A.M.C. a décidé d'accorder son concours à notre collègue pour former contre l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris un pourvoi en Cassation.

En attendant la décision de la Cour Suprême, on conseille aux collègues de continuer à accepter de publier les assignations en cause (de même que les procès-verbaux ou déclarations visés aux numéros 2 et 3 de l'art. 37-2 du décret du 4 janvier 1955 complété), même lorsqu'elles ne reproduisent pas un acte sous seings privés constatant la convention dont la réalisation authentique est demandée ou que cet acte n'y est pas annexé. Dans l'incertitude de la décision à intervenir, c'est en effet le refus de publication qui serait de nature à engager le plus gravement leur responsabilité.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 835 et 837 A-II (feuilles vertes).