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ARTICLE 734

PUBLICATION D'ACTES

Actes soumis à publication :
I. Demandes en justice tendant à la réalisation d'une convention en la forma authentique, laquelle n'est pas annexé ou dans laquelle n'est pas reproduit un acte sous seings privés constatant la convention ;
II. Actes et autres documents dont la publication n'est expressément ni prescrite, ni autorisée.

ARRET DE LA COUR DE CASSATION (3° chambre civile) DU J4 MARS 1968

La Cour...

Sur le moyen unique

Vu les articles 2199 du Code Civil, 34 du décret du 4 janvier 1955 et 74 du décret du 14 octobre 1955,

Attendu qu'il résulte de ces textes que le conservateur des hypothèques ne peut refuser le dépôt d'un acte dont a publicité est requise, ou rejeter la formalité, que dans les cas limitativement énumérés par la loi.

Attendu que, selon les énonciations de l'arrêt infirmatif attaqué, Béhard a requis du conservateur des hypothèques de Versailles la publication d'une demande en justice tendant à obtenir la réalisation par acte notarié de la vente d'un immeuble qui lui avait été consentie par Gueutin ; que cette publicité a été opérée, que les époux Lange ont acquis le même immeuble du même vendeur ; que, prétendant que la publication requise par Béhard était irrégulière comme ne comportant ni la reproduction littérale, ni l'annexion de l'acte sur lequel Béhard fondait son droit, et aurait dû faire l'objet d'un refus de dépôt ou d'un rejet de publicité, ils ont assigné le conservateur des hypothèques pour qu'il procède (à ses frais) à sa radiation ; que la Cour d'Appel a fait droit à cette demande.

Attendu que si, aux termes de l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955, modifié par le décret du 7 janvier 1959, les demandes en justice tendant à obtenir la réitération ou la réalisation en la forme authentique d'actes sous seings privés doivent reproduire ou comporter en annexe lesdits actes, cette formalité n'est pas au nombre de celles énumérées par le législateur et dont l'inobservation permet au conservateur de refuser le dépôt ou de rejeter la publicité ; qu'ainsi l'arrêt a violé les textes susvisés.

Par ces motifs, casse et annule l'arrêt rendu par la Cour d'Appel de Paris le 29 janvier 1966. Renvoie devant la Cour d'Appel d'Amiens...

Observations. - L'art. 37-2 du décret du 4 janvier 1955, complété par l'art. 9 du décret n° 59-89 du 7 janvier 1959, prévoit la publication, en particulier, des demandes en justice tendant à obtenir la réitération ou la réalisation en la forme authentique des actes sous seings privés lorsque ces actes sont annexés à la demande ou littéralement reproduits dans celle-ci.

Devant le Tribunal de Grande Instance de Versailles avait été posée la question de savoir si, lorsque l'acte à réitérer ou à réaliser en la forme authentique n'était pas annexé à la demande ou reproduite dans cette dernière, celle-ci pouvait néanmoins être publiée.

Par un jugement du 15 décembre 1964 (Bull. A.M.C., art. 625), le Tribunal avait résolu cette question par l'affirmative. Après avoir observé que les dispositions qui, en matière de publicité foncière, autorisent le refus du dépôt ou le rejet de la formalité sont d'interprétation restrictive et que, par suite, aucun refus ou rejet ne pouvait être prononcé sans qu'un texte l'ait expressément prévu, il avait constaté que, dans le cas des demandes en justice ayant pour objet la réitération ou la réalisation authentique d'une convention, aucune disposition n'autorisait le refus ou le rejet pour le motif qu'un acte sous seings privés constatant la convention en cause n'était ni annexé à la demande, ni reproduit dans celle-ci ; en conséquence, il avait conclu que le conservateur avait à bon droit accepté de procéder à la publication.

C'est ce moyen, qui formait le motif essentiel de la décision, qu'a retenu la Cour de Cassation pour annuler l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 29 janvier 1966 (Bull. A.M.C., art. 694) qui avait réformé le jugement du Tribunal de Versailles.

Ainsi une interprétation, en faveur de laquelle l'A.M.C. s'est plusieurs fois prononcée (Bull. A.M C., Observations sous les art. 441, 625 et 694 ; art. 648) se trouve consacrée par la Cour Suprême.

Les conséquences de l'arrêt sont importantes.

Tout d'abord, on peut considérer comme acquis qu'un conservateur peut à bon droit accepter de publier une demande en justice tendant à la réitération ou la réalisation authentique d'une convention, même lorsqu'un acte sous seings privés constatant cette convention n'est ni annexé à la demande, ni littéralement reproduit dans cette dernière. C'est la question même qui était soumise à la Cour Suprême. Sans doute la Cour de renvoi, à supposer que les adversaires la saisissent, pourrait statuer différemment. Mais la position prise par la Cour de Cassation est trop nette pour qu'un nouveau pourvoi formé, le cas échéant, contre l'arrêt de la Cour de renvoi ne la fasse pas triompher définitivement.

La même conclusion s'applique, bien entendu, à la publication des autres actes visés à l'art. 37-2, complété, du décret du 4 janvier 1955.

Mais l'arrêt a une portée encore plus étendue. Le principe, affirmé par la Cour, selon lequel une formalité ne peut être refusée ou rejetée que dans les cas où un texte autorise expressément ce refus ou ce rejet, met fin à une difficulté qui s'est souvent présentée depuis l'entrée en vigueur du nouveau régime hypothécaire : celle de savoir si pouvaient être admis à la formalité les actes ou autres documents dont la publication n'était ni prescrite, ni autorisée par un texte. (V. Bull. A.M.C., art. 441, 449, 593 et 648). En justice, elle avait été résolue différemment : Le Président du Tribunal civil de Segré (ordonnance du 12 mars 1958, Bull. A.M.C., art. 328) et celui du Tribunal civil de Nice (deux ordonnances des 4 octobre et 28 décembre 1958, Bull. A.M.C., art. 441, 2° et 3° espèces) s'étaient prononcés pour la négative ; le Tribunal civil de la Seine (jugement du 26 novembre 1958 ; Bull. A.M.C., art. . 441, 1ere espèce) avait statué en sens contraire.

C'est cette dernière interprétation, que l'A.M.C. avait recommandé aux collègues d'adopter (v. Observations sous l'art. . 441 du Bulletin), qui se trouve consacrée par la Cour de Cassation.

On peut d'autant moins en douter que M. le Conseiller Mazeaud, qui a été le rapporteur de l'affaire devant la Cour, commente l'arrêt en ces termes dans le Répertoire Dalloz (1968-425) :

" Le pouvoir de contrôle des conservateurs ne s'exerce que relativement à la régularité en la forme ; mais dans ce domaine ce pouvoir est-il général ? Est-il, au contraire, limité par le législateur?

" La lecture des textes nouveaux ne laisse pas de place au doute. L'ancien art. 2199 du Code Civil, qui posait le principe absolu d'absence des pouvoirs de contrôle, n'a pas été modifié en 1955 ; et lorsque, en 1959, cette disposition a été mise en harmonie avec les réformes, on a précisé : " En dehors des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt, ou à rejeter la formalité, les conservateurs ne peuvent refuser, ni retarder. Le législateur n'a donc pas abandonné un domaine entier, celui de la forme, au contrôle des conservateurs ; il ne leur donne de pouvoirs que dans certains cas. Ainsi le décret du 4 janvier 1955 (art. 34) et le décret d'application du 14 octobre 1955 (art. 74), comme les art. 2148, 2149 et 2154 du Code Civil, énumèrent-ils avec beaucoup de précision les différentes hypothèses dans lesquelles le conservateur peut refuser le dépôt ou rejeter la formalité ".

Ainsi il est maintenant certain que les conservateurs ne sont pas fondés à refuser de publier un acte du seul fait que la convention qu'il constate ou l'opération juridique qu'il a pour objet n'entre pas par sa nature dans la catégorie de celles dont la publication est expressément prévue ou autorisée. Ils ne peuvent opposer un refus que dans les cas exceptionnels où celui-ci est expressément prévu ou si la formalité requise concerne un droit dont la nature mobilière est indiscutable.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 488 A III (feuilles vertes), 835 et 837 A (feuilles vertes).