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ARTICLE 735

PUBLICATION D'ACTES

Actes soumis à publication. - Opposabilité aux tiers.
demande en justice tendant à la réalisation d'une vente en la forme authentique. - Défaut d'annexe à la demande ou de reproduction dans celle-ci d'un acte sous seings privés constatant la vente.

PROCEDURE.

Action en justice engagé, à l'occasion de formalités hypothécaires, contre le conservateur et le Directeur Général des Impôts.
Mise en cause injustifiée.

JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE LA SEINE (2° chambre) DU 30 OCTOBRE 1967

Le Tribunal...

Attendu que suivant exploit de Morin, huissier de Justice à Paris, en date des 29 et 31 mai 1967 et en vertu d'une ordonnance rendue sur requête par M. le Président du Tribunal de Grande Instance de la Seine en date du 24 mai 1967, dame Françoise Chadwick, épouse contractuellement séparée de biens de Marcel Amic, a fait assigner à jour fixe :

1° les époux Labbé-Tavennec,

2° le Conservateur du .... bureau des hypothèques de la Seine,

3° le Directeur des Impôts (Enregistrement et Domaines) du département de la Seine,

A l'effet :

a) de voir ordonner que la publication faite au ... bureau des Hypothèques de la Seine à 13 février 1967 (vol. 6.539 n° 5) d'une assignation en date du 8 février 1967 du ministère de Saint-Denis, huissier à Paris, à la requête des époux Labbé, sera rayée par le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine,

b) de voir déclarer commun à M. le Conservateur du premier Bureau des Hypothèques de la Seine et à M. le Directeur des Impôts du département de la Seine (Enregistrement et Domaines) le jugement à intervenir,

c) de voir condamner conjointement et solidairement les époux Labbé en tous les dépens ;

Attendu qu'au soutien de sa demande dame Amic expose,: qu'ayant promis de vendre suivant acte sous seing privé du 21 janvier 1967 - enregistré le 24 janvier 1967 - à un sieur Rebuffel, moyennant le prix de 350.000 francs, un appartement et ses dépendances dont elle était propriétaire à Paris, 180, boulevard Saint-Germain, le notaire C... procéda à la réalisation de cette vente suivant acte authentique du 27 février 1967 et qu'il apprit lorsqu'il voulut faire publier son acte au ... bureau des Hypothèques de la Seine, la publication antérieurement faite audit bureau, le 13 février 1967, par les époux Labbé d'une assignation que ceux-ci avaient fait délivrer à dame Amic le 8 février 1967 suivant exploit de S.., huissier de justice à Paris, à l'effet :

a) de voir dire et juger que faute par cette dernière de régulariser à leur profit la vente de l'appartement sus-désigné, aux conditions convenues entre eux, et ce dans le mois du jugement définitif à intervenir, ledit jugement vaudrait acte de vente et serait publié à la Conservation des Hypothèques,

b) de voir condamner dame AMIC à leur payer la somme de 100.000 francs à titre de dommages intérêts et de la voir condamner en tous les dépens ;

Attendu que dame Amic soutient que la publication par les époux Labbé de cette assignation a amené le notaire C... à ne pas lui remettre le prix de la vente par elle consentie au sieur Rebuffel mais à consigner les fonds à la Caisse des Dépôts et Consignations, ce qui ne manque pas de lui causer le plus grave préjudice ; que, d'autre part, cette publication litigieuse a été faite par les époux Labbé par pure malignité, sans aucun droit ni titre, et surtout au mépris des dispositions de l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière ;

Attendu en effet que si aucune condamnation n'est requise par dame Amic à l'encontre des représentants de l'Administration et en particulier du Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine, il leur est cependant fait grief de ne pas avoir exigé que, conformément à cet article, la prétendue promesse de vente invoquée par les époux Labbé fut reproduite intégralement dans l'assignation du 8 février 1967 ou qu'elle y fut annexée et de ne pas avoir refusé la publication faute par les époux Labbé d'avoir satisfait à cette exigence ;

Attendu qu'en ce qui les concerne les époux Labbé demandent au Tribunal, aux termes d'un acte du Palais du 18 juillet 1967 d'ordonner la jonction de la présente procédure de radiation introduite par dame Amic avec celle qu'ils ont eux-mêmes engagé contre elle, aux fins de réalisation de vente, le 8 février 1967, laquelle a été également distribuée à la deuxième Chambre sous le numéro 58.792 du rôle particulier et qui doit être plaidée à l'audience du 12 décembre 1967 ;

Attendu que dame Amic s'oppose à cette jonction en faisant justement observer qu'il s'agit de deux actions absolument indépendantes l'une, de l'autre, la question de savoir si le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine devait ou non accepter la publication de l'assignation des époux Labbé en date du 8 février 1967 étant absolument distincte du bien ou du mal fondé de la demande en réalisation de vente contenue dans cette assignation ; qu'il échet dès lors de rejeter la demande de jonction formée par les époux Labbé et de dire qu'il sera statué sur les deux instances dont s'agit par deux jugements distincts alors au surplus que dame Amic fait à bon droit valoir que le caractère d'urgence de l'instance par elle engagée contre les époux Labbé aux fins de radiation de la publication susvisée a déjà été judiciairement reconnu puisqu'elle a obtenu du magistrat compétent une autorisation d'assigner " à jour fixe " ;

Attendu qu'il y a lieu d'ailleurs de préciser que les parties ont débattu contradictoirement du fond de cette affaire à audience du 11 octobre 1967, non sans que les époux Labbé aient préalablement conclu le 9 octobre 1967, tant à l'irrecevabilité qu'au mal fondé de la demande de radiation de dame Amic ;

Attendu que les époux Labbé font notamment valoir, au soutien de leur thèse que l'argument tiré par dame Amic de l'article 37 du décret du 4 janvier 1955 est un mauvais grief de sa part puisque leur demande en justice ne tend pas à la réitération ou à la réalisation d'un " acte ", mais à voir constater l'accord parfait intervenu sur la chose et sur le prix et à voir consacrer la vente, le jugement à intervenir ne valant vente qu'à défaut de régularisation devant notaire ; qu'ils ajoutent que cette demande pouvait parfaitement être publiée en la forme où elle l'a été et qu'elle devait l'être dans l'intérêt de tous ;

Attendu qu'en ce qui le concerne, le Directeur Général des Impôts a conclu à bon droit à sa mise hors de cause, aux termes de conclusions du 4 octobre 1967, en faisant valoir en effet que, par une dérogation expresse aux règles du droit administratif, les actes accomplis par un Conservateur des Hypothèques dans l'exercice de ses fonctions sont toujours des actes personnels et non des actes de service ; que la doctrine et la jurisprudence ont posé pour principe que la responsabilité du Conservateur a sa base légale dans les articles 1382 et 1383 du Code Civil dont les articles 2197 et 2198 de ce Code - qui lui sont consacrés plus spécialement - ne sont qu'une application ; que c'est d'ailleurs en contrepartie de cette responsabilité que, bien que fonctionnaire relevant du ministère de l'Economie et des Finances, le Conservateur perçoit, sous le nom traditionnel de " salaires ", des émoluments fixés par un tarif officiel et payés par les requérants lors de l'accomplissement des formalités ; que c'est aussi pour cette raison qu'il est tenu de constituer un cautionnement à l'égard des tiers ; que, par voie de conséquences, ses actes n'engagent en rien la responsabilité de l'Etat et qu'il est au contraire personnellement responsable des opérations qui lui sont confiées ; qu'il a dès lors seul qualité pour trancher, sous le contrôle des tribunaux, les difficultés que soulèvent ces opérations et que l'Administration ne saurait en aucun cas voir substituer sa propre responsabilité à celle que la loi impose au conservateur ; qu'il s'ensuit que le Directeur Général des Impôts (Enregistrement et Domaines) doit rester étranger à l'action introduite contre le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine et qu'il échet de le mettre purement et simplement hors de cause ;

Attendu que, de son côté, aux termes de conclusions du 3 octobre 1967, le Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine sollicite également sa mise hors de cause en soutenant qu'en acceptant de publier l'assignation signifiée, à la requête des époux Labbé, à dame Amic, il a agi régulièrement n'ayant - précise-t-il - aucun moyen légal de refuser ou de rejeter la publicité requise ; qu'enfin la demande de radiation formée par dame Amic n'est pas recevable, la radiation d'une publication n'étant permise par les textes qui régissent la publicité foncière ; qu'en ce qui concerne les inscriptions de privilèges ou d'hypothèques et les commandements valant saisie alors qu'une décision judiciaire portant annulation de toute autre publication ne peut être exécutée qu'au moyen d'une nouvelle publication (en l'espèce, du jugement à intervenir) requise dans les formes prévues par l'article 34 du décret du 4 janvier 1955 ;

Attendu en droit que si, rompant avec l'ancienne conception du rôle passif du Conservateur des Hypothèques et avec le principe posé par l'ancien article 2199 du Code Civil, selon lequel un Conservateur ne pouvait, en aucun cas, refuser ni retarder la transcription des actes de mutation, l'inscription des droits hypothécaires ni la délivrance des états requis, le décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière, et le décret modificatif du 7 janvier 1959 ont reconnu au Conservateur un droit de contrôle pouvant aller jusqu'au refus du dépôt sollicité ou au rejet de la formalité requise, encore convient-il de préciser que ce droit ne peut être exercé que dans les cas déterminés où les textes législatifs ou réglementaires le permettant ;

Attendu que l'article 2199 du Code Civil, qui a été lui-même modifié par le décret n° 59-89 du 7 janvier 1959, dispose, en effet que " En dehors des cas où ils sont fondés à refuser le dépôt ou à rejeter une formalité, conformément aux dispositions législatives ou réglementaires sur la publicité, les conservateurs ne peuvent refuser ni retarder l'exécution d'une formalité, ni la délivrance des documents régulièrement requis, sous peine de dommages-intérêts des parties " ... et sous peine des sanctions prévues par l'article 2202 du même Code, pouvant aller jusqu'à la destitution ;

Or, attendu que si l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955 invoqué en l'espèce par dame Amic, dispose que peuvent être publiées au bureau des Hypothèques de la situation des immeubles qu'elles concernent, pour l'information des usagers, les demandes en justice qui tendent à obtenir la réitération ou la réalisation en la forme authentique d'actes qui n'ont pas été dressés en cette forme et auxquelles sont annexées les dits actes ou dans lesquelles ils sont littéralement reproduits, aucun texte ne permettait au conservateur des Hypothèques de la Seine de refuser aux époux Labbé la publication de leur assignation du 8 février 1967 tendant à obtenir la réalisation de la vente d'un appartement qui leur aurait été consentie par dame Amic au seul motif que l'acte sur lequel se fondait les demandeurs n'était ni annexé à la demande soumise à publicité, ni littéralement reproduit dans le corps de la demande ;

Attendu en effet que si l'on se réfère au décret du 4 janvier 1955 ou au décret du 14 octobre 1955 pris pour l'application du décret précédent, l'on constate que le législateur, notamment à l'article 34 du décret du 4 janvier 1955 et aux articles 33 et 74 du décret du 14 octobre 1955, a pris soin de préciser les cas dans lesquels le conservateur pourrait refuser le dépôt ou rejeter la formalité, mais que parmi ces cas ne figure pas celui où le requérant aurait omis d'annexer à sa demande en justice ou de reproduire littéralement dans la demande les termes de l'acte dont la réitération était sollicitée du Tribunal ; qu'il en est de même à l'article 2148 du Code Civil ;

Attendu qu'il ne saurait dés lors être fait grief au conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine d'avoir accepté, pour l'information des usagers, comme le prévoit l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955, de publier l'assignation litigieuse dès lors que les droits prétendus des époux Labbé, les demandeurs y étaient nettement définis quant à leur objet et quant à leur nature ;

Attendu qu'il ne faut pas perdre de vue, en effet, que la " prénotation " ou " publication provisoire " autorisée par l'article 37-2 du décret du 4 janvier 1955 a essentiellement pour but de rendre public les droits prétendus du prénotant, de les conserver et, au cas où ils seraient judiciairement reconnus par la suite, de les rendre rétroactivement opposables aux tiers ; qu'il suffit donc, pour que cette prénotation produise effet, que les droits prétendus soient nettement définis quant à leur objet et quant à leur nature et qu'il importe peu, dès l'instant où les tiers en sont suffisamment informés à la seule lecture de la publication de la demande en justice, que celle-ci n'ait pas été accompagnée, en annexe, de l'acte sur lequel elle était fondée ni que les termes de cet acte n'y aient pas été littéralement reproduits, observation étant faite d'ailleurs qu'en l'absence de texte la prescrivant, aucune nullité de la prénotation litigieuse ne pourrait être tirée de l'omission invoquée par la dame Amic ; qu'il échet, dans ces conditions, de débouter cette dernière de toutes ses demandes, fins et conclusions.

PAR CES MOTIFS

Statuant contradictoirement, Dit n'y avoir lieu à jonction de la présente procédure " à jour fixe " engagée par dame Amic avec celle introduite par les époux Labbé suivant exploit du 8 février 1967 et dit qu'il sera statué par un jugement distinct sur chacune d'elles.

Ordonne la mise hors de cause de M. le Directeur général des Impôts.

Déboute dame Amic de toutes ses demandes, fins et conclusions concernant les époux Labbé et le conservateur du ... Bureau des Hypothèques de la Seine et la condamne aux dépens dont distraction au profit des avoués de la cause sur leurs affirmations de droit.

Observations: I. - Comme le Tribunal de Versailles, le 15 décembre 1964 (Bull. A.M.C., art. 625), le Tribunal de Grande Instance de la Seine a jugé, par la décision reproduite ci-dessous, qu'un conservateur avait à bon droit accepté de publier une demande en justice tendant à la réalisation d'une vente, bien qu'un acte sous seing privé constatant cette vente n'ait été ni annexé à la demande, ni reproduit dans celle-ci.

La Cour de Cassation s'est, par ailleurs, prononcée dans le même sens, en annulant, par un arrêt du 14 mars dernier (Bull. A.M.C., art. 734), l'arrêt de la Cour d'Appel de Paris du 29 janvier 1966 (Bull. A.M.C., art. 694) qui avait réformé le jugement susvisé du Tribunal de Versailles.

En présence de cette dernière décision, on peut tenir pour acquis que l'on ne peut faire grief à un conservateur d'avoir publié l'un des actes visés au 2° de l'art 37 du décret du 4 janvier 1955, complété par l'art. 9 du décret n° 59-89 du 9 janvier 1959, auquel n'était pas annexé ou dans lequel n'était pas reproduit l'acte sous seings privés contenant la convention à réitérer ou à réaliser en la forme authentique.

Accessoirement, le Tribunal de Grande Instance de la Seine a exprimé l'avis, bien que la question ne lui ait pas été expressément posée, que la publication de l'un des actes visés au § 2 de l'art. 37 précité du décret du 4 janvier 1955, avait pour effet de rendre opposable aux tiers les droits du requérant, à condition que cette publication soit suivie, dans les trois ans, de celle d'un acte authentique ou d'une décision judiciaire constatant la réitération ou la rédaction de la convention en cause, sans qu'il soit nécessaire que cette convention soit constatée dans un acte sous seings privés annexé à l'acte publié ou reproduit dans cet acte. Il rejoint sur ce point la Cour d'Appel de Bordeaux qui s'est prononcée dans le même sens par un arrêt du 11 mars 1965 (Bull. A.M.C., art. 626).

II. - Devant le Tribunal, la demanderesse avait assigné, en même temps que le conservateur, le Directeur général des Impôts.

Conformément aux conclusions de la Direction Générale des Impôts, le Tribunal a jugé que, en ce qui concerne l'accomplissement des formalités hypothécaires, le conservateur, exerçant ses fonctions à titre personnel, agissant sous sa seule responsabilité et que la Direction Générale, dont il n'est pas en cela le préposé, ne pouvait que rester étrangère aux actions en justice engagées contre lui. Il a mis en conséquence le Directeur général hors de cause.

En statuant ainsi, le Tribunal n'a fait que consacrer un principe incontesté.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 488-III, 679, 835 et 837 A-II (feuilles vertes).