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ARTICLE 741

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.
Réforme des régimes matrimoniaux. - Régimes de communauté.
Inscriptions requises au profit d'un seul des deux époux sans le concours de son conjoint. - Conditions et justifications.

(Rép. Min. Justice, 24 août 1968)

Question. - M. Cazenave expose à M. le Ministre de la Justice le fait que dans le cadre de la réforme des régimes matrimoniaux, certains Conservateurs des Hypothèques exigeraient le concours de la femme pour obtenir mainlevée d'une hypothèque inscrite par le mari en garantie d'une créance commune, contrairement tant aux règles relatives à l'administration des biens communs qu'à celles édictées par l'article 222 du Code Civil. Il lui demande quelles mesures il compte prendre pour imposer à tous le respect de la loi.

Réponse. - Il serait effectivement contraire tant à l'article 222 du Code civil, applicable sous tous les régimes matrimoniaux, qu'aux dispositions relatives à l'administration des biens communs d'exiger le concours d'un époux pour obtenir la radiation d'une hypothèque inscrite par l'autre, notamment dans le cas d'une inscription prise par le mari pour la sûreté d'une créance commune. Pour mettre fin à toute difficulté sur ce point, l'article 9 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 a ajouté au décret du 14 octobre 1955 sur la publicité foncière un article 59- 1 qui précise que le Conservateur des Hypothèques ne doit, pour opérer la radiation, exiger aucune justification des pouvoirs de l'époux qui a pris l'inscription, dès lors qu'il est certifié dans l'acte de mainlevée que la créance pour la sûreté de laquelle l'hypothèque a été inscrite résulte d'un contrat auquel cet époux a consenti sans le concours de son conjoint. Le refus du Conservateur des Hypothèques de faire application de ce texte constituerait une faute professionnelle de sa part et serait éventuellement de nature à engager sa responsabilité (art. 2199 du Code Civil) (J.O. 24 août 1968, Déb. Ass. Nat., p. 2688).

Observations. - I. - Nous avons déjà exposé, en commentant la loi du 13 juillet 1965, portant réforme des régimes matrimoniaux, les motifs pour lesquels nous estimons :

a) Que, dans un régime de communauté, le mari n'a plus, par application des art. 1421 et 1424 nouv. du Code Civil, le pouvoir de donner mainlevée sans le concours de sa femme que si la créance garantie par l'inscription à radier ne consiste pas en un prix de vente entrant dans les prévisions de l'art. 1424 nouv. susvisé et si la mainlevée constate le payement de cette créance. (Bull. A.M.C., art. 627 et § I de la lettre du Président de l'A.M.C., reproduite dans l'art. 674 du Bulletin) ;

b) Que l'art. 222 nouv. du Code Civil n'a pas apporté de dérogation à cette règle (V. le § III de la lettre susvisée), si ce n'est dans le cas exceptionnel où la créance garantie est représentée par une grosse au porteur. (Bull. A.M.C., art. 680).

Nous estimons dès lors inexact de prétendre, comme le fait la réponse ministérielle, que, par application tant de l'art. 222 nouv. du Code Civil que des règles relatives à l'Administration des biens communs, le Conservateur ne peut en aucun cas exiger le concours de la femme à l'acte de mainlevée d'une inscription hypothécaire prise en garantie d'une créance de communauté.

II. - L'art. 9 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967. (Bull. A.M.C., art. 702) a modifié les règles résultant, en matière de mainlevée, des art. 1421 et 1 424 du Code Civil, dans le cas d'inscriptions prises au profit d'un seul des deux époux.

Aux termes de l'art. 59- 1 inséré par cette disposition dans le décret du 14 octobre 1955, un époux peut, sans le concours de son conjoint, donner même en l'absence de constatation de payement, mainlevée d'une inscription prise à son seul profit, à la condition que la créance garantie par l'inscription à radier résulte d'un contrat auquel l'époux en cause avait consenti sans le concours de son conjoint.

Il appartient en principe aux intéressés de justifier de l'accomplissement de cette dernière condition. Toutefois, aux termes du second alinéa de l'art. 59-1, ils en sont dispensés "quand il est certifié dans l'acte que la créance résulte d'un tel contrat. "

D'après la réponse de la Chancellerie, il résulterait de cette disposition que, pour procéder à la radiation, en vertu d'une mainlevée régie par l'art. 59-1, le Conservateur ne peut demander " aucune justification "

Ainsi exprimée, l'interprétation donnée au 2° alinéa de l'art. 59-1 est trop large.

Ce dont les requérants sont dispensés par cette disposition, c'est de justifier " du pouvoir qu'a l'époux de donner mainlevée seul " c'est-à-dire sans le concours de son conjoint. Ils restent tenus par contre des autres justifications de leur capacité à donner mainlevée, qui sont étrangères à la nouvelle disposition. En particulier, en cas de mainlevée consentie par un mandataire, il doit être justifié des pouvoirs de ce dernier.

Aucune justification du régime matrimonial n'a par contre à être demandée.

D'une part, en effet, l'art. 59-1 ne distingue pas selon le régime sous lequel est marié l'époux bénéficiaire de l'inscription à radier.

D'un autre côté, la disposition du premier alinéa de l'art. 59-1 qui autorise un époux à donner mainlevée sans le concours de son conjoint " même en l'absence de constatation de payement " dispense les intéressés de toute justification concernant la réalité et la régularité du payement de la créance garantie, même lorsque, selon les règles du droit commun, ce payement forme la condition de la validité de la mainlevée. Spécialement, les intéressés n'ont pas à justifier que l'époux qui a consenti la mainlevée n'était par soumis par son régime matrimonial à une obligation d'emploi ou de remploi opposable aux tiers.

L'opinion contraire exprimée dans le dernier alinéa de l'art. 702 du Bulletin doit être abandonnée.

Annoter : C.M.L. 2° éd., n° 1080, 1081 et 1083 ; Jacquet et Vétillard. V° Femme mariée n° 16, 18 (p. 196 et suiv.) et 129 (p. 286).