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ARTICLE 744

PROCEDURE.

Exploit. - Enonciations prescrites. - Caractère substantiel.
Omission. - Nullité

ARRET DE LA COUR DE CASSATION (Ch. civile) DU 27 OCTOBRE 1967 (1)

SOMMAIRE. - La nullité qui résulte de l'omission d'une formalité substantielle doit être prononcée sans qu'il y ait lieu de vérifier si elle a eu ou non pour effet de porter atteinte aux droits de la défense ; le caractère substantiel est attaché, dans les actes de procédure, à ce qui tient à sa raison d'être et lui seul est indispensable pour remplir son objet ; il en est ainsi de la demeure du demandeur qui doit être précisément indiquée.

(1) D. 1968 - 521 et note Lobin.

Observations. - Le sommaire de l'arrêt ci-dessus est publié comme justification du conseil donné aux Conservateurs de s'efforcer de limiter les mises en cause abusives en refusant les assignations impersonnelles qui leur sont remises ou tout au moins en concluant à leur nullité lorsqu'aucune faute personnelle ne leur est imputée.

Tout d'abord, la Cour maintient la distinction (peu contestée) en ce qui concerne les irrégularités dans les actes de procédure entre les formalités substantielles et les formalités secondaires; le caractère substantiel étant attaché à ce qui tient à la raison d'être de l'acte et lui est indispensable pour remplir son objet.

Tel est bien le cas, pour l'exploit d'ajournement, de l'énonciation des nom, qualité et demeure du défendeur.

Non seulement parce que cette énonciation est prescrite par divers textes : sous peine de nullité (art. 61-3, C. p. c.) pour l'exploit d'ajournement et pour le chapeau du jugement (art. 141 C. p. c.), ou, sous peine d'irrecevabilité (art. 78 C. p. c.), pour les conclusions.

Mais surtout parce que cette précision est essentielle pour que celui à qui un exploit d'ajournement est remis, sache, sans hésitation aucune, s'il a l'obligation d'intervenir dans l'instance, sous peine d'être jugé par défaut, que la décision aura, à son égard, l'autorité de la chose jugée et que, le cas échéant, il devra l'exécuter et payer les dépens mis à sa charge.

Or, contrairement à une opinion assez courante (que renforce son acceptation par le Conservateur) l'assignation impersonnelle ne remplit ni les prescriptions légales, ni son objet.

En effet, par dérogation expresse aux règles du droit administratif, le Conservateur des Hypothèques est seul et personnellement responsable de ses opérations civiles. En cela, il n'est, en rien, le préposé de l'Administration qui doit rester en dehors des instances qu'elles motivent (Sol, D.G. 16 juillet 1962, Bull. A.M.C. 521). Ce qui fait que le Conservateur ne peut être assigné en cette qualité ni non plus en la seule qualité de Conservateur des Hypothèques, puisqu'il n'y a pas de responsabilité administrative.

D'autre part, du fait que la responsabilité est personnelle, aucune solidarité ne lie les divers titulaires d'un poste. Chacun d'eux répond uniquement de son fait et nullement de celui de son prédécesseur. Ses engagements ou sa condamnation personnelle, et à plus forte raison impersonnelle, ne s'imposent point à son successeur. Ainsi qu'il a été jugé, une condamnation impersonnelle est inexécutable (Alger, 16 novembre 1949, Bull. A.M.C. 56) à l'encontre de tout autre que celui qui a conclu personnellement.

En second lieu la Chambre civile réaffirme la conséquence qu'elle a tirée de sa distinction entre les formalités substantielles et les secondaires, à savoir que dans les cas des premières la nullité doit être prononcée sans qu'il y ait lieu de vérifier si l'omission commise a eu ou non pour effet de porter atteinte aux droits de la défense.

Car, se fondant sur la lettre des articles 70 et 173 du Code de Procédure civile, une jurisprudence, appuyée par une partie de la doctrine, décide toujours qu'il appartient aux juges de ne prononcer la nullité que s'ils estiment qu'elle a nui aux droits de la défense. Dans ce sens il a été jugé que l'assignation impersonnelle du Conservateur ne devait pas être annulée dès lors : qu'elle lui avait été délivrée personnellement (Belfort, 3 avril 1962, Bull. A.M.C. 516) ; qu'il n'a pas de ce chef subi de préjudice particulier (Pontivy, 17 mars 1954, Bull. A.M.C. 213) ; que le Conservateur s'est facilement reconnu dans l'exploit à lui délivré et n'a nullement souffert, dans sa défense, de l'omission par lui alléguée (Boulogne, 27 janvier 1938, J. Conserv. 12118).

Comme dans ces divers cas aucune condamnation n'a été prononcée à l'encontre du Conservateur, la Cour de Cassation n'a pas eu à en connaître, non plus que des arrêts qui ont prononcé la nullité de l'assignation impersonnelle (Alger, 16 novembre 1954, précité ; Riom, 14 janvier 1952, Bull. A.M.C. 123 ; Bordeaux, 29 janvier 1962, Bull. A.M.C. 514). On ne peut donc préjuger de sa décision. Mais il serait étonnant qu'elle soit différente, étant donné que l'arrêt rapporté confirme une opinion constante (Cass. civ., 3 mars 1955, D. 55, som. 79 ; 12 décembre 1956, D. 57-589 ; 16 juillet 1959, J.C.P. 59-11-11317 ; 4 novembre 1963, D. 64-144 ; 29 janvier 1964, D. 64, som. 84 ; 27 février 1967, D. 67-301 ; V. Paris, 8 novembre 1963, J.C.P. 11-13632 qui a annulé l'assignation adressée à " Mademoiselle " au lieu de " Madame ".

D'autant qu'on peut soutenir avec raison que l'assignation impersonnelle du Conservateur nuit à la défense, Car si elle n'est pas remise à l'auteur de la faute imputée, elle fait perdre à celui qui l'accepte la qualité de tiers avec les avantages que cette qualité comporte et elle peut donner lieu à une défense insuffisante si le concluant ne connaît pas, ou ne partage point, les raisons qui ont motivé l'acte ou le refus incriminé de son prédécesseur.

Annoter : Jacquet et Vétillard, p. 371, n° 4 et p. 435, n° 57 ; C.M.L. 2° éd., n° 1364, 2047 et 2048 ; Etude Masounabe-Puyanne, Bull. A.M.C. 517.