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ARTICLE 755

MENTION EN MARGE DES INSCRIPTIONS.

Subrogations et cessions d'hypothèques.
Modification des régimes matrimoniaux.
Loi du 13 juillet 1965 et article 59-1 nouv. du décret du 14 octobre 1955.
Pouvoirs du mari.

Question. - Quels sont les pouvoirs du mari commun en biens en matière de subrogation dans le bénéfice d'une inscription hypothécaire ou de cession d'hypothèque, sous l'empire de la loi du 13 juillet 1965, portant réforme des régimes matrimoniaux (Bull. A.M.C., art. 627, 654 et 674) et de l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955 (art. 9) du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 (Bull. A.M.C., art. 702).

Réponse. - I. La question posée soulève une difficulté préjudicielle: l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955 est-il applicable aux subrogations et cessions d'hypothèques ?

Ce texte porte que " la mainlevée d'une inscription prise au profit d'un époux est donnée par cet époux seul, même en l'absence de constatation de payement, toutes les fois que la créance pour sûreté de laquelle l'hypothèque ou le privilège a été inscrit résulte d'un contrat auquel il avait consenti sans le concours de son conjoint ". Il déroge ainsi, pour ce qui concerne les époux mariés sous un régime de communauté, aux dispositions de la loi du 13 juillet 1965 déterminant les pouvoirs respectifs du mari et de la femme (v. Bull. A.M.C., art. 702 précité) et, comme tout texte dérogatoire, doit être interprété restrictivement.

On serait dès lors tenté de penser que le texte en cause ne régit que les mainlevées, qui y sont seules visées et que les subrogations et cessions demeurent placées sous l'empire des seules dispositions de la loi du 13 juillet 1965.

On peut difficilement cependant se montrer plus exigeant à l'égard du créancier qui consent une subrogation ou une cession ayant pour objet une hypothèque, qui est généralement l'accessoire d'une opération principale - subrogation ou cession portant sur la créance garantie par l'hypothèque - comportant une contrepartie qu'à l'égard du créancier qui consent une mainlevée sans payement, c'est-à-dire qui renonce purement et simplement à sa garantie hypothécaire.

Nous estimons en conséquence qu'il est conforme aux intentions des auteurs de l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955 d'admettre l'application de cette disposition aux subrogations dans le bénéfice d'une inscription hypothécaire consentie par le créancier et aux cessions d'hypothèques.

En fait, cette interprétation libérale ne trouvera probablement que peu d'occasions de s'appliquer tant donné que les transmissions d'hypothèques, que ce soit par voie de subrogation ou de cession, sont le plus souvent constatées dans le même acte que la convention principale - subrogation dans un droit de créance ou cession de créance - dont elles sont l'accessoire et que cette convention principale n'entre pas dans le champ d'application de l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955 et n'est régie que par les dispositions de la loi du 13 juillet 1965,

Le Conservateur n'a cependant pas à se préoccuper de la régularité de la convention principale ; il lui appartient seulement de s'assurer de la validité du transfert d'hypothèque résultant de la subrogation ou de la cession. Il suffit que, pour ce qui concerne ce transfert, il soit satisfait, le cas échéant, aux conditions posées à l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955, pour qu'il puisse être mentionné en marge de l'inscription.

Compte tenu des observations qui précèdent, la question posée comporte les réponses suivantes :

II. Subrogation consentie par le créancier. - Pour qu'une subrogation soit valablement consentie, il suffit, lorsqu'elle émane du créancier (art. 1250-1°-C.C.), que ce dernier ait le pouvoir de recevoir un payement (Jacquet et Vétillard, V° subrogation, n° 3, p. 727). Toutefois, selon une certaine opinion, au cas où il s'agit d'une créance non échue, il faut qu'il ait la capacité de céder la créance (même référence).

Lorsque la créance dépend d'une communauté conjugale, le mari a, en principe, le pouvoir d'en recevoir seul le payement (art. 1421 nouv. du Code Civil) ; toutefois le concours de la femme est nécessaire lorsque la créance consiste dans le prix de vente d'un immeuble, d'un fonds de commerce ou d'une exploitation ou encore dans celui de droits sociaux non négociables ou de biens meubles corporels dont l'aliénation est soumise à publicité (art. 1424 nouv. du Code Civil). La même distinction selon la nature de la créance s'impose en matière de cessions de créances : le mari ne peut, en effet, consentir seul la cession d'une créance dont il n'aurait pas le pouvoir de recevoir le montant à l'échéance sans le concours de sa femme.

L'application de ces principes combinés avec la règle inscrite dans l'article 59-1 nouveau du décret du 14 octobre 1955 aux transmissions d'hypothèques par voie de subrogation ou de cession conduit aux conséquences suivantes :

Le mari peut consentir seul la subrogation lorsque la créance garantie par l'hypothèque n'entre pas dans la catégorie de celles énumérées ci-dessus, qui sont visées à l'art. 1424 nouveau du Code Civil, notamment lorsqu'elle résulte d'un prêt.

Il en est de même lorsqu'il s'agit d'une créance entrant dans les prévisions de l'art. 1424 si sont remplies les conditions prévues à l'art. 59-1 nouv. du décret du 14 octobre 1955, c'est-à-dire si l'inscription est prise au profit du mari seul et si de plus la créance garantie résulte d'un contrat auquel il a consenti sans le concours de sa femme.

Ce n'est que si, dans le cas d'une créance visée à l'art 1424, les deux conditions susvisées ne sont pas remplies que le consentement des deux époux à la subrogation doit être exigé.

III. - Subrogation consentie par le débiteur. - Dans le cas prévu à l'art. 1250-2° du Code Civil où la subrogation peut être consentie par le débiteur, celui-ci, pour que son consentement soit valable, doit avoir la capacité de contracter un emprunt. (Jacquet et Vétillard, V° subrogation, n° 3, p. 727).

Aux termes de l'art. 1424 du Code Civil, dans le cas d'une communauté conjugale, le mari ne peut, sans le consentement de sa femme, grever de droits réels les immeubles dépendant de la communauté. Sans doute, en cas de subrogation portant sur une créance hypothécaire, s'agit-il d'immeubles déjà grevés. Mais la subrogation a pour effet de maintenir au profit d'un tiers une hypothèque qui se serait éteinte si, conformément aux obligations qu'il avait prises à l'égard de son créancier originaire, le débiteur s'était purement et simplement libéré. La subrogation équivaut par conséquent à une nouvelle constitution d'hypothèque qui ne peut être consentie qu'avec le consentement de la femme.

Par ailleurs, dès lors qu'il s'agit d'une subrogation consentie par le débiteur, et non par le créancier, l'art 59-1 nouv. du décret du 14 octobre 1955 ne peut trouver à s'appliquer.

En conséquence, en cas de subrogation par le débiteur dans le bénéfice d'une hypothèque grevant les immeubles d'une communauté conjugale, le consentement des deux époux doit, en toute hypothèse, être exigé.

IV. - Cession de créance. - Comme on l'a indiqué plus haut v. § II), le mari a le pouvoir de céder seul les créances communes, lorsque celles-ci n'entrent pas dans les prévisions de l'art. 1424 du Code Civil (v. même § ). Dans le cas contraire, le concours de la femme est nécessaire.

Par ailleurs, pour les motifs exposés au § I du présent article, l'art. 59-1 du décret du 14 octobre 1955 est applicable aux cessions d'hypothèques.

Il en résulte que, finalement, les pouvoirs du mari sont les mêmes en matière de cessions d'hypothèques que dans le cas de subrogation consentie par le créancier (v. § II, ci-dessus).

En conséquence, le concours de la femme n'est nécessaire que lorsque la créance garantie par l'inscription entre dans la catégorie de celles visées à l'art 1424 du Code Civil, ce qui est le cas, en particulier, d'un prix de vente d'immeubles, et que, de plus, l'inscription a été prise au profit des deux époux ou que l'acte duquel résulte la créance a été dressé avec le consentement de la femme.

Dans les autres cas et spécialement lorsque la créance garantie résulte d'un prêt, le consentement du mari seul est suffisant.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Cession de créance, n° 3, p. 97 et V° Subrogation, n° 3, p. 727 ; C.M.L. 2 éd., n° 429, 435 et 436.