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ARTICLE 761

PUBLICITE FONCIERE.

Effet relatif des formalités. - Inscription.
Immeubles sortis, en vertu d'un acte publié, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau.
Rejet.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PARIS (1ere CHAMBRE)
DU 29 NOVEMBRE 1968

LA COUR...

Considérant, en fait, que le 30 décembre 1964, la Société Générale de Fonderie a fait inscrire, au ... bureau des Hypothèques de la Seine, une hypothèque judiciaire sur l'appartement de ses débiteurs, les époux Gérardin, situé 14, avenue Ledru-Rollin à Paris ; qu'un état préalablement requis du Conservateur le 25 juin 1964 et adressé par lui à la Société le 10 septembre 1964 avait fait apparaître que les époux Gérardin étaient bien propriétaires de l'appartement : que, postérieurement à l'inscription de son hypothèque, la Société Générale de Fonderie a appris que ledit appartement avait été vendu à un tiers, la Société des Usines Rhône-Poulenc, suivant acte notarié du 26 juin 1964, publié au ... bureau des Hypothèques de la Seine le 1er septembre 1964 ; qu'ainsi, la société créancière dut procéder à la mainlevée de son inscription ; qu'elle assigna R..., Conservateur du ... bureau des Hypothèques de la Seine, en remboursement des frais frustratoires d'inscription et de mainlevée qu'elle avait exposés (soit 1.628,58 francs), reprochant à celui-ci d'avoir omis de lui signaler, avant de procéder à l'inscription, la discordance entre le nom du propriétaire indiqué dans la réquisition d'inscription et le nom du propriétaire figurant au fichier immobilier ; que c'est dans ces conditions que le jugement déféré à la Cour, constatant que le Conservateur avait négligé de notifier à la société créancière l'existence de cette discordance, alors que l'article 34, paragraphe 3, du décret modifié du 14 octobre 1955 l'obligeait à faire une telle notification, l'a condamné à désintéresser la Société Générale de Fonderie ;

Considérant, qu'au soutien de son appel, R... affirme n'avoir commis aucune faute; qu'il invoque les dispositions de l'article 3 du décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière aux termes duquel " aucun acte ou décision judiciaire sujet à publicité dans un bureau des Hypothèques, ne peut être publié au fichier immobilier si le titre du disposant ou dernier titulaire n'a pas été préalablement publié... " ; qu'il prétend qu'en vertu de " l'effet relatif " des inscriptions, institué par ce texte, le Conservateur chargé d'inscrire une hypothèque sur l'immeuble d'un débiteur doit seulement s'assurer que le titre originaire de propriété de ce dernier a bien été publié, sans être obligé, en outre, de signaler l'existence de formalités ultérieures faisant apparaître des transferts de propriété ou d'autres droits, dont il n'a pas à apprécier la régularité ; qu'il soutient qu'en l'espèce, aucune " discordance " n'existait, au sens de l'article 2148 du Code Civil et de l'article 34 du décret du 14 novembre 1955, entre l'inscription requise à l'encontre des époux Gérardin et le titre de propriété de ceux-ci, préalablement et régulièrement publié; qu'il ajoute, qu'aux termes de l'article 2199 du Code Civil, un Conservateur des Hypothèques est passible de dommages-intérêts lorsqu'il retarde, en dehors des cas limitativement prévus par la loi et les règlements, l'exécution d'une formalité ; qu'il fait enfin observer que si la Société Générale de Fonderie avait pris soin de requérir un nouvel état avant de faire inscrire son hypothèque, elle aurait constaté que ses débiteurs n'étaient plus propriétaires et aurait pu ainsi éviter d'exposer des frais inutiles ; que l'appelant demande, en conséquence à la Cour de réformer le jugement entrepris et de débouter la société intimée de ses demandes, fins et conclusions ;

Considérant que, par acte du Palais du 25 mai 1968, la Société Générale de Fonderie a conclu à la confirmation du jugement ; qu'elle soutient que R... a commis une faute professionnelle génératrice du préjudice qu'elle a subi, en s'abstenant de lui signaler - ainsi que le décret du 14 octobre 1955 lui en faisait obligation - la discordance entre le nom du " dernier titulaire " du droit de propriété, tel qu'il résultait de la publication de la vente du 20 juin 1964 et le nom du propriétaire dudit immeuble figurant sur le bordereau d'inscription hypothécaire ;

Considérant, en droit, qu'aux termes de l'article 34, paragraphe premier du décret du 14 octobre 1955 portant application du décret du 4 janvier 1955 sur la réforme foncière (modifié par le décret du 7 janvier 1959) : " Lorsqu'il a accepté le dépôt et inscrit la formalité au registre prévu à l'article 2200 du Code Civil, le Conservateur ........ s'assure de la concordance du document déposé et des documents publiés depuis le 1er janvier 1956 tels qu'ils sont répertoriés sur les fiches personnelles ou les fiches d'immeubles, en ce qui concerne a) la désignation des parties ; b) la qualité du disposant ou de dernier titulaire, au sens du 1° de l'article 32, de la personne indiquée comme telle dans le document déposé ; c) la désignation des immeubles ". Que le paragraphe 3 du même texte précise : " En cas d'inexactitude ou de discordance ......, le Conservateur ne procède pas aux annotations sur le fichier immobilier ; il notifie dans le délai maximum d'un mois à compter du dépôt, les inexactitudes (ou) discordances relevées, au signataire du certificat d'identité porté au pied de tout bordereau... " ;

Considérant que l'expression " disposant ou dernier titulaire " est définie à l'article 32, paragraphe 1 du décret ; qu'elle " s'entend de la personne dont le droit se trouve transféré, modifié, confirmé, grevé ou éteint - ou est susceptible de l'être - avec ou sans son consentement, par la formalité dont la publicité est requise " ;

Considérant en l'espèce, que le " dernier titulaire " du droit de propriété sur l'immeuble, tel qu'il apparaissait au fichier, était bien la Société des Usines Rhône-Poulenc et non leurs auteurs et vendeurs les époux Gérardin ; que l'hypothèque dont l'inscription était requise avait évidemment pour effet de grever le droit de propriété de ce dernier titulaire ; qu'il s'ensuit que le Conservateur, en constatant la discordance entre l'identité du propriétaire désigné par le créancier et celle figurant au fichier, aurait dû surseoir à l'inscription de l'hypothèque et aviser la Société Générale de Fonderie de la discordance ainsi constatée ; qu'en s'abstenant de cette diligence prescrite par les textes. R... a f ait exposer inutilement à cette société des frais d'inscription et de radiation dont il lui doit le remboursement ; qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris ;

Par ces motifs :

Déclare R... recevable mais mal fondé en son appel ;

Confirme le jugement entrepris ;

Condamne R... aux entiers dépens de l'instance...

Observations. - Confirmant le jugement du Tribunal de Grande Instance de la Seine du 20 juin 1967 (Bull. A.M.C., art. 719), la Cour d'Appel a jugé, comme les premiers juges, que lorsqu'une inscription est requise sur un immeuble déjà sorti du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau, en vertu d'un acte publié, il existe entre le bordereau présenté et les documents antérieurement publiés une discordance, au sens des articles 2148 du Code Civil et 34 du décret du 14 octobre 1955, qui met le Conservateur dans l'obligation de rejeter l'inscription.

Ainsi que nous l'avons signalé en publiant le jugement attaqué, cette décision n'a plus qu'un intérêt rétrospectif. L'article 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 a, en effet, en complétant l'article 34, paragraphe 2 du décret du 14 octobre 1955, apporté à cette dernière disposition une précision qui supprime la difficulté pour l'avenir (v. Bull. A.M.C., art. 709).

Annoter: C.M.L. 2° éd., n° 490 A k II, 490 A n II et 490 A p III (feuilles vertes).

Voir AMC n° 1452.