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ARTICLE 783

PROCEDURE

Inscription d'hypothèque judiciaire provisoire. - Instance entre parties.
Radiation ordonnée par le Président du Tribunal :

I. Exécution provisoire prescrite.
Radiation impossible avant que l'ordonnance soit passée en force de chose jugée.

II. Litige au sujet de l'exécution de la radiation.
Président du Tribunal incompétent.

ORDONNANCE DU PRESIDENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MARSEILLE DU 18 AVRIL 1969

Attendu que, par ordonnance en date du 31 mars 1969, B. a été autorisé à faire procéder à la radiation de l'inscription hypothécaire provisoire qui avait été prise au 1er et au 2° bureau des Hypothèques de Marseille, sur divers immeubles et parts indivises lui appartenant, qui avaient été grevés d'une hypothèque au profit de M... ;

Attendu que le Conservateur des Hypothèques de Marseille a refusé de procéder à la radiation sollicitée, motif pris de ce que l'article 54, § 6, du Code de Procédure Civile précise que la radiation sera opérée sur le dépôt de l'ordonnance du magistrat passée en force de chose jugée ;

Attendu que M... a interjeté appel de cette décision et a notifié son appel au Conservateur des Hypothèques le 11 avril 1969 ;

Attendu que l'ordonnance par laquelle a été autorisée la radiation de l'hypothèque à la suite du désistement, d'instance de M... n'a pas été assortie d'un certificat de non appel et ne pouvait l'être ;

Attendu que l'article 54-6 du Code de Procédure Civile, en décidant que la radiation serait prononcée au vue d'une ordonnance passée en force de chose jugée, exige que cette décision juridictionnelle soit devenue définitive, c'est-à-dire que les moyens de recours à l'encontre de cette ordonnance aient été épuisés ;

Attendu que cette disposition se comprend d'autant mieux que s'il était procédé par provision à la radiation de l'inscription hypothécaire et s'il advenait que l'ordonnance soit mise à néant en cause d'appel, la réinscription de l'hypothèque ne pourrait prendre effet qu'à la date de la réinscription sans pouvoir rétroagir à la date de la première inscription ;

Attendu que c'est donc avec raison que le Conservateur des Hypothèques a refusé de radier l'inscription hypothécaire ; qu'il convient de débouter B.., de sa demande ;

Par ces motifs :

Nous, Chevanne, Président du Tribunal de Grande Instance de Marseille, assisté de A. Levy, greffier, statuant publiquement, contradictoirement, et, après en avoir délibéré conformément à la loi, en matière de référé...

Déboutons B... de sa demande et le condamnons aux dépens du présent référé...

Observations. - I. Les ordonnances de référé rendues par le Président du Tribunal dans les conditions prévues par les art. 806 et suivants du Code de Procédure Civile sont, de plein droit, exécutoires par provision art. 809). Mais ces décisions ne peuvent faire aucun préjudice au principal (même art.) ; elles ne peuvent par suite être que provisoires, de sorte que le Président n'est pas habilité à statuer lorsque la demande dont il est saisi requiert une décision définitive.

C'est le cas en particulier, des demandes tendant à la radiation d'une inscription hypothécaire, étant donné qu'une telle mesure a un caractère définitif, au moins à l'égard des créanciers qui viendraient à s'inscrire après la radiation, étant donné que ceux-ci ne pourraient en aucun cas se voir opposer la créance conservée par l'inscription indûment radiée si elle venait à être rétablie (Aubry et Rau, 6° éd., t. III, § 281 in fine ; Planiol, Ripert et Becqué, t. XIII, n° 863 ; Beudant, t. 2, n° 1055 ; Garsonnet et Cézar-Bru, 3° éd., t. 6 n° 162; Dalloz, Rép. prat., V° Privilèges et hypothèques, n° 1530 ; Cass. req. 9 décembre 1846, D.P. 47-1-298, S. 47-1-827, Rev. hyp. n° 1556 ; Cass. civ. 31 décembre 1895, D.P. 96-1-257, S. 98-1-211, Rev. hyp. n° 1735 ; v. ég. Bull. A.M.C. art. 27 et 434). Aussi a-t-il été reconnu que. sous le régime des art. 806 et suiv. du Code de Procédure Civile, le Président n'a pas qualité pour ordonner la radiation d'une inscription hypothécaire (Garsonnet et Cézar-Bru, 3° éd., t. 8, n° 193 ; Lyon, 21 avril 1882, D.P. 83-272, S. 83-2-158).

II. La situation est différente lorsqu'il s'agit d'ordonnances rendues en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile, puisque ces articles habilitent expressément le Président à ordonner, dans certains cas, la radiation des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoires. La décision ayant un caractère définitif pour les motifs sus-indiqués, n'est pas régie par l'art. 809 du Code de Procédure Civile. Non seulement elle n'est pas, de plein droit exécutoire par provision, mais son exécution provisoire ne peut être ordonnée. L'article 135 a du Code de Procédure Civile l'interdit, en effet, lorsqu'elle est " exclue à raison de la nature de l'affaire ", ce qui est le cas, ainsi qu'il a été expliqué plus haut, lorsqu'il s'agit de la radiation d'une inscription hypothécaire.

Il arrive néanmoins - peut-être simplement parce que c'est une clause de style dans les ordonnances de référé - que le Président du Tribunal, lorsqu'il ordonne la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, prescrit l'exécution provisoire de sa décision. Dans ce cas, le Conservateur n'a pas à obéir à cette injonction.

Tout d'abord les condamnations contenues dans le dispositif d'une décision de justice n'ont un caractère obligatoire qu'entre les parties à l'instance ; elles ne sont pas opposables aux tiers, ce qui est le cas du Conservateur lorsqu'il n'a pas participé à l'instance ou qu'y ayant été appelé, il a été mis hors de cause.

D'autre part, si les décisions de justice peuvent ordonner " quelque chose a faire par un tiers ou à sa charge " et notamment la radiation d'une inscription hypothécaire, leur exécution est régie dans ce cas par la disposition particulière de l'art. 548 du Code de Procédure Civile (Décret n° 65-1006 du 26 novembre 1965 ; Bull. A.M.C., art. 643) aux termes de laquelle ces décisions " ne seront exécutoires par les tiers ou contre eux, après acquiescement ou après expiration des délais de l'opposition ou de l'appel " que sur le vu : soit de l'acquiescement, soit des pièces justificatives de l'opposition ou de l'appel (Trib. Seine, 18 juillet 1950, J.C.P. 1950, II, 5780, Jour. Not. 43.441).

Sans doute a-t-il été soutenu que l'art. 548 du Code de Procédure Civile n'était pas applicable à l'exécution des ordonnances rendues par le Président du Tribunal. Mais l'arrêt de la chambre civile de la Cour de Cassation du 3 juillet 1964 (Gazette du Palais, n° 78, juillet-août 1964), que l'on invoque à l'appui de cette opinion, précise bien que les ordonnances qui sont exclues du champ d'application de l'art. 548 sont les ordonnances de référé " de plein droit exécutoires par provision ", c'est-à-dire les ordonnances régies par l'art. 809 du Code de Procédure Civile, ce qui exclut les ordonnances par lesquelles le Président ordonne la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire en exécution des articles 54 et 55 du même Code.

A défaut de l'art. 548 du Code de Procédure Civile, le Conservateur trouverait encore un fondement à son refus de radier en vertu d'une décision de justice non définitive dans l'art. 2157 du Code Civil, qui pose en règle générale que les inscriptions hypothécaires sont radiées, à défaut du consentement des parties intéressées, " en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ".

Enfin, il pourrait aussi se prévaloir de la disposition contenue dans le 6° alinéa de l'art. 54 du Code de Procédure Civile aux termes de laquelle la radiation sera opérée sur le dépôt de l'ordonnance " passée en force de chose jugée ". Cette disposition ne vise sans doute que l'un des cas (désistement ou péremption d'instance ou désistement d'action) où le Président du Tribunal est autorisé à ordonner la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire ; mais la précision qu'elle renferme confirme que les ordonnances prescrivant une radiation en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile ne sont pas régies par l'art. 809 du même Code et ne sont pas par suite exécutoires par provision.

On peut donc considérer comme certain que, lorsqu'une ordonnance rendue entre parties par le Président du Tribunal ordonne la radiation d'une inscription, le Conservateur ne peut être contraint à opérer cette radiation avant que l'ordonnance ne soit devenue définitive (v., dans le même sens, Etudes de M. Masounabe-Puyanne, Bull. A.M.C., art. 244 et 385).

III. Dans l'affaire qui fait l'objet de l'ordonnance rapportée ci-dessus, le Président du Tribunal avait, par une ordonnance du 31 mars 1969, " par provision, vu l'urgence ", ordonné la radiation de deux inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoires.

Bien que sommés d'avoir à procéder immédiatement à la radiation ordonnée, les deux conservateurs intéressés ont subordonné celle-ci à la justification du caractère définitif de la décision dans les conditions prévues à l'art. 548 du Code de Procédure Civile.

Le débiteur les a alors assignés devant le Président du Tribunal pour s'entendre condamner à procéder à la radiation requise, à peine d'une astreinte de 1.000 F par jour.

Cette demande était, tout d'abord, irrecevable en la forme. La compétence que donnent les art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile au Président du Tribunal en matière de radiations d'inscriptions hypothécaires est exceptionnelle. Si les textes précités donnent à ce magistrat le pouvoir d'ordonner, entre créancier et débiteur, dans les cas qu'ils prévoient, la radiation des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoires, ils ne l'autorisent pas par contre à statuer sur les difficultés que peut soulever, entre les intéressés et le Conservateur, l'exécution de sa décision (v. Président du Tribunal de Toulon, 15 mai 1964, Bull. A.M.C., art. 614 ; v. égal, Bull. A.M.C., art. 604, Observations).

Le Président du Tribunal de Grande Instance de Marseille ne s'est cependant pas arrêté à l'exception d'incompétence soulevée par nos collègues et dans son ordonnance du 18 avril 1969, a statué sur le fond.

Pour débouter le demandeur, il n'a pas repris dans ses motifs toute l'argumentation que nous avons développée plus haut. Parmi les textes en cause, il n'a retenu que l'art. 54 du Code de Procédure Civile, en soulignant que cette disposition était en harmonie avec le caractère définitif que peut revêtir la radiation d'une inscription hypothécaire.

La disposition invoquée, qui s'applique directement au cas de l'espèce où la radiation a été ordonnée comme conséquence du désistement d'instance consenti par le créancier suffit, à elle seule, à motiver la décision.

Annoter: C.M.L., 2° éd., n° 1361-4°, 1372, 1384 bis A (feuilles vertes) et 2049 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiations n° 6, page 373, et 43, pages 421 et 422.