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ARTICLE 835

INSCRIPTIONS.
RADIATIONS.

Acte de constitution ou de mainlevée d'hypothèque.
Consentement par mandataire.
Authenticité du mandat.
Dérogation en faveur des mandats soutenus dans les statuts ou les délibérations des sociétés.

Question. - Par un acte notarié, le Sous-Directeur d'une banque, société anonyme, a donné mainlevée d'une inscription hypothécaire prise pour la garantie d'un prêt consenti par cette banque. Le Sous-Directeur agissait au nom de la société qu'il représentait en vertu d'une délibération du Conseil d'administration qui lui avait conféré, ainsi qu'à diverses autres personnes, avec faculté d'agir ensemble ou séparément, tous pouvoirs pour donner mainlevée de toutes inscriptions avec ou sans payement.

Le Conservateur requis d'opérer la radiation en vertu de cette mainlevée a estimé, en s'appuyant sur les termes d'une circulaire de la Direction Générale du 14 août 1969 et une chronique du J.C.P. (1970-Chr. 4696), que le Sous-Directeur de la banque n'étant pas le " représentant légal " de cette dernière, la délibération du Conseil d'administration qui lui donnait les pouvoirs nécessaires n'entrait pas dans les prévisions de l'art. 1860, 2° al. du Code Civil et devait être constatée par acte authentique.

Cette opinion ayant été contestée par le notaire, il demande si elle est fondée.

Réponse. - I. La question posée soulève une difficulté préjudicielle, portant sur le point de savoir si les sociétés commerciales demeurent régies par l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867 ou si cette disposition a été abrogée par l'art. 505 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966, de telle sorte que le 2° alinéa ajouté à l'art. 1860 du Code Civil par l'art. 4 de la loi n° 66-538 du 24 juillet 1966 s'applique aux sociétés commerciales comme aux sociétés civiles.

La loi du 24 juillet 1 8 67 comportait originairement 67 articles divisés en cinq titres.

L'art. 6 de la loi du 1er août 1893 a " ajouté à la loi ", sous le titre : " Dispositions diverses ", quatre nouveaux articles dont l'art. 69 en cause.

Ultérieurement, l'art. 1er de la loi du 26 avril 1917 a complété la loi du 24 juillet 1867 par neuf articles nouveaux formant le titre VI.

En l'état est intervenue la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 dont l'art. 505 a abrogé " les titres I, II, IV et V de la loi du 24 juillet 1867 modifiée sur les sociétés... ".

La question qui se pose alors est celle de savoir si les " dispositions diverses " ajoutées à la loi de 1867 par l'art. 1er de la loi du 1er août 1893 font partie intégrante du titre V et se trouvent abrogées en même temps que ce titre ou si elles forment au contraire des dispositions indépendantes dudit titre V et demeurent par suite en vigueur.

C'est cette dernière opinion que nous avons adoptée en commentant l'art. 4 de la loi n° 66-538 du 24 juillet 1966 (Bull. A.M.C., art. 689) Nous avons estimé, en effet, que la loi du 1er août 1893 n'avait pu insérer dans le titre V de la loi, intitulé : " Des tontines et des sociétés d'assurances ", des dispositions manifestement étrangères à cette matière.

La Direction Générale s'est prononcée en sens contraire (Circ. 14 août 1969, II-C-2°, page 10), de même que M. Bulté dans le J.C.P. (1969-IV-4571). Le seul argument que l'on puisse peut-être retenir à l'appui de cette interprétation réside dans le fait que, bien que les deux articles 66 et 67, qui formaient le titre V de la loi aient tous deux été abrogés respectivement par la loi du 17 mars 1905 et par l'art. 41 du décret-loi du 14 juin 1938, l'art. 505 de la loi n° 66-537 du 24 juillet 1966 a néanmoins compris le titre V parmi les textes à abroger, ce qui permet de supposer que les auteurs de cet article ont considéré qu'une partie du titre V était encore en vigueur, cette partie étant constituée par les art. 68 à 72 ajoutés à la loi du 24 juillet 1867 par celle du 1er août 1893.

II. - Si l'on admet que l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867 est encore en vigueur, la question posée comporte certainement une réponse négative. Ce texte ne fait, en effet, aucune distinction, parmi les délibérations qu'il dispense du caractère authentique, selon la personnalité du mandataire qui y est désigné.

Si, au contraire, on considère que toutes les sociétés, qu'elles soient civiles ou commerciales, sont maintenant régies par le 2° alinéa de l'art. 1860 du Code Civil, la question est plus délicate. Nous estimons cependant, pour les motifs développés ci-après, qu'elle doit finalement être résolue de la même manière.

Le 2° alinéa de l'art. 1860 du Code Civil dispose : " Les représentants légaux de la société peuvent consentir hypothèque au nom de celle-ci en vertu des pouvoirs résultant, soit des statuts, soit d'une délibération des associés prise dans les conditions prévues aux statuts, même si ceux-ci ont été établis par acte sous seings privés ".

Pris à la lettre, il ne permettrait de consentir une hypothèque en vertu d'une délibération sous seings privés que lorsque le mandataire désigné est un " représentant légal " de la société. Lorsque la personne habilitée à consentir l'hypothèque n'est pas un " représentant légal ", la délibération devrait être constatée en la forme authentique.

Ainsi interprété, le 2° alinéa de l'art. 1860 du Code Civil n'aurait qu'une portée des plus réduites.

Le " représentant légal " est, en effet, la personne qui tient de la loi le pouvoir de représenter la société et qui peut par suite engager celle-ci vis-à-vis des tiers sans qu'il soit besoin qu'une disposition des statuts ou une délibération des associés ou de l'organisme directeur les habilite à cet effet. C'est dès lors dans le cas seulement où une clause des statuts restreignant les pouvoirs que le représentant légal tient de la loi - restriction d'ordre interne, non opposable aux tiers - fait une obligation à ce représentant de se faire autoriser par une délibération des associés ou de l'organisme directeur que l'art. 1860, 2° alinéa, pourrait trouver l'occasion, de s'appliquer.

Interprété littéralement, le 2° alinéa de l'art. 1860 du Code Civil aurait, par conséquent, une portée nettement plus restreinte que l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867.

Telle n'était certainement pas l'intention des rédacteurs de ce texte. Ceux-ci n'ont pu avoir d'autre souci que celui du législateur de 1893 (Circ. Dir. Gén., 14 août 1969, II-C-4, page 11), qui était d'éviter aux sociétés les frais et les complications qui résulteraient de la nécessité de faire constater en la forme authentique les statuts des sociétés et les délibérations des associés et des organismes directeurs conférant le pouvoir de constituer une hypothèque (Jacquet et Vétillard, V° Sociétés, n° 26, page 673).

Or ce résultat ne peut être atteint que si l'on reconnaît à l'art. 1860, 2° alinéa, du Code Civil, une portée aussi étendue que celle que comportait l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867 (Rapp. J.C.P.-IV-4571), c'est-à-dire si l'on admet que le pouvoir de constituer une hypothèque peut être conféré par les statuts ou une délibération en la forme non authentique quelle que soit la personnalité du mandataire. C'est l'interprétation que nous avons adoptée en commentant le 2° alinéa de l'art. 1860 du Code Civil, dans l'art. 689 du Bulletin,.

Une réponse du Ministre de la Justice du 15 mars 1969 (Bull. A.M.C., art. 773 ; Circ. Dir. Gén., II-C-4, p. 11 et 12) et une chronique de M. Bulté dans le J.C.P. 1970-4696) se sont prononcés, au contraire, pour l'interprétation restrictive. Mais, dans les deux cas, il s'agissait d'un mandat ou d'une substitution de mandat qui n'était contenu ni dans les statuts de la société, ni dans une délibération des associées ou d'un organe de direction et l'interprétation restrictive visait seulement, semble-t-il, à exclure ces mandats ou substitutions de mandat du champ d'application de l'art. 1860, 2° alinéa du Code Civil en raison, de leur forme et non de la personnalité des mandataires désignés.

Dans ces conditions, nous estimons devoir nous en tenir à l'interprétation libérale que nous avons cru devoir donner au texte.

On rappelle par ailleurs que, bien que ce texte ne vise que les constitutions d'hypothèque, il est couramment admis qu'il est, comme l'art. 69 de la loi du 24 juillet 1867, applicable en matière de mainlevées d'inscriptions hypothécaires (Bull. A.M.C., art. 689 et 723, Circ. Dir. Gén. 14 août 1969, II-C-5, page 12 ; J.C.P. 1970, chron. 4696).

En conséquence, que l'on considère ou non l'art. 69 de la loi du 24- juillet 1867 comme abrogé, la question posée comporte à notre avis, la même réponse : la délibération. du Conseil d'administration d'une société anonyme conférant le pouvoir de donner mainlevée peut être établie sous la forme sous seings privés quelle que soit la personnalité du mandataire.

Annoter : Jacquet et Vétillard, V° Sociétés, n° 18 et 26, p. 666 et 672 ; C.M.L., 1er éd., n° 1288 et 1296.