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ARTICLE 859

ETATS HYPOTHECAIRES.

Omission. Etat comportant la prétendue omission non représenté.
Absence de preuve.

REMEMBREMENT RURAL.

Réquisition d'extraits supplémentaires.
Délai dans lequel ces extraits doivent être envoyés.

PUBLICITE FONCIERE.

Effet relatif de formalités. - Inscription. - Procès-verbal de remembrement.
Immeuble sorti, en vertu d'un acte publié, du patrimoine du propriétaire désigné au bordereau d'inscription ou au procès-verbal. - Rejet.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE POITIERS (Ch. Civile, 2° section)
DU 18 FEVRIER 1970

La Cour,

Attendu qu'il est constant que, par acte sous seings privés du 2 octobre 1957, Ledé a prêté au sieur Raymond Sabotin une somme de 300.000 anciens francs avec intérêts à 6 p. 100 remboursable en trois ans, la dame veuve Sabotin s'engageant à régler la dette de son fils en cas de défaillance de sa part ; qu'advenant le 2 octobre 1960 et n'étant remboursé ni en principal ni en intérêts, Ledé, après avoir eu délivrance par S... le 26 janvier 1961 de deux états par extraits des formalités de transcriptions opérées à la Conservation de Poitiers du 1er janvier 1910 au 20 décembre 1960 faisant apparaître les consorts Sabotin comme propriétaires notamment des parcelles sises commune d'Yversay cadastrées dite commune Z E 62 et 91 et Z H 119 et 165, prit, après y avoir été autorisé par ordonnance du 2 mai 1961 inscription d'hypothèque provisoire sur lesdites parcelles à la Conservation de Poitiers le 4 mai 1961 ; qu'ayant obtenu le 20 octobre 1961 un jugement de condamnation contre les consorts Sabotin, Ledé transforma le 30 mai 1962 son inscription d'hypothèque provisoire en inscription d'hypothèque définitive et fit procéder le 5 juillet 1962 à la saisie immobilière des parcelles en question ; que, sur dires du 28 décembre 1962 des frères Yvon et Georges Degennes, il se révéla alors que ceux-ci avaient acquis des consorts Sabotin suivant actes du 21 avril 1960 publiés au Bureau des Hypothèques de P... le 9 juin 1960, Vol. 3.029, n° 34 et 35, un certain nombre de parcelles ayant fait l'objet de la part des consorts Sabotin d'un apport aux opérations de remembrement, les parcelles litigieuses étant mentionnées dans les actes comme devant être attribuées ultérieurement par la Commission de Remembrement aux consorts Sabotin en possession desquels, les opérations de remembrement étant matériellement achevées, elles se trouvaient d'ailleurs déjà depuis le mois de septembre 1959; qu'effectivement, suivant procès-verbal transcrit le 17 octobre 1960 à la Conservation de Poitiers, la Commission de Remembrement, sans tenir compte des mutations intervenues le 21 avril précédent, fixa ses attributions définitives en portant les consorts Sabotin comme propriétaires des parcelles qui leur étaient attribuées en échange de celles qu'ils avaient vendues aux frères Degennes.

Attendu que, par jugement du 9 mars 1964, le Tribunal de Grande Instance de Poitiers a dit opposable à Ledé les acquisitions des frères Degennes antérieures à son inscription hypothécaire et a ordonné mainlevée de la saisie immobilière par lui pratiquée.

Que, par autre jugement du 12 octobre 1966, le Tribunal Administratif de Poitiers a, de son côté, dégagé l'Etat de toute responsabilité du fait du déroulement des opérations de remembrement et rejeté la requête que Ledé avait présentée devant lui.

Attendu que Ledé, qui s'est trouvé ainsi avoir engagé des frais d'inscription hypothécaire et de saisie en pure perte, et qui a perdu le bénéfice de sa créance puisque, trompé quant à la situation réelle, il n'a pu prendre en temps utile ses dispositions pour la sauvegarde de ses droits, les consorts Sabotin ayant été mis en faillite le 4 mai 1962, s'est alors retourné contre S... dont il prétend obtenir réparation ; qu'il lui reproche en effet de ne pas avoir mentionné les mutations de propriété du 21 avril 1960 sur les états qu'il lui a délivrés le 26 janvier 1961, d'avoir accepté le 4 mai 1961 sa réquisition d'hypothèque sur des parcelles dont il avait publié les mutations le 9 juin 1960, alors qu'il eut dû alors lui signaler la discordance entre les mentions de propriété visées par l'ordonnance du 2 mai 1961 l'autorisant à prendre hypothèque, et les fichiers concernant tant les parcelles litigieuses que les consorts Sabotin, de n'avoir informé la Commission de Remembrement que le 7 octobre 1960 des mutations du 21 avril 1960 qu'il avait lui-même transcrites le 9 juin 1960, enfin de n'avoir averti ni lui ni la Commission de Remembrement de la discordance entre le procès-verbal et le plan établis par celle-ci et les mentions portées sur les deux fichiers parcellaire et personnel qu'il avait l'obligation de tenir ;

Attendu que Ledé conteste tout d'abord que sur les états qui lui ont été délivrés le 26 janvier 1961 aient été mentionnées les acquisitions des frères Degennes du 21 avril 1960 portant droit à l'attribution des parcelles litigieuses ;

Mais attendu que, comme la Cour l'a précisé dans son arrêt du 6 février 1968 (1), il appartient à Ledé de justifier de ses affirmations sur ce point; or la disparition simultanée de tous les feuillets intermédiaires des deux états qui lui ont été fournis, qu'il prétend avoir égarés, le met dans l'impossibilité de contester la réalité des mentions qui pouvaient y être portées; qu'il apparaît d'ailleurs de la production du procès-verbal de la Commission de Remembrement, ordonnée par la Cour, que c'est bien cet acte qui figure in fine sur le dernier feuillet des états remis à Ledé et que, dans ces conditions, celui-ci n'établit pas que lesdits états n'aient pas comporté sur les feuillets précédents toutes les mentions qui devaient y figurer.

(1) Arrêt d'avant dire droit prescrivant à l'appelant de verser aux débats le procès-verbal de remembrement et l'acte d'acquisition par les consorts Sabotin des parcelles litigieuses.

Attendu qu'en fait, la seule question qui se pose est de savoir si S... a manqué a ses obligations et pu engager sa responsabilité en ne portant a la connaissance de la Commission de Remembrement les acquisitions des frères Degennes que le 7 octobre 1960, alors qu'il les avait transcrites le 9 juin précédent et en se contentant de publier les actes déposés à se Services sans procéder aux vérifications qui lui auraient permis de constater la discordance entre eux et de notifier à Ledé lors de sa prise d'inscription d'hypothèque provisoire. que les consorts Sabotin n'étaient plus propriétaires des parcelles sur lesquelles il prenait hypothèque ; que Ledé fait état à ce sujet des décrets des 4 janvier et 14 octobre 1955, qui, d'après lui. auraient fait à S... obligation de s'assurer de l'exactitude et de la concordance des mentions portées sur les actes de mutation notariés, judiciaires ou résultant des opérations de remembrement avec les désignations des inscriptions antérieures figurant sur ses deux fichiers, et, le cas échéant, de notifier aux déclarants les inexactitudes ou discordances qu'il découvrirait, ce qui l'eut amené à notifier à la Commission de Remembrement les discordances entre son procès-verbal du 17 octobre 1960 et les actes de mutation du 21 avril 1960.

Attendu qu'en défense les consorts S... soutiennent au contraire que leur auteur a procédé régulièrement en la cause en se conformant strictement aux obligations de sa charge telles qu'elles résultent du Code Civil et des textes législatifs et réglementaires portant réforme de la publicité foncière.

Attendu qu'aux termes du décret 56-112 du 24 juillet 1956, S... avait l'obligation de délivrer à la Commission de Remembrement jusqu'à la date de clôture de ses opérations un extrait de l'acte du 21 avril 1960 constatant la mutation intervenue entre les consorts Sabotin et les frères Degennes ; que l'article 2 du décret stipule que cette délivrance doit être faite " au fur et à mesure qu'interviennent de nouvelles formalités de publicité de la nature de celles visées à l'article premier et concernant les immeubles intéressés " ; que S... n'ignorait d'ailleurs pas ce qu'il devait faire puisqu'il a bien porté la mutation à la connaissance de la Commission de Remembrement le 7 octobre 1960, mais qu'en laissant s'écouler quatre mois entre la publication qu'il avait assurée le 9 juin 1960 de l'acte du 21 avril précédent et la délivrance le 7 octobre 1960 d'un extrait de cet acte à la Commission de Remembrement, il a commis une faute manifeste qui engage sa responsabilité ; qu'entre parenthèses on ne voit pas l'intérêt de cette délivrance si ce n'est pour que la Commission de Remembrement tienne compte de la mutation ainsi portée à sa connaissance afin d'assurer la concordance de son procès-verbal avec le fichier immobilier tenu par le Conservateur.

Attendu qu'aux termes de l'article 36 du décret 55-1350 du 14 octobre 1955 pris pour l'application du décret 55-22 du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière " lorsque l'acte ou la décision judiciaire dont un extrait, expédition ou copie est déposé en vue de la publicité n'a pas été dressé ou rendu avec le concours ou à la requête du dernier titulaire du droit, et notamment en cas... de remembrements collectifs ", le Conservateur a l'obligation de rechercher " si la personne indiquée dans le document déposé comme titulaire du droit est inscrite au fichier immobilier et si cette personne est bien, d'après le fichier, le dernier titulaire au sens de l'article 32-1 ; il s'assure ensuite, conformément à l'article 34-1, de la concordance entre les énonciations du document déposé et celles des documents antérieurement publiés " ; lorsque le Conservateur relève alors inexactitude ou discordance, il doit procéder comme il est dit à l'article 34-3, c'est-à-dire ne pas faire les annotations sur le fichier immobilier et notifier " dans le délai maximum d'un mois à compter du dépôt les inexactitudes ou discordances relevées, au signataire du certificat d'identité porté au pied de tout bordereau, extrait, expédition ou copie, conformément aux prescriptions des articles 5 et 6 du décret du 4 janvier 1955 ".

Attendu qu'il apparaît de ces dispositions que S... était tenu avant de procéder à la publication des mutations opérées par le plan de remembrement de s'assurer si les consorts Sabotin indiqués dans le procès-verbal de la Commission de Remembrement comme propriétaires des parcelles litigieuses étaient bien inscrits sur le fichier immobilier comme étant les derniers titulaires du droit de propriété sur lesdites parcelles ; que tels ont été d'ailleurs le point de vue soutenu et l'interprétation donnée aux dispositions législatives au nom de l'Etat devant le Tribunal Administratif.

Attendu que c'est en l'absence d'une telle vérification qui s'imposait d'autant plus à S... qu'il n'avait averti la Commission de Remembrement de la mutation intervenue que tardivement, que Ledé a été amené à prendre inscription d'hypothèque sur les parcelles dont s'agit attribuées à tort aux consorts Sabotin, le préjudice éprouvé en la cause par Ledé résultant essentiellement de l'indication erronée à lui fournie par S... lorsque celui-ci lui a adressé des états ou figurait en dernière mention le procès-verbal de la Commission de Remembrement non rectifié.

Attendu que Ledé chiffre en appel son préjudice à 14.000 F; qu'il justifie du montant de sa créance sur Sabotin, soit 3.000 F, dont il n'a pu obtenir le remboursement par suite de la faillite de ses débiteurs et de l'inopposabilité aux frères Degennes de son inscription d'hypothèque, alors qu'il ait établi par une correspondance de M D..., notaire à P..., régulièrement produite aux débats, que le 11 mai 1962, soit un an après que Ledé ait inscrit son hypothèque sur les parcelles litigieuses, les consorts Sabotin ont vendu un immeuble libre d'hypothèque pour 10.000 F, qui ont été portés à l'actif de leur faillite ; que Ledé justifie également de frais de justice d'un montant de 1.388,14 F qu'il a engagés inutilement pour aboutir finalement à la mainlevée de sa saisie immobilière obtenue contre lui par les frères Degennes ; qu'il est fondé aussi à prétendre en la cause aux intérêts conventionnels de sa créance courus du 2 octobre 1957, date de son prêt à Sabotin, au 18 mars 1965, date à laquelle il a assigné S..., soit 1.335 F et aux intérêts conventionnels courus depuis le 18 mars 1965 et jusqu'au jour du règlement, ainsi qu'à la réparation du préjudice appréciable que la Cour estime à 1.500 F, que S... lui a occasionné par sa faute en raison des tracas et des frais non taxables qu'ont entraîné pour lui des procédures longues et coûteuses.

PAR CES MOTIFS

Vidant son interlocutoire du 6 février 1968 et réformant le jugement, dont appel.

Dit qu'en ne remplissant pas les obligations résultant pour lui tant du décret du 24 janvier 1956 sur le remembrement que des décrets des 4 janvier 1955 et 14 octobre 1955 portant réforme de la publicité foncière, S..., à l'époque Conservateur des Hypothèques à P..., a commis des fautes qui ont causé à Ledé un préjudice direct et certain dont celui-ci est fondé à demander réparation.

Condamne en conséquence les consorts S..., qui ont régulièrement repris l'instance en leur qualité d'héritiers de S. décédé en cours de procédure le 1er juillet 1967, à payer à Ledé 7.223,14 F pour les causes sus-énoncées, ainsi que les intérêts à 6 % de la somme de 3.000 F courus depuis le 18 mars 1965 jusqu'au jour du règlement.

Condamne les consorts S... en tous les dépens de première instance et d'appel.

Observations. - I. - Le demandeur prétendait que, dans les états qu'il lui avait délivrés, le conservateur avait omis de faire figurer la publication de l'acte de vente qui avait dépossédé ses débiteurs. Or, de ces états délivrés sous forme de tableaux et comportant des feuillets intercalaires, il ne produisait, à l'appui de sa demande, que la première et la dernière page, prétendant avoir égaré les pages intermédiaires.

La Cour d'appel a décidé, à juste titre, que la disparition de ces feuillets mettait le demandeur dans l'impossibilité d'établir que les états ne comportaient pas toutes les mentions qui devaient y figurer.

Elle a, en conséquence, écarté le chef de la demande basé sur la prétendue omission, commise par le conservateur.

II. - Aux termes du 1er alinéa de l'art. 2 du décret n° 56-112 du 24 janvier 1956, préalablement à un remembrement rural, " le président de la commission communale requiert... le conservateur de lui délivrer, jusqu'à la date de la clôture des opérations... des extraits complémentaires, au fur et à mesure qu'interviennent de nouvelles formalités de publicité... concernant les immeubles intéressés ". Et le 2° alinéa du même article ajoute que " les derniers extraits devront être délivrés au plus tard dans les quinze jours qui suivent la date de la clôture des opérations ".

Ce texte impartit au conservateur un délai déterminé - quinze jours -pour l'envoi des extraits complémentaires que lorsque les opérations de remembrement sont closes. Pendant le cours de ces opérations, les extraits complémentaires sont délivrés " au fur et à mesure qu'interviennent de nouvelles formalités de publicité ".

" Au fur et à mesure " ne signifie pas : immédiatement après chaque formalité nouvelle. L'existence d'un délai de quinze jours prévu pour l'envoi des extraits de celles des formalités intervenues dans les derniers jours qui précèdent la clôture du procès-verbal en est la preuve.

Il n'en résulte pas cependant que les conservateurs disposent d'un délai illimité. Dans l'espèce actuelle, la Cour d'appel a jugé qu'en ne portant que le 7 octobre 1960 à la connaissance de la Commission de remembrement un acte de vente qui avait été publié le 9 juin précédent, le conservateur avait commis une faute qui engageait sa responsabilité.

On a déjà appelé l'attention des collègues sur cette décision en leur conseillant de transmettre les extraits complémentaires à la Commission dans un délai " raisonnable " qui, semble-t-il, ne devrait pas dépasser un mois et devrait même être réduit à quinze jours à l'approche de la clôture des opérations de remembrement (art. 839).

III. - La Cour d'appel a jugé, par ailleurs, qu'en raison de la vente des parcelles en cause à des tiers, les frères Degennes, publiée le 9 juin 1960, les vendeurs, les consorts Sabotin, n'apparaissaient plus au fichier comme étant les derniers titulaires du droit de propriété et que, par suite, lorsqu'a été publié le procès-verbal de remembrement, le 17 octobre 1960, il existait entre ce procès-verbal, d'une part, et le fichier immobilier, d'autre part, une discordance que, par application des art. 34 et 36 du décret du 14 octobre 1955, le conservateur aurait dû relever et notifier au requérant.

C'est l'interprétation qu'ont déjà accueillie le Tribunal de Grande Instance de la Seine par un jugement du 20 juin 1967 (Bull. A.M.C., art. 719) et la Cour d'appel de Paris par un arrêt du 29 novembre 1968 (Bull. A.M.C., art. 761).

L'argumentation sur laquelle elle s'appuie n'est pas sans réplique (R.A. Livre III, V° hypothèques, n°603 à 606). Mais elle a perdu son intérêt depuis que l'art. 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 (Bull. A.M.C., art. 709) a ajouté au § 2 de l'art. 34 du décret du 14 octobre 1955 une disposition précisant qu'" il n'y a pas de discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens de l'art. 32, a cessé postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets, en raison d'un acte ou d'une décision judiciaire ultérieurement publiée ".

Annoter : C.M.L. 2° éd. ; § I : 2050 ; § II : 1628 A (feuilles vertes) ; § III : 490 A k II, 490 A n II et 490 A p. III (feuilles vertes).