Retour

ARTICLE 935

PROCEDURE.

Radiation d'une inscription hypothécaire.
Cas où le Président du tribunal est compétent pour l'ordonner.

PUBLICITE FONCIERE

Effet relatif des formalités. - Inscription d'hypothèque judiciaire se substituant à une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire.
Immeuble sorti du patrimoine du débiteur. - Absence de cause de rejet.

ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE,
PREMIERE CHAMBRE, DU 26 AVRIL 1971

(J.C.P. 1972 - II - 17173)

LA COUR :

Statuant sur l'appel régulier relevé par la Société Construction moderne, suivant acte du 8 février 1971, d'une ordonnance rendue par le Juge des référés de Tarascon le 27 janvier 1971, qui, statuant sur une demande de radiation d'une hypothèque conservatoire, s'est déclaré incompétent, mais a mis hors de cause le Conservateur des Hypothèques de Tarascon-sur-Rhône ;

Attendu que, sur autorisation du Président du Tribunal de grande instance de Tarascon, Darmon, le 23 juillet 1965, a inscrit provisoirement une hypothèque judiciaire sur un immeuble de la Société Construction moderne et a renouvelé son inscription le 29 mai 1968 : qu'il a obtenu de la Cour d'appel de Paris, suivant arrêt du 11 février 1969, une décision de condamnation de la Société Construction moderne à lui payer la somme de 300.096,41 F mais n'a requis l'inscription définitive que le 29 juin 1970 ;

Attendu que l'immeuble a été vendu le 9 décembre 1965 à la Société industrielle de Bâtiment de Provence, par acte aux minutes du notaire X..., et que le prix est resté consigné entre les mains dudit notaire ;

Attendu que la Société Construction moderne a été placée sous le régime du règlement judiciaire, puis a obtenu un concordat ; qu'elle a attrait Darmon devant le Juge des référés de Tarascon aux fins de radiation des inscriptions, l'inscription définitive n'ayant été prise que plus de deux mois après la décision sur le fond ;

Attendu que Darmon a soulevé l'incompétence pour contestation sérieuse, en soutenant qu'après la consignation du prix, le droit des créanciers ayant été reporté de l'immeuble sur le prix, aucun renouvellement de l'inscription n'était nécessaire, et en remarquant qu'il n'avait pu inscrire l'hypothèque définitive qu'après l'homologation du concordat ;

Attendu que le Juge des référés, par l'ordonnance entreprise, s'est rendu à ses arguments et s'est déclaré incompétent ;

Attendu que par conclusions déposées le 11 mars 1971, l'appelante invoque les alinéas 8 et 9 de l'article 54 du Code de Procédure civile qui précisent que faute d'inscription définitive dans le délai de deux mois de la décision au fond, la radiation de l'hypothèque peut être demandée au magistrat qui l'a autorisée ; qu'elle soutient qu'en l'état de ce texte, le Président du Tribunal ne pouvait se déclarer incompétent et qu'il devait ordonner la radiation ;

Attendu que par conclusions déposées le 8 avril 1971, Darmon réplique que le renouvellement de l'inscription et l'inscription définitive étaient inutiles puisque après la vente de l'immeuble le 9 décembre 1965, le gage réel s'est transformé en gage mobilier portant sur le prix, toujours consigné entre les mains du notaire ; qu'il soutient que l'article 54 du Code de Procédure civile, tel qu'il résulte de la loi du 6 février 1957, a rendu applicables à l'hypothèque conservatoire les dispositions de l'article 2154 du Code civil dans sa rédaction découlant du décret du 4 janvier 1955 ; qu'il estime que le renouvellement n'était plus obligatoire après consignation du prix et que, par voie de conséquence, l'inscription définitive n'était pas nécessaire, puisque la consignation du prix de l'immeuble qui avait cessé d'être dans le patrimoine du débiteur avait purgé les inscriptions; qu'il affirme que le problème de l'interprétation des articles 54 et 2154 précités dépassait la compétence du Juge des référés qui devait se déclarer incompétent ; qu'il indique qu'il a saisi le 19 mars 1971, par assignation à jour fixe, le Tribunal de grande instance de Tarascon pour qu'il soit statué au fond ; que l'audience a été fixée au 28 avril 1971 et qu'il sollicite de plus fort la confirmation, en l'état de cette saisine du juge du fond ;

Sur la compétence :

Attendu qu'aux termes de l'article 54 du Code de, Procédure civile, faute d'inscription nouvelle définitive, dans le délai de deux mois à dater du jour où la décision, statuant au fond, aura acquis l'autorité de la chose jugée, l'inscription provisoire deviendra rétroactivement sans effet et sa radiation pourra être demandée au magistrat qui aura autorisé ladite inscription ;

Attendu que le Président du Tribunal de Tarascon; s'il a correctement statué en la forme du référé, ne l'a pas fait en l'espèce au titre de juge des référés et de l'article 806 du Code de Procédure civile, mais en vertu de la compétence spéciale qui lui a été attribuée par l'article 54 précité ;

Attendu, dans ces conditions, qu'il ne pouvait se déclarer incompétent, et que la décision entreprise doit être réformée ;

Sur la saisine du tribunal :

Attendu que postérieurement à l'ordonnance entreprise, Darmon a saisi le Tribunal de grande instance de Tarascon, suivant assignation tendant à voir reconnaître que les fonds consignés entre les mains du notaire restent affectés à la garantie exclusive du recouvrement de sa créance ;

Attendu que les motifs de l'assignation se réfèrent à l'inutilité du renouvellement de l'inscription provisoire et de l'inscription définitive ;

Attendu cependant que le moyen invoqué en la présente cause est développé dans le cadre de l'incompétence du juge des référés ; qu'une exception de litispendance n'est donc pas soulevée et qu'il n'y a pas lieu d'y répondre ; qu'au demeurant, elle n'aurait pas été recevable, le président du Tribunal de Tarascon ayant été saisi le premier ;

Sur le fond :

Attendu que Darmon indique que c'est an moment où il a renouvelé l'inscription provisoire le 29 mai 1968 qu'il a appris que l'immeuble avait été vendu et que le prix était resté consigné entre les mains du notaire ;

Attendu que cette inscription provisoire était alors inutile, en conséquence des prescriptions de l'article 2154 du Code civil, applicable en la matière aux termes de l'article 54 précité ;

Mais attendu que cette inutilité ne conduit pas, à elle seule, à la radiation, celle-ci ne découlant, d'après l'article 54, que de la tardiveté de l'inscription définitive ;

Attendu, sur cette dernière difficulté, que les règles de l'article 2154 invoqué ne peuvent jouer sur ce point, alors, que ce texte ne concerne que le renouvellement des inscriptions et que l'article 54 du Code de Procédure civile ne s'y réfère que dans le cas d'un renouvellement ;

Attendu, par contre, que les termes clairs de cet article imposent la prise d'une inscription définitive dans les deux mois de la décision ayant statué sur la créance, comme la condition nécessaire de la validation de l'inscription provisoire, sans laisser de place à une exception :

Attendu qu'il en est d'autant plus ainsi que l'article 759 du Code de Procédure civile précise que s'il y a eu inscription à titre conservatoire, il ne peut y avoir collocation dans la procédure d'ordre que sur présentation de l'inscription définitive, cette règle ne faisant d'ailleurs que reprendre les principes posés par l'article 663 du même code en matière de distribution par contribution et inscription de nantissement

Attendu, enfin, que l'argument tiré de l'impossibilité d'inscrire une hypothèque sur un immeuble sorti du patrimoine du débiteur ne peut être pris en considération, dès lors que l'inscription définitive procède d'une formalité de validation et rétroagit à la date de l'inscription provisoire ;

Attendu, dans ces conditions, que l'appelant doit être reçu en sa demande de radiation fondée sur le paragraphe 9 de l'article 54 du Code de Procédure civile ;

Attendu que l'intimé doit être condamné à tous les dépens ; qu'il lui appartiendra de faire valoir ses droits, par d'autres moyens, sur la somme consignée ;

Par ces motifs :

 

En la forme, reçoit la Société Construction moderne en son appel régulier ;

Au fond, y fait droit, et réformant, dit que le Président du Tribunal de grande instance de Tarascon était compétent pour statuer aux termes de l'article 54 du Code de Procédure civile ;

Ordonne, aux frais de Darmon, la radiation des inscriptions par lui prises à la Conservation des Hypothèques de Tarascon à titre provisoire, le 3 juillet 1965, vol. 354, n° 64, à titre de renouvellement le 29 mai 1968, vol. 406, n° 129, et à titre définitif le 29 juin 1970, vol. 446, n° 1 ;

Condamne Darmon aux dépens de première instance et d'appel.

Observations. - I. - La radiation d'une inscription est une opération qui peut être irréversible étant donné que l'inscription radiée ne peut être rétablie si l'immeuble grevé est sorti du patrimoine du débiteur en vertu d'un acte publié et que, lorsqu'elle peut être rétablie, elle est primée par les inscriptions nouvelles qui ont pu être requises entre sa radiation et son rétablissement (v. les auteurs et la jurisprudence citée à l'art. 783 du Bulletin, Observations, § I). Par suite, lorsqu'il statue comme juge des référés, dans les conditions prévues aux art. 806 et suivants du Code de Procédure civile (1) et notamment à 4°art. 809 aux termes duquel ses décisions ne peuvent préjudicier au principal, le Président du tribunal est incompétent pour ordonner la radiation d'une inscription (Garsonnet et Cezar-Bru, 3° éd., t. 8, n° 193 ; Lyon, 21 avril 1882, DP 83 - 2 - 158). Une telle mesure ne peut être prescrite que par le tribunal.

(1 ) Les art. 806 à 811 formant le titre XVI du livre V de la première partie du Code de Procédure civile ont été abrogés par l'art. 110 du décret n° 71-740 du 9 septembre 1971 et remplacés par les art. 73 à 80 de ce décret (Bull. A.M.C., art. 874).

Cette dernière règle comporte toutefois une exception lorsqu'il s'agit d'inscriptions à l'égard desquelles le président du tribunal a reçu spécialement compétence pour en ordonner la radiation. Il en est ainsi en particulier des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoires, dont la radiation peut, dans certains cas, aux termes des art. 54 et 55 du Code de Procédure civile, être ordonnée par le président du tribunal en dehors du cadre des art. 806 et suivants du même code.

C'est cette distinction entre le cas où le président du tribunal est incompétent pour ordonner une radiation et celui ou il est habilité à le faire qui consacre l'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 26 avril 1971 qui, réformant une ordonnance du Président du tribunal de Tarascon du 27 janvier 1971 (Bull. A.M.C., art. 861), constate que " le Président du tribunal de Tarascon, s'il a correctement statué en la forme des référés, s'il a correctement statué en la forme es référés t de l'art. 806 du Code de Procédure civile, mais en vertu de la compétence spéciale qui lui a été attribuée par l'article 54 (du même code) "..

Les ordonnances qui prescrivent la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire en vertu des art. 54 et 55 du Code de Procédure civile ne sont pas exécutoires par provision. L'art. 783 du Bulletin en indique les motifs. Parmi les arguments développés dans cet article, il faut toutefois abandonner celui qui se fonde sur l'art. 548 du Code de Procédure civile lequel a été abrogé par le décret n° 72-788 du 28 août 1972 et remplacé par l'art. 63 de ce décret, dont les termes ne permettent pas la même interprétation. Mais les autres motifs invoqués, et notamment celui qui est basé sur l'art. 2157 du Code civil, conservent toute leur force et la conclusion reste, la même (v. Bull. A.M.C.,· art 913).

Les observations qui précèdent sont également applicables aux ordonnances par lesquelles le Président du tribunal prescrit la radiation de certaines inscriptions au profit de Français rapatriés bénéficiant des dispositions de la loi n° 69-992 du 6 novembre 1969 (art. 6, 5° al., de cette loi ; Bull., A.M.C., art. 784). En particulier, ces ordonnances ne sont exécutoires que lorsqu'elles sont définitives (v. Paris, ordonnance du 28 janvier 1971 : Bull. A.M.C., art. 851).

II. - Aux termes de l'art. 2147 du Code civil, " les créanciers privilégiés ou hypothécaires ne peuvent prendre utilement inscription sur le précédent propriétaires à partir de la mutation opérée au profit d'un tiers ".

Cette disposition est-elle applicable à une inscription d'hypothèque judiciaire lorsqu'elle doit se substituer à une inscription provisoire antérieure prise en exécution de l'art. 54 du Code de Procédure civile ?

L'arrêt de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence du 26 avril 1971 répond à cette question par la négative. Cette interprétation est d'ailleurs implicitement confirmée par l'article 759 du Code de Procédure civile, complété par la loi du 12 novembre 1955, qui dispose que, dans une procédure d'ordre, si le créancier titulaire d'une inscription provisoire peut être admis à la répartition, son bordereau de collocation ne produira effet que sur présentation de l'inscription définitive.

Mais la question qui se pose au Conservateur est de savoir, non pas si l'inscription définitive requise après la publication de l'acte qui dépossède le débiteur de l'immeuble grevé est efficace, mais si elle doit être rejetée.

Cette question doit être résolue par la négative.

Sans doute, un jugement du tribunal de la Seine du 20 juin 1967 (Bull. A.M.C., art. 719), confirmé par un arrêt de la Cour d'appel de Paris du 29 novembre 1968 (Bull. A.M.C., art. 761), a-t-il décidé que l'inscription prise sur un immeuble déjà sorti du patrimoine du débiteur faisait apparaître au fichier une discordance qui, par application de l'art. 2148 du Code civil et de l'art. 34 du décret du 14 octobre 1955, dans sa rédaction d'origine, motivait le rejet de cette inscription.

Mais cette jurisprudence est caduque depuis que l'art. 2 du décret n° 67-1252 du 22 décembre 1967 a ajouté au n° 2 de l'art. 34 susvisé une disposition stipulant que " il n'y a pas de discordance lorsque le titre de la personne indiquée comme disposant ou dernier titulaire, au sens du n° 1 de l'art. 32, a cessé, postérieurement à sa publication au fichier immobilier, de produire tout ou partie de ses effets en raison d'un acte on d'une décision judiciaire ultérieurement publiée " (Bull. A.M.C., art. 709).

En l'état actuel de la législation, la circonstance que l'immeuble sur lequel une inscription est requise est déjà sorti du patrimoine du débiteur en vertu d'un acte publié n'est pas une cause de rejet de l'inscription.

Cette règle s'applique spécialement au cas visé ci-dessus où il s'agit d'une inscription d'hypothèque judiciaire définitive destinée à se substituer à une inscription provisoire.

N.B. - L'arrêt ci-dessus a été confirmé par un arrêté de la 3° chambre civile de la Cour de Cassation du 17 juillet 1972 (J.C.P. 1973 - II - 17311 bis ; Dall. 72-665 et la note Franck) que nous publierons ultérieurement.

Annoter : I. - C.M.L., 2° éd., n° 490 A k II, 490 A n II et 490 A p III (feuilles vertes). - II. - C.M.L., 2° éd., n° 4361-4°, 1372, 1384 bis A (feuilles vertes). - Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 6 (page 373), 37 (pages 411 et 412) et 43 (page 421 et 422).