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ARTICLE 987

RADIATIONS.

Mainlevée notariée.
Dispense de production des pièces justificatives (art. 2158, 2° al. du Code Civil).
Conséquences.

ARRET DE LA COUR D'APPEL DE CAEN (3° Chambre) DU 1er MARS 1974

La Cour,

Attendu qu'il est constant ;

Que, par acte authentique du 28 novembre 1970, conclu entre X... et Lamy, X..., ès qualités de directeur de la Mutualité Sociale Agricole de la Manche (M.S.A.) a donné mainlevée d'une inscription hypothécaire inscrite le 12 avril 1968 sur les biens de Lamy, au Bureau des Hypothèques de Coutances pour la sûreté d'une somme de 1.321,75 F en principal, due par Lamy à la M.S.A. ;

Que le Conservateur des Hypothèques de Coutances a refusé de radier cette inscription au motif que l'agent comptable chargé du recouvrement de la créance n'était pas intervenu et ne lui avait pas remis quittance du paiement ;

Attendu que c'est ainsi que X... ès qualités, a assigné C..., Conservateur des Hypothèques de Coutances, pour le contraindre à faire cette radiation ;

Attendu que, par jugement contradictoire du 28 février 1973, le Tribunal de Grande Instance de Coutances a débouté X... ès qualités au motif que la créance n'était pas payée et qu'aucun texte ne lui donnait ès qualités, la capacité juridique de renoncer à la sûreté qui la garantissait, et donc d'en disposer ;

Attendu que la M.S.A. a régulièrement fait appel de ce jugement, dont C... demande confirmation ;

Attendu que X..., ès qualités, soutient :

Que les statuts de la M.S.A., établis régulièrement en vertu de textes légaux ou réglementaires, lui donnent la capacité de consentir une radiation d'inscription hypothécaire, même dans le cas où la créance ne serait pas éteinte ;

Qu'ainsi le refus de C... n'est pas justifié ;

Attendu que C... soutient une thèse exactement contraire ;

Attendu que le litige comporte deux questions annexes mais entièrement distinctes :

a) définir les pouvoirs de X..., ès qualités, et, plus précisément : définir s'il avait ou n'avait pas la capacité juridique de consentir la radiation litigieuse,

b) définir ne pouvoir de contrôle du Conservateur des Hypothèques C... sur la demande de radiation litigieuse, et, plus précisément : dire s'il était en droit d'en refuser la publication ;

Attendu que la Cour n'est saisi que de la deuxième question, étant par ailleurs évident que la détermination des pouvoirs d'un directeur de la Mutualité Sociale Agricole ne ressortit pas à la compétence d'une juridiction de l'ordre judiciaire ;

a) attendu que les articles 2157 et 2158 du Code Civil disposent :

" Article 2157. - Les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet... " ;

" Article 2158, § 2. - Aucune pièce justificative n'est exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant... la capacité des parties... " ;

Attendu que la capacité de X..., ès qualités ayant été reconnue par le notaire instrumentaire, officier public gardien des règles du droit civil, dans un acte authentique revêtu de la formule exécutoire, cette capacité ne pouvait plus être contestée par C..., sauf texte dérogatoire l'y autorisant ;

b) attendu que le décret du 4 janvier 1955 et le décret d'application du 14 octobre 1955 ont conféré au Conservateur des Hypothèques le seul contrôle de la forme des actes, par ailleurs limité aux cas précis prévus par les articles 2148, 2149, 2154 du Code Civil et les deux décrets susvisés ;

Attendu qu'aucun de ces textes ne donne au Conservateur le droit d'apprécier la capacité des parties ou encore d'exiger une constatation de paiement fournie par l'Agent comptable.

PAR CES MOTIFS

Réformant :

Dit que C..., Conservateur des Hypothèques de Coutances, devra publier l'acte de mainlevée hypothécaire reçu de M' L..., notaire à L..., le 28 novembre 1970, l'inscrire en marge de l'inscription d'hypothèque judiciaire prise au profit de la Mutualité Sociale de la Manche le 12 avril 1968, volume 2142, numéro 51, sur les biens de M. Georges, Robert, Jules, Gustave Lamy, et à Créances, village du Mesuil, époux de Marie, Hermance, Augustine, Virginie Lenoir, née à Pirou le 21 avril 1931 ;

Et procéder à la radiation de cette inscription.

Condamne C... aux dépens de première instance et d'appel...

Observations. - L'arrêt rapporté infirme le jugement du Tribunal de Grande Instance de Coutances du 28 février 1973 (Bull. A.M.C., art. 946) qui avait reconnu fondé le refus du Conservateur de radier une inscription profitant à une Caisse de Mutualité Sociale Agricole en vertu d'une mainlevée consentie par le directeur de cet organisme sans constatation de payement.

Pour approuver le refus du Conservateur, les premiers juges avaient considéré que le directeur d'une Caisse de Mutualité Sociale Agricole, n'étant investi que de pouvoirs d'administration, n'avait la capacité de consentir la mainlevée d'une inscription prise au profit de la caisse qu'il représentait que si la créance garantie était éteinte, notamment par le payement de la somme due.

La Cour d'Appel ne s'est pas prononcée sur le bien-fondé de ce motif. Elle en a écarté l'examen en affirmant qu'il était " évident que la détermination des pouvoirs d'un directeur de la Mutualité Sociale Agricole ne ressortit pas à la compétence d'une juridiction de l'ordre judiciaire ".

Pour infirmer le jugement de première instance la Cour s'est placée sur un autre terrain. Se référant aux articles 2157 et 2158 du Code Civil, elle a refusé au Conservateur requis de procéder à une radiation le pouvoir de s'assurer de la capacité du créancier qui consent la mainlevée.

" Attendu, porte l'arrêt, que la capacité... ayant été reconnue par le notaire instrumentaire, officier public gardien des règles du droit civil, dans un acte authentique revêtu de la formule exécutoire, cette capacité ne pouvait plus être contestée par C... "

Si ce motif était exact, le Conservateur aurait, déjà, sous le régime de l'article 2158 ancien du Code Civil, c'est-à-dire avant l'addition qui forme le deuxième alinéa de cet article, été sans qualité pour exiger la justification de la capacité de l'auteur de la mainlevée dont il était saisi.

Or, sous l'empire de ce texte, la Cour de Cassation a reconnu dans un arrêt du 12 juin 1847 (D.P. 47-1-314; Jacquet et Vétillard; Introduction, n° 52), que " le Conservateur des Hypothèques, responsable des radiations qu'il opère, a qualité pour s'assurer de la suffisance et de la régularité de la mainlevée d'hypothèque en vertu de laquelle la radiation est demandée ; qu'il n'est tenu en conséquence de radier qu'autant qu'il lui est justifié de la capacité du créancier qui donne mainlevée ".

Cette décision met à néant l'argumentation de la Cour d'Appel.

A l'appui de sa décision, la Cour paraît faire plus spécialement état du second alinéa de l'article 2158 du Code Civil dont l'arrêt reproduit les termes et qui est ainsi conçu :

" Aucune pièce justificative n'est exigée à l'appui de l'expédition de l'acte authentique en ce qui concerne les énonciations établissant l'état, la capacité et la qualité des parties, lorsque ces énonciations sont certifiées exactes dans l'acte par le notaire ou l'autorité administrative. "

Cette disposition. ajoutée à l'article 2158 par l'article 27 du décret n° 55-22 du 4 janvier 1955, n'est pas non plus de nature à justifier la décision de la Cour.

Elle n'a en effet, d'autre objet que de faciliter les justifications nécessaires. Désormais, le Conservateur n'a plus à se faire présenter les pièces justificatives lorsque ces pièces sont énoncées dans l'acte de mainlevée et que leur énonciation est certifiée exacte par le notaire.

Aux termes même du texte en cause, ce que le Conservateur n'est plus fondé à exiger c'est, non pas la justification de la capacité du signataire de l'acte de mainlevée. mais la production des pièces justificatives qui peut être remplacée par l'énonciation certifiée exacte de ces pièces dans l'acte. Comme par le passé, le conservateur demeure responsable des radiations qu'il opère et est fondé en conséquence, à apprécier au vu des pièces justificatives, non plus produites, mais énoncées dans l'acte de mainlevée, la capacité de l'auteur de celle-ci.

C'est une interprétation que les notaires n'ont d'ailleurs jamais contestée jusqu'à ce jour. Ils l'ont au contraire approuvée implicitement puisque leurs représentants se sont mis d'accord avec ceux des Conservateurs pour déterminer la forme des énonciations destinées à tenir lieu de la production des pièces justificatives (v. Bull. A.M.C.. art. 241-VI).

Le Ministre de l'Economie et des Finances s'est, de son côté, prononcé dans le même sens dans une réponse à question écrite du 31 mai 1974 qui sera publiée dans un prochain Bulletin.

Un pourvoi a été formé contre l'arrêt.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 881 A (feuilles vertes) ; Jacquet et Vétillard, Introduction, n° 75.