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ARTICLE 988

PROCEDURE.

Jugement ordonnant une radiation. - Exécution provisoire.
Exécution subordonnée à la justification que le jugement est passé en force de chose jugée, même si l'exécution provisoire est ordonnée.

I. - JUGEMENT DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONT-DE-MARSAN
DU 17 JANVIER 1974

Le Tribunal,

Attendu, en droit, que l'article 61 du décret du 28 août 1972 stipule que la preuve du caractère exécutoire à l'égard des tiers ressort soit du jugement lui-même lorsque l'exécution provisoire est de droit ou a été ordonnée, soit de la justification de ce qu'il est passé en force de chose jugée ;

Attendu que d'ailleurs l'article 63 du même décret visant les mainlevées, radiations de sûretés, mentions, transcriptions ou publications qui doivent être faites en vertu d'un jugement, stipule qu'elles sont valablement faites au vu de la production, par tout intéressé, d'une expédition ou d'une copie certifiée conforme du jugement et, s'il n'est pas exécutoire par provision, de la justification de son caractère exécutoire ;

Attendu, à l'analyse, que l'article 61 du décret du 28 août 1972 confère autorité de la chose jugée à la disposition du jugement qui a ordonné l'exécution provisoire ;

Qu'en effet, ce texte met en parallèle et confère même valeur exécutoire à l'égard des tiers, soit à un jugement qui ordonne l'exécution provisoire, soit à un jugement passé en force de chose jugée ;

Attendu que les articles 61 et 63 du décret susvisé revêtent le caractère de dispositions d'ordre général ;

Attendu par ailleurs que l'article 2157 C. civ. qui concerne les dispositions générales en matière de radiations et de réduction des inscriptions, modifié par le décret du 4 janvier 1955, stipule que les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ;

Que ce texte n'a pas été abrogé de manière expresse par le décret du 28 août 1972 ; qu'il convient de dire qu'il ne l'a point été également de manière tacite ;

Qu'en effet, il ne résulte aucune contradiction entre les dispositions de l'article 2157 C. civ. et les termes des articles 61 et 63 du décret du 28 août 1972 si, comme il vient d'être démontré, l'autorité de la chose jugée s'attache à la disposition d'un jugement qui ordonne l'exécution provisoire ;

Qu'ainsi, loin de se contredire, ces textes se complètent du fait que, de par les termes de l'article 61 du décret du 28 août 1972, une interprétation plus large de la notion de chose jugée doit être retenue ;

Attendu en conséquence, que le jugement du 27 septembre 1973 qui ordonne la mainlevée de l'inscription hypothécaire prise par la SOCOTRAN à la Conservation des Hypothèques de Mont-de-Marsan le 9 mai 1973 portant sur les biens immobiliers appartenant à la Société l'Océan, avec exécution provisoire, doit être exécuté par M. le Conservateur des Hypothèques, en application de l'article 2157 du Code Civil, en considérant que la mention du jugement du 27 septembre 1973 comporte l'autorité de la chose jugée dans sa disposition ordonnant l'exécution provisoire de la décision entreprise ;

Attendu qu'en raison de la parfaite bonne foi de chaque partie, chacune conservera ses propres dépens,

PAR CES MOTIFS

Le Tribunal, jugeant publiquement, en matière ordinaire et en premier ressort, après en avoir délibéré conformément à la loi, le Ministère public entendu,

Dit et juge que l'article 61 du décret du 28 août 1972 confère autorité de chose jugée et donne valeur exécutoire à l'égard des tiers de la disposition d'un jugement qui ordonne l'exécution provisoire ;

Dit que ce texte, de même que l'article 63 du même décret, n'ont pas abrogé les dispositions de l'article 2157 C. civ. comme compatibles ;

Dit et juge que le jugement du 27 septembre 1973 qui ordonne mainlevée d'inscription hypothécaire avec exécution provisoire doit être considéré comme comportant autorité de la chose jugée dans cette disposition ordonnant l'exécution provisoire,

En conséquence, dit tenu M. le Conservateur des Hypothèques de Mont-de-Marsan d'avoir à procéder à la radiation de l'inscription hypothécaire prise le 9 mai 1973, vol. 633, n° 117 au bénéfice de la Société SOCOTRAN, sur les biens énumérés dans le dispositif du jugement du 27 septembre 1973.

Ordonne l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution.

Dit que chacune des parties conservera ses propres dépens.

II. - ARRET DE LA COUR D'APPEL DE PAU DU 30 AVRIL 1974

La Cour,

Statuant sur l'appel régulièrement interjeté par le Conservateur des Hypothèques de Mont-de-Marsan du jugement rendu le 17 janvier 1974 par le Tribunal de Grande Instance de cette ville qui a :

" - dit et jugé que l'article 61 du décret du 28 août 1972 confère autorité de chose jugée et donne valeur exécutoire à l'égard des tiers de la disposition d'un jugement qui ordonne l'exécution provisoire ;

- dit que ce texte de même que l'article 63 du même décret n'ont pas abrogé les dispositions de l'article 2157 du Code Civil comme compatibles ;

- dit et juge que le jugement du 27 septembre 1973 qui ordonne la mainlevée d'Inscription hypothécaire avec exécution provisoire doit être considéré comme comportant autorité de la chose jugée dans cette disposition ordonnant l'exécution provisoire ;

- dit en conséquence tenu Monsieur le Conservateur des Hypothèques de Mont-de-Marsan d'avoir à procéder à la radiation sur minute de la présentation de la présente décision de l'inscription hypothécaire prise le 9 mai 1971, vol. 635 N° 117 au bénéfice de la société SOCOTRAN sur les biens énumérés dans le dispositif du jugement du 27 septembre 1973 ;

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution.

Attendu que la société anonyme SOCOTRAN a obtenu du Président du Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan une ordonnance l'autorisant à faire inscrire une hypothèque judiciaire provisoire sur divers immeubles appartenant à la Société Civile " l'Océan " dont le siège est à Mimizan (40) pour sûreté et garantie d'une somme de deux cent trente mille francs (230.000 F) et que cette inscription a été reçue le 9 mai 1973 et enregistrée sous le n° 117, volume 433.

Attendu que, dans l'instance sur le fond entre ces deux sociétés, le Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan a rendu le 27 septembre 1973 un jugement ordonnant la mainlevée de cette inscription hypothécaire, mais a ordonné la consignation par la société l'Océan d'une somme de deux cent mille francs (200.000 F) entre les mains d'un séquestre pour garantie de la créance éventuelle de la société SOCOTRAN.

Attendu que cette décision par application des articles 61 et 63 du décret du 28 août 1972 a ordonné l'exécution provisoire et la radiation de l'hypothèque provisoire inscrite sur la seule justification du dépôt des fonds entre les mains du séquestre.

Attendu que, avant toute signification à la société SOCOTRAN du jugement en date du 27 septembre 1973 ordonnant la radiation, la société civile l'Océan a requis du Conservateur des Hypothèques la radiation de l'hypothèque inscrite alors que ce jugement non signifié ne pouvait être exécuté.

Attendu que le Conservateur des Hypothèques a refusé de procéder à cette radiation par application de l'article 2157 du Code Civil:

Attendu que si la signification du jugement du 27 septembre 1973 a été faite le 5 mars 1974, il reste que cette décision a été frappée d'appel par la société SOCOTRAN, que cet appel est pendant devant la Cour de céans et qu'en conséquence le jugement du 27 septembre 1973 n'est pas passé en force de chose jugée, comme le déclare le premier Juge, au soutien du jugement déféré du 17 janvier 1974 enjoignant au Conservateur des Hypothèques de procéder à la radiation sur présentation du jugement l'ordonnant, la disposition ordonnant l'exécution provisoire en cas d'urgence ou de péril en la demeure, ne pouvant jamais par elle-même conférer l'autorité de la chose jugée de la décision qui la contient.

Attendu qu'il reste à rechercher comme le soutient la société civile " l'Océan ", qui abandonne la motivation du premier Juge, lequel par analyse de l'article 61 du décret du 28 août 1972 a dit que ce texte " confère autorité de la chose jugée à l'égard des tiers à la disposition du jugement qui a ordonné l'exécution provisoire " et qu'en conséquence, il n'existe aucune contradiction entre les nouveaux textes des articles 61 et 63 du décret du 28 août 1972 et l'article 2157 du Code Civil, si ce dernier article est applicable en l'espèce et si subsidiairement ce texte a été tacitement abrogé par les dispositions nouvelles de procédure civile du décret du 28 août 1972.

Attendu que le Conservateur des Hypothèques appelant, personnellement responsable en cas de radiation injustifiée, soutient que l'article 2157 du Code Civil qui dispose " les inscriptions sont rayées du consentement des parties intéressées et ayant capacité à cet effet, ou en vertu un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée " n'a pas été abrogé ni expressément, ni tacitement par l'article 63 du décret du 28 août 1972 ainsi conçu : " les mainlevées, radiations de sûretés, mentions, transcriptions ou publications qui doivent être faites en vertu d'un jugement sont valablement faites au vu de la production, par tout intéressé d'une expédition ou d'une copie certifiée conforme du jugement et s'il n'est pas exécutoire par provision, de la justification de son caractère exécutoire. Cette justification peut résulter d'un certificat établi par l'avocat ou l'avoué constitué ".

Attendu que l'article 2157 du Code Civil limite expressément à deux cas les radiations d'inscriptions des privilèges et des hypothèques, à savoir le consentement des parties et à défaut de ce consentement une décision judiciaire en dernier ressort ou passée en force de chose jugée.

Attendu que cette stricte limitation est nécessaire et indispensable pour protéger les créanciers dont l'ordre et l'efficacité des sûretés qu'ils ont inscrites pourraient être bouleversés définitivement au cas de radiation exécutée au vu d'un jugement non définitif, radiation suivie avant l'arrêt infirmatif d'une nouvelle inscription d'hypothèque ou de privilège par un second créancier, le premier n'ayant aucun moyen de retrouver le rang perdu de sa sûreté en exécution d'un jugement ordonnant l'exécution provisoire ensuite réformé par le Juge du second degré.

Attendu que l'article 2157 du Code Civil ne vise pas seulement les radiations énumérées par l'article 2160 qui indique les cas où la radiation doit être ordonnée par le Juge en cas de litige puisqu'il est aussi applicable aux radiations conventionnelles.

Attendu qu'en la cause la consignation de la somme de deux cent mille francs (200.000 F) par la société l'Océan reste sans effet sur l'inscription hypothécaire litigieuse dès lors que la créance garantie s'élève à deux cent trente mille francs (230.000 F) et qu'en conséquence la radiation de la sûreté qu'elle a inscrite dans les conditions ci-dessus ne peut être ordonnée par le Juge, tant que la créance n'a pas été liquidée ou que la consignation n'est pas égale à la somme garantie.

Attendu que les articles 61 et 63 du décret du 28 août 1972 insérés dans le nouveau Code de Procédure Civile règlent de l'exécution des jugements pris en application des dispositions de fond du Code Civil.

Attendu que ce décret ne contient aucun article abrogeant les stipulations impératives de l'article 2157 du Code Civil sur les radiations des hypothèques ou des privilèges.

Attendu que ces textes de procédure civile visent à accélérer l'exécution des décisions de justice souvent freinée par des moyens dilatoires de plaideurs de mauvaise foi.

Attendu cependant que l'exécution provisoire, même quand elle est ordonnée par de justes motifs d'urgence ou de péril en la demeure, reste toujours exercée sous la responsabilité du poursuivant qui peut être amené à rendre des comptes au poursuivi en cas d'infirmation du jugement du premier ressort qui l'a ordonnée.

Attendu que l'exécution provisoire toujours révocable reste donc hors du champ des décisions susceptibles d'avoir des effets définitivement irréparables.

Attendu que les nouveaux textes de procédure civile ne sauraient abroger tacitement l'article 2157 qui constitue la règle de fond de droit civil régissant les radiations d'hypothèques ou de privilèges, texte de base qui empêche la radiation de sûretés en exécution d'un jugement non définitif, l'hypothèque ou le privilège radié ne pouvant résurger à la date et au rang de sa radiation provisionnelle au cas de nouvelles inscriptions par un tiers.

Attendu qu'il en suit que c'est à bon droit que, conformément à l'article 2157 du Code Civil non abrogé, le Conservateur des Hypothèques a refusé la radiation de l'hypothèque litigieuse demandée par la société l'Océan en exécution du jugement du 27 septembre 1973 non passé en force de chose jugée.

PAR CES MOTIFS,

La Cour :

Reçoit en la forme l'appel du jugement du Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan du 17 janvier 1974 interjeté par le Conservateur des Hypothèques de Mont-de-Marsan.

Au fond :

Infirme la décision déférée.

Dit et juge que c'est à bon droit que le Conservateur des Hypothèques de Mont-de-Marsan a refusé, conformément à l'article 2157 du Code Civil de procéder à la radiation de l'inscription hypothécaire prise le 9 mai 1971 volume 635, n° 117, par la société anonyme SOCOTRAN sur les biens de la société civile l'Océan, le jugement du 27 septembre 1973 ordonnant provisionnellement cette radiation n'étant pas passée en force de chose jugée.

Déboute en conséquence la société civile l'Océan de ses demandes, fins et conclusions.

Condamne la société civile l'Océan aux dépens de première instance et d'appel...

Observations. - En commentant, dans l'art. 913 du Bulletin, les art. 61 et 63 du décret n° 72-788 du 28 août 1972, nous avons exprimé l'avis que, sous l'empire de ces dispositions, l'exécution d'un jugement ordonnant une radiation restait régie, en toute hypothèse, par l'art. 2157 du Code Civil et que, par suite, la radiation ne pouvait être opérée que s'il était justifié que le jugement qui la prescrivait était passé en force de chose jugée, même si l'exécution provisoire était ordonnée.

Cette interprétation n'a pas été accueillie par le Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan qui, par un jugement du 17 janvier 1974, reproduit ci-dessus, a jugé que c'était à tort que, pour procéder à une radiation ordonnée par un jugement assorti d'un ordre d'exécution provisoire, le Conservateur exigeait qu'il lui soit justifié que ce jugement était passé en force de chose jugée.

Mais le jugement du Tribunal de Mont-de-Marsan a été infirmé par l'arrêt de la Cour d'Appel de Pau du 30 avril 1974, également reproduit ci-dessus.

Pour justifier leur décision, les premiers juges soutenaient que la disposition du jugement qui ordonnait l'exécution provisoire comportait l'autorité de la chose jugée, non pas seulement à l'égard des parties à l'instance, mais aussi à l'égard des tiers appelés à exécuter la décision, lesquels n'avaient pas dès lors à se faire juges de la régularité de l'ordre d'exécution provisoire.

Cet argument, en contradiction avec l'art. 1351 du Code Civil, n'a pas résisté à l'examen de la Cour d'Appel.

Celle-ci, après avoir constaté que l'art. 63 du décret du 28 août 1972 n'avait pas dérogé à l'art. 2157 du Code Civil - ce que le Tribunal avait explicitement reconnu - souligne que l'exigence par ce dernier texte d'une décision judiciaire passée en force de chose jugée est indispensable pour protéger les créanciers dont la sûreté pourrait être irrémédiablement compromise au cas où, après la radiation opérée en vertu d'une décision de justice non définitive, celle-ci viendrait à être infirmée en appel. Elle en conclut que cette disposition fait obstacle, en toute hypothèse, à ce que la radiation soit opérée avant que la décision qui l'a ordonnée soit devenue définitive.

L'opinion que nous avons exprimée dans l'art. 913 du Bulletin se trouve ainsi expressément confirmée.

Annoter : C.M.L., 2° éd., n° 1372 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 43.