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ARTICLE 1011

PROCEDURE.

Exécution provisoire. - Décision de justice ordonnant une radiation.
Exécution subordonnée à la justification que cette décision est passée en force de chose jugée, même si elle est déclarée exécutoire par provision.
Dommages-intérêts. - Caractère abusif de la procédure non établi.
Demande de dommages-intérêts non justifiée.

RADIATIONS .

Mainlevée judiciaire.
Radiation d'une inscription hypothécaire prescrite par une ordonnance de référé.
Exécution impossible.

ARRET DE LA COUR D'APPEL D'AIX-EN-PROVENCE DU 1er OCTOBRE 1974

Faits. - Pour parvenir au recouvrement de la créance qu'il possédait contre la Société " Création et Diffusion LD ", M. Sofferand a entrepris des poursuites de saisie immobilière contre les époux Canton-Bacara qui s'étaient portés cautions de la société débitrice et avaient affecté un appartement à la garantie de la créance.

Ultérieurement, un arrêt de la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence du 26 avril 1973, réformant un jugement du Tribunal de Grande Instance de Nice du 1er juin 1972, a reconnu que le cautionnement des époux Canton-Bacara était éteint au moment où ont été engagées les poursuites de saisie immobilière et a, en conséquence, déclaré nulles ces poursuites.

Requis, en vertu de cet arrêt, de procéder à la radiation de la publication de saisie annulée et à celle de l'inscription grevant l'appartement hypothéqué, le conservateur s'y est refusé, au motif que l'arrêt ne renfermait aucun ordre de radier.

Les époux Canton-Bacara ont alors assigné devant le Président du Tribunal de Grande Instance de Nice, d'une part, M. Sofferand, le créancier, pour entendre ordonner lesdites radiations et, d'autre part, le conservateur, pour que la décision à intervenir lui soit opposable.

Par une ordonnance du 4 février 1974, le Président a ordonné les radiations demandées, mais, sur sa demande, a mis le conservateur hors de cause.

En exécution de cette ordonnance, les époux Canton-Bacara ont demandé à nouveau la radiation de la publication de saisie et de l'inscription susvisées.

Le conservateur a maintenu son refus, d'abord parce que le juge des référés, qui n'est habilité à prendre que des mesures provisoires, n'était pas compétent pour ordonner des radiations et ensuite parce que, aux termes de l'art. 2157 du Code Civil, la radiation ordonnée par une décision de justice ne peut être effectuée que lorsque cette décision est rendue en dernier ressort ou passée en force de chose jugée, ce qui n'était pas le cas en l'espèce, M. Sofferand ayant fait appel de l'ordonnance en ce qu'elle avait ordonné les radiations.

A la suite de ce nouveau refus, les époux Canton-Bacara ont interjeté appel de l'ordonnance en tant qu'elle avait mis le conservateur hors de cause. Ils soutenaient à l'appui de leur recours, que le conservateur devait être maintenu dans la cause du fait qu'il avait engagé sa responsabilité en refusant de procéder aux radiations requises et demandaient à la Cour de le condamner à effectuer ces radiations à peine d'une astreinte de 1.000 francs par jour.

Statuant sur ces deux appels, la Cour d'Appel d'Aix-en-Provence a, par un arrêt du 1er octobre 1974, rejeté les prétentions des appelants et confirmé en toutes ses dispositions l'ordonnance du 4 février 1974 et, par conséquent maintenu le conservateur hors de cause. Elle a, par contre, rejeté la demande de dommages-intérêts formée par notre collègue contre les époux Canton-Bacara pour procédure abusive.

En ce qu'elle intéresse le conservateur, cette décision est ainsi motivée :

" Attendu que le décret du 28 août 1972, s'il abroge expressément l'article 548 du Code de Procédure Civile et dispose en son article 63 que les radiations de sûretés sont valablement faites au vu de production d'un jugement sans autre justification lorsque celui-ci est exécutoire par provision, ne modifie pas l'article 2157 du Code Civil qui subordonne la radiation des inscriptions hypothécaires à l'existence d'un jugement en dernier ressort ou passé en force de chose jugée ;

Attendu que l'ordonnance de référé entreprise ne remplissant aucune des conditions fixées par l'article 2157 du Code Civil ne pouvait recevoir exécution ; que le Conservateur des Hypothèques a donc justement refusé de procéder à la formalité requise par les époux Canton-Bacara ; que son refus antérieur, au vu de l'arrêt de la Cour de Céans du 26 avril 1973, était également justifié puisque le dispositif de cette décision, conforme aux demandes des parties, se bornait à annuler les poursuites de saisie immobilière et ne prononçait pas la mainlevée des inscriptions hypothécaires prises par Sofferand ; qu'il convient en conséquence de confirmer l'ordonnance déférée en ce qu'elle l'a mis hors de cause, sauf à le débouter de sa demande en dommages-intérêts pour appel abusif, aucune faute ne pouvant être retenue contre les époux Canton-Bacara dans l'exercice de leur droit d'ester en justice ;

Attendu qu'au sens donné à ces termes par l'article 2157 du Code Civil, un jugement en dernier ressort est un jugement qui a autorité de chose jugée ; qu'il ne peut donc en principe s'appliquer à une décision de référé toujours provisoire et n'ayant pas autorité de chose jugée au principal ;

Observations. : I. - L'arrêt susvisé confirme les opinions que nous avons exprimées dans le Bulletin en ce qui concerne :

1° L'impossibilité de radier une inscription en vertu d'une décision de justice non passée en force de chose jugée, même si la décision est déclarée exécutoire par provision (Bull., art. 913 et 965 ; dans le même sens : C. de Pau, 30 avril 1974, Bull. A.M.C., art. 988) ;

2° L'incompétence du juge des référés pour statuer sur une demande de radiation et l'impossibilité pour le conservateur de radier une inscription en vertu d'une ordonnance de ce magistrat (Bull., art. 434, observ., § I, 783 et 957).

II. - Notre collègue avait demandé la condamnation de son adversaire à des dommages-intérêts pour procédure abusive. La Cour, tout en reconnaissant que l'appel du conservateur à l'instance n'était pas justifié, a estimé qu'il n'avait pas le caractère abusif et a, en conséquence, rejeté la demande, tout en laissant la totalité des dépens à la charge de l'adversaire.

Sur ce point, l'arrêt est à rapprocher d'autres décisions qui, dans des circonstances, il est vrai, quelque peu différentes, avaient reconnu abusive la mise en cause du conservateur dans une instance entre parties et lui avaient en conséquence alloué des dommages-intérêts (C. Montpellier, 29 octobre 1968, Bull. A.M.C., art. 771 ; Fontainebleau, 5 juillet 1972, Bull. A.M.C., art. 973).

Annoter : § I : C.M.L., 2° éd. n° 1367 et 1376 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 43 et 47. - § II : C.M.L., 2° éd., n° 1361-4° ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 37 et 43-1. - § III : C.M.L., 2° éd., n° 2052 ; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 62.