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ARTICLE 1022

INSCRIPTIONS.

Titre. - Hypothèque judiciaire.
Décision de justice non passée en force de chose jugée. - Régularité.

RADIATIONS

Mainlevée judiciaire. - Inscription d'hypothèque judiciaire définitive.
Radiation ordonnée par le président du tribunal.
Cas où la décision peut être exécutée.

ARRET DE LA COUR DE CASSATION (3° CHAMBRE CIV.) DU 15 MAI 1974

LA COUR :,

Sur le premier moyen :

Attendu qu'il résulte des énonciations des juges du fond (Bordeaux. 1er ch., 28 nov. 1972), que les époux Haxaire, ayant acquis, par acte notarié du 28 août 1963, des époux Cassan, un immeuble appartenant à ces derniers, ont appris, lors de la publication de leur acte d'acquisition le 10 sept. 1964, que le bien vendu était grevé d'une inscription d'hypothèque provisoire, prise le 16 juill. 1964, au profit de dame Di Maio·, en vertu d'une ordonnance du président du tribunal de grande instance du 1er juill. 1964, pour avoir sûreté d'une somme principale de 21.600 F ; qu'à la suite du jugement rendu le 11 mai 1965 par le tribunal, une nouvelle inscription, qualifiée de " définitive " a été prise le 21 juin 1965 pour sûreté de la somme portée en condamnation dans ladite décision ; que toutefois, sur appel, un arrêt du 26 juin 1967, ayant confirmé ce jugement, une nouvelle inscription définitive a été prise le 22 août 1967 ;

Attendu que les époux Haxaire ayant assigné en référé la dame Di Maio pour obtenir la mainlevée et la radiation de l'inscription provisoire et des deux inscriptions définitives, il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir admis, pour débouter les époux Haxaire de leur demande, la validité de l'inscription définitive prise le 21 juin 1965, qui s'est substituée rétroactivement à l'inscription provisoire du 16 juill. 1964, alors, selon le moyen, que l'inscription provisoire, faute d'avoir été renouvelée dans les trois ans de sa date, avait cessé de produire effet et que l'inscription, soi-disant " définitive " prise le 21 juin 1965, n'avait pu elle-même produire un effet utile et ne pourrait être considérée ni comme un renouvellement de l'inscription provisoire, ni comme l'inscription définitive, appelée à se substituer rétroactivement à l'inscription provisoire, avec un rang fixé à la date de celle-ci ;

Mais attendu que les juges du second degré relèvent justement qu'aucun texte n'interdit à celui qu'une décision de justice au fond a déclaré créancier de requérir aussitôt une inscription définitive d'hypothèque judiciaire ; que, dès lors, la cour d'appel a décidé à bon droit que l'inscription du 21 juin 1965 a confirmé rétroactivement, conformément aux dispositions de l'art. 54 c. pr. civ., les effets de l'inscription provisoire du 16 juill. 1964 ; d'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Sur le second moyen :

Attendu qu'il est encore reproché à la Cour d'Appel d'avoir confirmé la décision par laquelle le premier juge s'est déclaré incompétent pour connaître de la mainlevée et de la radiation d'une inscription d'hypothèque prise par la dame Di Maio le 22 août 1967, alors, selon le moyen, que malgré l'infirmation de ladite décision accordant la mainlevée de l'inscription provisoire d'hypothèque et d'une inscription prétendue définitive subséquente, l'inscription du 22 août 1967 a été prise en considération par les juges du second degré eux-mêmes, en relation directe avec l'inscription provisoire, comme ayant été prise en vertu de la décision statuant définitivement au fond sur l'existence de la créance de dame Di Maio ; qu'il est encore soutenu que la juridiction des référés a légalement compétence pour ordonner dans les cas d'urgence, toutes mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse, ce qui était le cas en l'espèce, tant constat que l'inscription litigieuse, prise en vertu d'un arrêt portant condamnation de tiers au profit de dame Di Maio, ne pouvait avoir d'effet à l'encontre des époux Haxaire, comme prise postérieurement à la publicité donnée à leur titre d'acquisition de l'immeuble grevé, dès lors que cette inscription définitive était détachée de l'inscription provisoire d'hypothèque ;

Mais attendu qu'à bon droit, les juges du fond ont retenu que la compétence exceptionnelle en matière de mainlevée et de radiation d'hypothèques du Président du Tribunal de Grande Instance ou du Juge d'Instance est limitée par l'art. 54 c, pr. civ., à l'inscription provisoire d'hypothèque judiciaire et ne saurait s'étendre à une inscription définitive, telle que celle du 22 août 1967 ; que par ce seul motif, la Cour d'Appel a, sur ce point, justifié sa décision ; qu'il s'ensuit que le moyen ne saurait être accueilli ;

Par ces motifs, rejette.

Observations. - I. - Lorsque, avant d'engager une action en justice, le demandeur a pris une inscription d'hypothèque judiciaire provisoire, il doit, aux termes du 4° alinéa de l'art. 54 du Code de Procédure Civile, confirmer cette inscription en requérant une inscription définitive " dans, les deux mois à dater du jour où la décision statuant au fond aura acquis l'autorité de la chose jugée. "

La portée de cette disposition fait l'objet d'une controverse en ce qui concerne le point de départ du délai de deux mois.

Interprétée à la lettre, elle fixerait ce point de départ au jour même où la décision a été rendue, étant donné que les décisions de justice acquièrent l'autorité de la chose jugée au moment où elles sont prononcées (v. en ce sens : C. de Nîmes, 18 juin 1963 Bull. A.M.C., art. 613).

Certains auteurs ont cependant estimé que les rédacteurs de l'art. 54 du Code de Procédure Civile ont fait une confusion, dont il existe d'autres exemples, entre les expressions " acquis l'autorité de la chose jugée " et " passé en force de chose jugée " et ont conclu que le point de départ du délai de deux mois est, en réalité le jour où la décision de justice est passée en force de chose jugée, c'est-à-dire celui où elle ne peut plus être attaquée par une voie de recours ordinaire : l'opposition ou l'appel (V. not. : Masounabe - Puyanne, J.C.P. 1958 - 1 - 1418 et suiv.).

Dans le cas particulier soumis à la Cour de Cassation, l'inscription définitive avait été prise avant que la décision de justice qui en formait le titre soit passée en force de chose jugée.

En première instance, le Président du Tribunal, optant pour l'interprétation, selon laquelle le délai de deux mois prend cours seulement le jour où la décision est passée en force de chose jugée, a considéré que l'inscription définitive prise avant l'ouverture de ce délai était nulle et, en conséquence, il en a ordonné la radiation.

La Cour d'Appel a adopté un point de vue différent. Elle a posé le principe que le bénéficiaire d'une décision de justice est en droit de requérir une inscription d'hypothèque judiciaire sans attendre que la décision soit passée en force de chose jugée. (Rapp. : Bull. A.M.C.: art. 994). C'est pour ce motif qu'elle a jugé que, dans l'espèce en cause, l'inscription définitive avait été valablement requise et elle a infirmé la décision de première instance.

C'est l'interprétation de la Cour d'Appel que consacre l'arrêt rapporté en décidant " qu'aucun texte n'interdit à celui qu'une décision au fond a déclaré créancier de requérir aussitôt une inscription définitive d'inscription judiciaire ".

En statuant ainsi, la Cour de Cassation ne fait que confirmer une règle déjà inscrite dans un arrêt antérieur (Req. 28 mai 1935, D. 35 - 2 - 60 ; Journ. Conserv. 11638; - Précis Masounabe-Puyanne, 2° éd., n° 516) et d'ailleurs conforme à l'art. 2123 du Code Civil.

Il est bien établi par conséquent qu'un Conservateur peut accepter une inscription d'hypothèque judiciaire sur la présentation de la décision de justice qui en forme le titre, sans avoir à s'assurer que cette décision est passée en force de chose jugée.

II. - Lorsqu'il statue sur une demande de radiation en exécution des art. et 5 du Code de Procédure Civile, le Président du Tribunal de Grande Instance agit comme juge d'exception. Sa compétence est par suite limitée à celle que lui donne expressément le texte qui l'habilite, c'est-à-dire à la radiation des inscriptions d'hypothèque judiciaire provisoire; elle ne peut s'étendre à celle des inscriptions définitives (V. Bull. A.M.C., art. 237 III, in fine), du moins si le litige ne porte pas sur l'interprétation des art. 54 et 55 susvisés.

C'est ce que décide l'arrêt rapporté.

Ceci constaté, ce qui importe pour le Conservateur, lorsqu'il est requis de radier une inscription d'hypothèque judiciaire définitive en vertu d'une ordonnance rendue par le Président du Tribunal de Grande Instance, c'est non pas de savoir si le Président a statué régulièrement, mais de connaître le texte en exécution duquel il a statué.

A cet égard, il faut distinguer selon qu'il s'agit d'une ordonnance de référé régie par les art. 73 et suivants du décret n° 71-740 du 9 septembre 1971 (Bull. A.M.C., art. 874) ou d'une ordonnance rendue en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile.

Lorsqu'il est saisi comme juge des référés, le Président ne peut prendre que des mesures provisoires, ce qui exclut les radiations d'inscriptions hypothécaires qui ont un caractère définitif, étant donné qu'une inscription radiée ne peut pas être rétablie si l'immeuble grevé est sorti du patrimoine du débiteur en vertu d'un titre publié et que, lorsqu'elle peut être rétablie, elle est primée par les inscriptions nouvelles qui ont pu être requises entre sa radiation et son rétablissement. (Bull. A.M.C., art. 783 et 935). De plus les ordonnances de référé n'ont pas l'autorité de la chose jugée. (Décret du 9 septembre 1971 précité, art. 76), de sorte qu'elles ne sont pas couvertes par une présomption de régularité et que le Conservateur est par suite fondé à refuser de les exécuter en raison de l'incompétence du magistrat qui les a rendues.

La situation est différente lorsque l'ordonnance a été rendue en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile. En habilitant le Président du Tribunal à ordonner des radiations d'inscriptions hypothécaires qui sont, comme on l'a observé à l'alinéa précédent, des mesures définitives, ces dispositions lui ont délégué des pouvoirs qui appartiennent normalement au Tribunal de Grande Instance. Les ordonnances qu'il rend en vertu de cette délégation ont dès lors le caractère de véritables jugements ayant l'autorité de la chose jugée. Par suite, le titre que confère au débiteur contre le créancier l'ordre de radiation qu'elles renferment est revêtu d'une présomption de régularité qui interdit de rechercher si elles ont été rendues par un magistrat compétent. Le Conservateur ne peut que les exécuter lorsqu'elles sont passées en force de chose jugée.

En résumé, lorsque la radiation d'une inscription d'hypothèque judiciaire définitive est prescrite par une ordonnance de référé, le Conservateur doit en refuser l'exécution. Il doit, au contraire, procéder à la radiation lorsque l'ordre de radiation est contenu dans une ordonnance rendue en exécution des art. 54 et 55 du Code de Procédure civile et que cette ordonnance est passée en force de chose jugée.

La difficulté réside dans la détermination du texte en vertu duquel a statué le Président qui a rendu l'ordonnance, lorsque, comme c'est le plus souvent le cas, cette précision ne ressort pas de la décision.

Il arrive assez fréquemment que l'ordre de radiation de l'inscription définitive est corrélatif à celui de l'inscription provisoire. Dans ce cas, il serait arbitraire de considérer que le Président a statué, dans la même ordonnance, à deux titres différents. Dès lors que, pour ce qui concerne l'inscription provisoire, la décision entre dans le champ d'application des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile, il faut admettre que le Président s'est prononcé en exécution des mêmes dispositions à l'égard de l'inscription définitive (V. Bull. A.M.C., art. 910).

La radiation de l'inscription définitive ordonnée par le Président du Tribunal peut également intervenir isolément à la suite d'un litige portant sur l'application des prescriptions des art. 54 et 55 du Code de Procédure Civile. Dans ce cas également, on peut considérer que l'ordonnance est rendue dans le cadre de ces articles et qu'elle doit être exécutée.

Dans les autres cas qui peuvent se présenter, on ne peut que se déterminer d'après les termes de l'ordonnance et les circonstances de l'affaire.

Annoter : I. - C.M.L., 2° éd., n° 516 et 584 ; II. - C.M.L., 2° éd., n° 1361-4°, 1384 bis A et 2049; Jacquet et Vétillard, V° Jugement de radiation, n° 6, page 373, 26, page 399, et 37, pages 411 et 412.